mercredi 31 octobre 2018

Averroès et les autres. Introduction à l'islam de la liberté.


Pourquoi parler d'Averroès en ce début du XXIe siècle, en remettant sur scène un homme du XIIe siècle, un homme dont les théories et la pratique reflétaient le stade infantile et archaïque des sciences de l'époque ? La science a considérablement évolué et est devenue apte à disqualifier non seulement les théories scientifiques elles-mêmes, mais à invalider de nombreuses idées religieuses ou philosophiques sur la création, la nature et le temps. La philosophie, et même la religion, ne peuvent ni se concevoir ni se comprendre aujourd’hui sans l'appui des sciences. Un théologien ou un philosophe ne peut ignorer l'astrophysique ni passer à côté des sciences et des techniques de l'intelligence artificielle. Hélas, sur le plan politique et social, la science moderne ne bénéficie pas encore du substrat sociologique qui lui permettrait de trancher universellement les conflits d'idées philosophiques, morales ou religieuses. Les idées toutes faites, les superstitions, l'ignorance et le conformisme continuent de régner. Ils continuent de régner non seulement dans les pays touchés par la pauvreté, la corruption, l'exclusion qui maintiennent de larges franges des populations concernées en dehors des acquis de la culture scientifique, mais continuent de régner également dans les pays à très forts revenus de rente qui ont délibérément choisi, pour des raisons multiples, de faire prévaloir la continuité de l'héritage culturel sur la discontinuité des révolutions culturelles, artistiques, philosophiques et scientifiques.  
         Contrairement à ce qui se passa dans sa propre patrie culturelle et religieuse, où il fut proscrit et interdit de lecture pour atteinte aux dogmes religieux, en Occident, Averroès se constitua des adeptes et fit école. La pensée averroïste se développa au Moyen Âge et au cours de la Renaissance partout dans les grands centres européens de l’averroïsme, comme Paris, Montpellier, Padoue, la Sicile, Naples, Bologne et fut représenté par des auteurs illustres comme Boèce de Dacie, Siger de Brabant, et Jean de Jandun, mais son influence s’exerça même sur ses adversaires. Jacques le Goff a pu ainsi affirmer que c’est dans le milieux averroïste de la faculté des arts de Paris que s’élabore l’idéal le plus rigoureux de l’intellectuel. Bien qu’en utilisant une approche et une méthode différente de la sociologie historique, Alain de Libera, dans « Penser au Moyen Âge », met bien en lumière cette dette historique fondamentale que l’Occident doit à ce qu’il appelle « l’arabisme », et dans lequel l’averroïsme évidemment tenait une place majeure, dans la constitution de l’idéal intellectuel. Mais il provoqua en même temps l’incompréhension et, à partir de là, une sorte de légende noire dans laquelle se mêlaient l’hostilité, le scandale, l’opprobre, ainsi que les fantaisies imaginaires les plus étonnantes. Sa pensée fit l’objet de plusieurs interprétations théoriques fantaisistes. Et Alain de Libera a pu justement  écrire : « Aucun philosophe, sans doute, n’aura eu, dans l’histoire, à assumer plus de paternités théoriques douteuses. »  Jean-Baptiste Brenet nous renseigne sur les motifs et les raisons du scandale. Par sa théorie de l’intellect, Averroès sera compris comme le fossoyeur de la raison personnelle, de  la liberté, de la responsabilité. En effet, l’intellect n’est plus dans l’homme, pour l’homme, par l’homme, il était vu comme  extérieur à l’homme , séparé, unique et éternel. Le cogito Averroïste pourrait se formuler de la manière suivante : « je pense donc les choses existent », ce qui montre que la théorie de la raison (qu’on traduit par intellect) chez Averroès est tout à fait différente du cogito cartésien.  
I
En ce qui nous concerne, Averroès ne nous intéresse pas par le contenu de sa science ou par le substrat de sa philosophie. Il nous intéresse essentiellement par sa méthode d’analyse des grands problèmes philosophiques d’un côté et de la relation qu’il établit entre la science du sacrée et la philosophie d’un autre côté. C’est dire que dans les conflits idéologiques, religieux et politiques qui nous concernent aujourd’hui, Averroès nous intéresse par son regard philosophique sur le monde et par sa méthode d’examen des problèmes.
         Bien que participant directement aux assises idéologiques et religieuses de son temps, Averroès est un homme de la rupture et de la discontinuité. Il rompait en effet avec un principe « constitutionnel » de premier plan, celui du consensus communautaire, ijmâ’, en tant que source officielle de l’interprétation de la loi divine. Cette théorie du consensus communautaire avait fini non seulement par rigidifier la pensée politique et juridique islamique, mais, au surplus, avaient réussi à transformer en préceptes divins, portant par conséquent l’estampille du sacré, l’opinion des gestionnaires du sacré. Averroès prenait la liberté de relativiser la force du consensus communautaire, en particulier dans le domaine philosophique et théologique. Il en contestera l’existence même. Il prenait surtout la liberté de n’admettre cette impérativité de la loi divine que dans la mesure où elle était compatible avec les méthodes et les conclusions du raisonnement philosophique. Pour cette raison, ses ouvrages, nous rappelle Maurice Bouygues dans sa notice au Tahafot at Tahafot, exercèrent une influence que les chefs de l’organisation politique ou religieuse où il vivait, celle des Almohades,  n’avaient pas tort de juger néfaste[1], parce que politiquement dangereuse.
         Averroès, philosophe de la liberté : pour le montrer, nous privilégierons trois questions fondamentales : le rapport entre la religion et de la philosophie, la question du libre arbitre, et enfin son analyse de la nature et du principe de causalité. Vu sous ces trois angles, Averroès peut constituer pour nous, au XXIème siècle, une ressource inestimable pour alimenter « nôtre » argumentation contre tous les extrémismes.
Le face à face de la religion et de la philosophie
        Disons, à l’orée de ces développements, qu’apprendre à philosopher, c’est, en soi, apprendre à être libre. Comme le dit Souleyman Bachir Diagne, la philosophie est «… cette conversation, vive souvent, dans laquelle sont engagées des personnes qui savent ce que penser librement vaut, et veut dire, et que cela demande de se déprendre justement des significations immédiates dans lesquels nous retiennent les cultures et religions [2]». Averroès a su être un véritable philosophe, non pas seulement par son talent et sa maîtrise technique de la matière philosophique, mais également au sens que lui donne Nietzsche qui écrit dans Le Cas Wagner : « Quelle est la première et la dernière exigence d'un philosophe vis-à-vis de lui-même ? Vaincre son temps et se mettre « en dehors du temps ». Avec qui devra-t-il donc soutenir le plus rude combat ? Avec ce par quoi il est l'enfant de son temps »[3].  Bien que personne ne puisse être totalement au-dessus de son temps, nous pouvons cependant le considérer, avec Dominique Urvoy, comme un « intellectuel musulman ».        
        Averroès l'a montré évidemment sur le plan philosophique et épistémologique relativement à la grande question de la connaissance originelle sur la nature, Dieu, la liberté : est-ce la raison autonome ou le texte d'autorité qui les fait comprendre et les explique ? Et en admettant que ce soit le Texte, est-ce sa lettre ou son esprit?  La solution préconisée par le Tahâfut et le fasl al Maqâl est clairement en faveur de la raison universelle, al 'aql, et de l'effort individuel, ijtihâd, dans la lignée du Mu'tazilisme et fait frontalement face aux thèses déterministes des Jabrites, mais également des ash'arites.  Dans le domaine du droit, elle affronte le rigorisme du malékisme maghrébin défendu par les almoravides.
         Comme le souligne Mohammed Abid al Jâbri, Averroès répond aux théologiens et "gens de la loi" fuqahâ, ceux du moins qui avaient condamné le recours à la logique et la philosophie "des anciens" et jugé que les philosophes étaient des apostats, pour avoir violé le consensus, ijma', de la communauté des croyants[4] et pour avoir soutenu des thèses contraires au dogme et à la loi révélée.             
        Rappelons à ce propos qu’Ibn Sina affirmait que la Shari’a, contrairement à la philosophie, était le seul langage à la fois anthropomorphique, sensualiste, imagé et symbolique, intelligible, accessible à la masse, rustre et ignorante. La shari’a est donc la seule religion possible du peuple et ne représente pas la vérité profonde des choses. Autre manière de dire que le philosophe était délivré de cette connaissance formelle, purement symbolique et relative. Le philosophe doit aller au-delà de la lettre du Texte et de ses métaphores. Et c’était vraiment aller au-delà que de défendre les thèses suivantes :
1. la co-éternité de Dieu et du monde, parce que de l’Un divin ne peut dériver le multiple,
2. la connaissance, en particulier chez Farabi,  des seuls universaux kulliyât, par Dieu[5],
3. la réfutation de la résurrection physique des corps, le jour du jugement, pour cela, il faut donner du Coran une interprétation intellectualiste et imaginale[6], à la limite il pourrait s’agir d’une résurrection des corps, vécue en imagination, comme le souligne Jean Michot
4. enfin, dans le même sillage, la négation du paradis et de l’enfer, en tant que réalités matérielles.
        Pour ces raisons, la mise à l’index de la philosophie avait été proclamée par Ghazali qui visait en particulier Avicenne et Farabi, au motif qu’il s’agissait là de sciences païennes étrangères, contraires au consensus de la communauté sur des points de dogme, tels que la nature et les attributs de Dieu, la création de l’univers, la nature et ses lois. Le véritable enjeu intellectuel consistait à se prononcer sur la relation entre la religion et la philosophie comme l’avait fait Al Kindi au IXe siècle, plaçant les philosophes au rang d’héritiers du prophète[7]. Il écrit en ce sens dans son épître sur La philosophie première (al falsafa al ’Ûlâ), adressée au calife Al Mu’tasim : « Nous serons en garde contre les interprétations de tant de nos contemporains qui se font un nom de la spéculation, (et qui sont) des gens étrangers au vrai bien… ayant un entendement trop limité pour
connaître des méthodes qui mènent au vrai. …Souillés par l’envie qui s’est installée dans leurs âmes bestiales et dont les rideaux ténébreux dérobent aux yeux de leurs pensées la lumière vraie. Ils considèrent comme des ennemis audacieux et dangereux ceux qui ont les vertus humaines où ils n’ont pu atteindre, et dont ils sont bien loin, pour défendre leurs chaires usurpées qu’ils ont érigées sans en avoir le droit, mais plutôt pour dominer et pour trafiquer de la religion. Celui qui trafique de la religion n’a plus de religion. Il mérite d’être dépouillé de la religion celui qui s’oppose avec acharnement à ce que l’on acquière la science des choses en leurs vérités et l’appelle  incroyance »[8]. Se prononcer sur la prévalence de la philosophie revenait, en réalité, à relativiser la place du sacré et de la religion, en tant que fondement de la connaissance et source de l’organisation sociale.
         Pour ne considérer ici que l’aspect politique, il faut rappeler que la question de l’imamat ou du Khalifa, dont la théorie fut élaborée par Mawardi (m.1058) au XIème siècle, était intégrée aux questions théologiques, comme faisant partie des lois de Dieu. Ainsi, le grand exégète du Coran et théologien du XIe siècle, Abul Ma’âlî al-Juwayni (m. 1085), malgré son refus de considérer l’imamat comme une question de dogme, reconnaîtra cependant que son fondement se trouve dans la religion et non, comme le veulent les mu’tazilites ou les philosophes, dans la raison et que sa nature, son encadrement et son organisation sont prescrits par les lois de Dieu ( Ahkâm allahi ta’âla fi a-Za’ama)[9]. Il écrivait dans le Ghiyathi que l’obligation d’instituer l’Imam, était imposée par la loi divine et non par la raison humaine (wujûb a-naçb mustafâdun mina a-shar’ al manqûl ghayru mutalaqqa min qadhaya al-‘uqûl)[10]. Nasafî, au XII ème siècle en fera de même dans ses ‘Aqa’id (profession de foi sunnite). Plus tard un auteur comme Taftazâni (m.1390) commentant les ‘Aqâ’id de Nasafi (m. 1142), suivra le même chemin. En revanche, Farabi, bien avant eux (m. 339.950), dans le Kitâb Al Milla, affirmait expressément que la science politique était une partie intégrante de la philosophie (‘al ‘ilm al-madanî juz’un mina al falsafa)[11].
        Cette querelle était fortement présente dans le milieu andalou d’Averroès. C’est ainsi que, en 1081, Abul Walid al Baji écrivait dans sa Wasiyyya : « Il ne faut lire que peu de logique et de ce qu’écrivent les philosophes, car c’est bâti sur l’infidélité, l’impiété et l’éloignement de la loi religieuse. Il ne faut les lire que pour connaître leur utilité afin de faire une législation, et seulement à condition de servir la religion. Dans le Coran se trouve ce qui suffit[12] ».  Plus tard, au XIVème siècle, Ibn Taymiyya reprendra l’anathème dans sa Réfutation de la logique (naqdh al Mantaq) aussi bien contre les philosophes que contre les théologiens, mutakallimûn.
          Ce fameux consensus de la communauté des croyants constituera, jusqu'à nos jours, à la fois le bouclier et le barrage contre lesquels viendront se briser les lames de la pensée innovatrice et critique. Chez Averroès, il ne s'agit pas de dresser la philosophie contre la religion, ni l'inverse. Il s'agit de légitimer la philosophie à l'égard du Texte sacré. Il le dit dès le début du fasl, en se référant au verset 7 de la sourate Âl ‘Umrân qu’il lit et interprète à sa manière, en jouant en quelque sorte sur la ponctuation. C'est en ce sens qu'il peut introduire un islam de la liberté, contre un islam de l'hétéronomie et de la contrainte.          
          Averroès affirme en ce sens : « Le but de notre propos est d'examiner, du point de vue sharaïque, si la réflexion sur la philosophie et les sciences de la logique est autorisée par le Shar', ou si elle est prohibée ou ordonnée obligatoirement ou à titre de recommandation.  A ce titre, nous disons: Si l'acte de philosopher n'est rien de plus que s'interroger sur les choses créées et les considérer en tant que preuve de leur créateur, je veux dire, en tant que créatures, alors les choses existantes sont les révélateurs du Créateur par la connaissance de leur mode de création. Et plus la connaissance du mode de création est achevée, plus celle du Créateur est parfaite ». Or le shar' nous enjoint, par le Texte, à considérer rationnellement l'univers. Ainsi, chez Averroès le précepte religieux devient le fondement de cette réflexion autonome qu'est la philosophie. Là est la différence essentielle entre le kalam, « science de Dieu » dont l'unique ambition est de prouver, par la spéculation, la véracité de Dieu, des prophètes et de la religion, du point de vue islamique, et la philosophie averroïste, science autonome légitimée du point de vue religieux.     Cela suffit sinon à réfuter totalement, du moins à relativiser, la thèse d’Ernest Renan d’après laquelle l’émergence de la philosophie dans la civilisation islamique s’est faite non pas grâce à l’islam mais contre lui, dans la mesure où l’islam est à la fois hostile à la philosophie et à la science.     

          Bien que la pensée d’Averroès, à travers ses différents écrits, ne soit pas d’une limpidité, ni d’une cohérence parfaite, comme l’a montré Herbert A. Davidson,[13] sa théorie de la raison universelle, al ‘Aql, se retrouve en réalité dans les trois autres axes fondamentaux de sa philosophie : la question du libre arbitre,  l’idée de nature et de lois naturelles et ensuite le principe de causalité. Il existe pour lui une rationalité générale qui gouverne l’univers et que nous retrouvons dans l’ordre de la nature, elle-même soumise au principe de causalité. Sans cela, il ne pourrait y avoir ni connaissance, ni philosophie, ni science.
La question du libre arbitre
On sait que la querelle du libre arbitre a divisé la théologie. Les Mu’tazilites, pour justifier la pleine justice de Dieu défendaient la doctrine du libre arbitre. L’homme est libre parce qu’il peut choisir entre deux actions contraires et s’il n’en était pas ainsi, Dieu serait une aberration. Les Ash’arites étaient partisans d’un déterminisme médiat qui aboutissait, comme chez Ghazâli, à imputer à Dieu le bien et le mal. Trop authentiquement philosophe pour admettre la théorie du libre arbitre, Ibn Rushd n’acceptait pas plus le déterminisme à la manière d’Al Ash’ari. La liberté existe mais elle est conditionnée.
       L’analyse d’Ibn Rushd dans les “Manâhij...” part du constat que les sources scripturaires se contredisent. Certains versets du Coran consacrent le principe de nécessité et de la prescience di­vine. D’autres, en revanche, penchent vers le principe d’indifférence. Il en est de même des ha­diths. C’est ce qui explique, dit Ibn Rushd, que les musulmans se soient séparés sur cette question en partisans du libre arbitre (Mu’tazilites), partisans du déterminisme (Jabriya) et doctrine inter­médiaire des Ash’arites.
        La position des Ash’arites, purement formelle, dit Ibn Rushd est à rejeter. Car il ne peut y avoir de situation moyenne entre le libre arbitre et la nécessité. Ibn Rushd, par ses idées sur le principe de causalité, ne pouvait assurément pas adhérer à la doctrine du libre arbitre mu’tazilite, construite de toute pièce pour justifier la justice de Dieu. La thèse d’Ibn Rushd est la suivante : “... Dieu nous a dotés de forces par lesquelles nous pouvons obtenir des choses contraires. Mais cette acquisition des choses ne peut se faire que parce-que les causes que Dieu a réunies pour nous de l’extérieur surviennent, par la cessation des obstacles qui les empêchaient. Les actions qui nous sont imputées se réalisent par la conjonction des deux éléments. S’il en est ainsi, nos actes se font donc par notre vouloir et par les causes extérieures, qu’on appelle volonté de Dieu (qadar Allah). Ces causes ne sont pas simplement des compléments ou des empêchements à l’encontre de nos actes, mais constituent la cause déterminante pour laquelle nous voulons l’un ou l’autre. La vo­lonté (Irada) est une inclination produite par l’imagination ou la croyance en une chose. Mais cette croyance n’est pas le fruit de notre choix (libre arbitre = Ikhtiyâr), mais c’est quelque chose qui survient par suite de phénomènes extérieurs. C’est ainsi, par exemple, que si une chose désirable se présente à nous de l’extérieur, nous la désirons nécessairement, sans choix, et nous y ten­dons... » Et comme les causes extérieures se déroulent selon un ordre précis, et une succession causale (Tartîb mandhûd) sans failles, selon l’ordonnancement que le créateur a voulu pour elles, et que notre volonté et nos actes ne se réalisent et n’existent globalement, que par l’accord des causes ex­térieures, il est donc obligatoire que nos actes se déroulent selon un ordre déterminé, c’est à dire qu’ils existent en un temps donné et selon les déterminations particulières (Miqdârun mahdûd). Ceci est nécessaire parce-que nos actes sont causés par des causes extérieures. Et tout effet, étant l’effet de causes, précises et déterminées, il s’en suit qu’il est lui-même nécessaire, spécifique et déter­miné” [14].

La nature des choses et le principe de causalité.
Ces causes extérieures ne sont évidemment pas soumises au hasard ou à la fantaisie du créateur. Elles sont soumises à un ordre, c’est-à-dire à des lois naturelles, rationnelles et nécessaires. Autrement dit, dans la nature il n’y a point de contingence. La raison dont il est question ici n’est pas la raison « en nous », mais une raison « en soi », connaissance du système et de l’organisation de l’existence dans les choses, une raison supérieure, transcendante, responsable et cause générale de l’ordre et de la nature des choses existantes et de leur organisation[15]. À lire le Tahafut, on a parfois l’impression qu’il existe une identification du créateur, de la raison et de la nature qui pourrait donner lieu à une interprétation panthéiste de la philosophie Averroïste. En tout état de cause, la thèse d’Ibn Rushd prend le contrepied des positions théologiques. Répondant directement à Ghazali dans “Tahâfut a Tahâfut[16]. Ibn Rushd écrit : 
       “Il est évident que les choses ont des natures propres (dhawât) et des caractères (çifât). Les actions particulières de tout existant en découlent. Il en découle également que les choses ont des natures, des qualificatifs et des définitions (Hudûd) différentes.
      Si l’existant pouvait être sans agir spécifique, il n’aurait pas de nature. Et s’il n’avait pas de nature, il n’aurait ni qualificatif, ni concept (hadd)[17] ”. Ibn Rushd explique que l’agir spécifique découle

d’une nature spécifique, et que l’être des choses dépend de la nature des choses, et que sans nature des choses, c’est le néant (idha irtaf’at tabi’atu al mawjûd, lazima al ‘adam) [18].
       Ayant donc affirmé l’idée de nature (contre la théorie de “l’iqtirân” ou du “tajwîz “ ou de la “ ’ada”) Ibn Rushd ajoute par la suite que cette nature est régie par la loi de causalité, principe liant nécessairement les “causants” et les “causés” (Sabab et musabbabât). Tout causé, dit Ibn Rushd, est causé nécessairement par le jeu des quatre causes : agent, matière, forme et objet [19]. Ceci nous conduit directement à la théorie de la connaissance que notre philo­sophe définit ainsi :
“La raison n’est rien de plus que la connaissance (idrâk) des choses (Mawjûdât) par leurs causes... qui supprime les causes, supprime la raison... La connaissance des effets n’atteint son achèvement que par celle des causes. Sans cela, la science (‘ ilm) n’existerait pas” [20]. Le cheminement du raisonnement est ici d’une parfaite clarté : de la nature, au principe de causalité et du principe de causalité, au principe de la connaissance et de la science.
       C’est donc selon cette optique étonnement moderne, que reprendra Spinoza, dans l’Ethique[21], qu’Ibn Rushd comprend ce que les musul­mans appellent “qadha et qadar”. La thèse averroïste se situe par conséquent entre les deux extrêmes du déterminisme absolu des Jabrites et du libre arbitre, philosophiquement insoutenable.
Averroès et le droit
Averroès a également révélé ses perspectives novatrices dans le domaine du droit, par ce projet de mettre en accord les préceptes de la charia avec les exigences de la raison philosophique. Pour Averroès, la raison n'est pas uniquement un simple instrument au service de l'interprétation. Il s'agit, au contraire, d'une raison fondatrice, source de la connaissance. En réalité, cette dernière doit avoir le dernier mot, puisque les règles de la charia doivent être interprétées à la lumière de l'examen rationnel de la nature des choses, ce qui en fait évidemment une raison législatrice. La raison instrumentale intervient pour la soutenir, notamment par la méthode de l'analogie, qiyâs.
         Cette perspective, Averroès va la mettre en application au sujet du statut de la femme. Sur ce plan, il va renverser l'ordre établi du savoir juridique. Dans son commentaire sur La République de Platon, Averroès adopte le point de vue ontologique de l'unité du genre humain, sur le plan de la substance. Il affirme clairement que, de ce point de vue, la femme et l'homme relève d'une seule et même substance, celle du Insan, concept générique qui ne connaît ni féminin ni masculin. Il en tire la conclusion que la femme est apte à exercer toutes les fonctions, toutes les activités habituellement dévolues à l'homme, y compris la guerre et la direction politique de la cité et même la direction de la prière.  Dans son ouvrage consacré aux droits, Bidâyat al mujtahid, il adopte des positions qui tranchent avec les écoles juridiques fermement établies dans la culture islamique. Ibn Roshd a été l'un des premiers ennemis du conformisme, taqlîd. Il le montre clairement dès l'introduction de Bidayat al mujtahid. Sur cette question, on pourra se reporter utilement à l'article de Ahmed Abdelhalim Atiyya, traduit en français par Zouheir Mednini et qui s'intitule "Le statut de la femme dans la pensée d'Ibn Rochd"[22].



             Au fond des choses, le problème majeur de l’islam vient de sa relation entre la foi et la loi, pour la raison que les musulmans, en général, pensent que la loi fait partie de la foi. Averroès « et les autres », nous dirons lesquels, ont entrepris l’effort de déconstruction de ce système.
                      II
Avant d’aborder cet effort de déconstruction, rappelons qu’il existe certains auteurs, assez rares, comme ibn Warraq[23], Rashâd Khalifa[24], Hamid Zanaz[25] ou Taslima Nasreen[26], qui ont fait le choix de quitter totalement le giron de l’islam et de  la charia et de se placer sur le seul terrain de la modernité et des droits modernes. Pour ceux-là, l’islam n’est pas réformable, structurellement parlant[27]. Il est par nature totalisant, refuse la liberté individuelle, prône la violence. Je n’entrerai pas dans une discussion de fonds avec cette tendance d’inspiration renanienne [28]. Pour l’instant, je me contenterai de dire à tous ses adversaires que tant que la vie ou la tranquillité de ces penseurs de la rupture seront menacés, cela constitue une preuve suffisante que leur opinion est juste. Il n’existe qu’une seule manière de prouver qu’ils ont tort : les admettre. A cette seule condition, on serait en droit de s’opposer à leurs thèses. Cela veut dire que, au niveau de la culture, le véritable enjeu d'avenir du monde musulman tourne autour de la liberté de pensée et de conscience.
       Mise à part cette attitude de rejet total de l’islam par des musulmans d’origine, il nous reste deux perspectives à prendre en considération au sujet de rapport entre la foi et la loi : la première, la plus radicale, tente de remettre en cause fondamentalement le principe que la loi fait partie de la foi, la deuxième, évolutionniste ou réformiste, essaye de jouer sur les ressources de l’interprétation pour adapter la loi aux exigences du temps. Ses perspectives ne sont pas simplement théoriques ou abstraites. Elles correspondent à des expériences concrètes, à des vécus collectifs, à des phénomènes de caractère anthropologique et historique, comme l’a montré Shahad Ahmed, dans: What is islam ? Ce qui montre que le système de la normativité islamique, fondé sur la théorie des sources du droit, inaugurée par Shaf‘i au VIIIème siècle et sur la procédure de l’abrogeant et de l’abrogé ne constitue ni un monopole théorique, ni un monopole historique.
1.  A des degrés divers, les mystiques de l’islam, Ibn ‘Arabi, Hallaj, Ibn Al Fâridh, Jallal Adddine a-Rûmî, Suhrawardi, Abdelkarîm Al Jîlî, qui constituent une synthèse de la géographique civilisationnelle islamique, relativisent la place de la charia dans la religion ou lui assignent un rôle purement utilitaire dans la relation politique entre gouvernants et gouvernés. Pour certains d’entre eux, lorsque jaillit la lumière de la vérité, la loi se trouve quasiment abolie. Idha dhaharat al haqâ’iq batalat a shrâ’i. Abu Sahl a Tustâri, l’un des grands soufis exégètes du Coran, affirmait : Les ‘ulama ont un secret, si Dieu le révélait les lois seraient abolies. «lil ‘ulamâ’i  sirrun law adh harahu allahu la batalat al ahkâm [29]». Autrement dit, les gens de la loi, les fuqahâ, n’était pas vraiment en odeur de sainteté chez les soufis. Ibn ‘Arabi jugeait que : « Les gens de la loi ont toujours été dans leur rapport avec les gens de la connaissance authentique, dans la même situation que les pharaons par rapport aux prophètes », « wa mâ zâlat al  fuqaha fi kulli zamanin ma’a l muhaqqiqîne bi manzilat al farâ’ina ma’a nabiyyine [30]» . Quant au poète Hafidh de Shiraz il osa affirmer dans l’une de ses odes, Ghazal : « Si un homme de la loi vient t’admonester contre les plaisirs de l’amour, offre lui une coupe de vin ; et demande lui de renoncer à son état d’esprit[31] ». Cette sorte de dégradation de la loi dans l’ordre de la religion leur sera férocement reprochée par Ibn Taymiyya.
         Pour certains Sufis, la Shari’a ne s’adresse qu’aux communs des mortels, non aux âmes acquises à Dieu. Pour eux, le verset : “Adore ton Dieu jusqu’à ce que la connaissance vraie te parvienne” [32] signifiait que l’illuminé qui avait atteint la passion mystique était délivré des contraintes du culte extérieur et de l’ensemble de la Shari’a. Ibn Arabi, le grand mystique andalou du XIIème siècle, était accusé par Ibn Taymiya, de dévaloriser, l’impérativité du licite et de l’illicite, de nier le harâm (prohibition sharaïque)[33], pour n’y voir qu’un simple usage. Ces mystiques devenaient pour l’islam de la loi, des hommes sans religion et Ibn ‘Arabi, le cheikh al Akbar fut qualifié de A Cheikh al Akfar. Souvenons-nous de la poésie d’Ibn Arabi dans laquelle il affirmait que son âme était le réceptacle universel de la nature et de l’esprit : à la fois pâturage pour les gazelles, monastère pour les anachorètes, temple païen, Mecque pour les pèlerins, tables de la Torah, Muçhaf coranique. On ne peut concevoir meilleure manière de poser le principe d’une fraternité universelle, fondée sur l’amour, par l’effet de l’unité du genre humain[34]. Ici, la loi est remplacée par l’amour.
Certains partisans du bâtin (for intérieur par opposition au for extérieur) parvenaient même, aux yeux de la théologie légitimiste de Ghazâli et d’Ibn Taymiya à des “états licencieux” (Ibâha) faisant fi des lois morales et des obligations légales strictement dé­finies par la Shari’a.
          Cette liberté par rapport aux normes du licite et de l’illicite ouvrait les portes d’une autre liberté, celle de l’être croyant lui-même, liberté de vivre sa foi sans contrainte de la loi, en particulier la loi juridique. En d’autres termes, la religion islamique, dans cette perspective, prend la forme concrète d’une religion du for intérieur, abandonnant les affaires politiques et juridiques à l’Etat. La théorie de la souveraineté juridique de l’État se substitue, dans ce contexte, à la théorie de « l’État de religion », défendu par Ghazali ou Ibn Taymiyya. L’idée même d’une religion du for intérieur a toujours été refusé par la doctrine théologico-législative, de même qu’elle est aujourd’hui totalement refusée par l’ensemble de l’islam politique, aussi bien celui des Etats, comme l’Arabie Saoudite, le Pakistan, la Mauritanie, que celui des mouvements politiques islamistes, quelles que soient leurs tendances.
         Le système historique de la normativité islamique repose sur un principe constitutionnel d’identification de l’État et de la religion. La théorie du califat, telle qu’elle a été systématisée par Mawardi (m.1058), dans Al Ahkâm a-Sultâniyya, ou par Juwayni à la même époque, ou encore par Nassafi, insiste sur le fait que le pouvoir en Islam constitue une fonction religieuse, puisqu’il est chargé des affaires du monde et de l’après monde, en qualité de successeur du prophète. Plus exactement, nous sommes dans un système où l’État et le droit sont théoriquement, au niveau des principes, au service de la religion. On pourrait appeler ce système celui de « l’État de religion ». Un législateur ne peut se concevoir dans ce système, puisque le législateur est Dieu lui-même ou son prophète qui devient donc le premier législateur humain. L’absence de législateur commun ouvrait évidemment les portes à l’invasion des interprètes, c’est-à-dire les exégètes du Coran, les savants du hadith prophétique, les califes, les muftis, les juges, toutes ces catégories que la théorie politique sunnite intègre dans le concept de « Gens qui lient et délient » Ahl al Hal wal Aqd.
       Après la chute du califat ottoman en mars 1924, Ali Abderraziq publie « L’islam et les fondements du pouvoir », Al islam wa Usûl al Hukm[35]. Dans cet ouvrage, il entendait répondre à ceux qui ont prétendu, comme Rachid Ridha[36], que l’institution du califat était une obligation religieuse. Il remet totalement en cause cette théorie ultra séculaire du califat sunnite. Il développe tout d’abord l’idée que le prophète était chargé d’un message à caractère purement spirituel et que les fonctions politiques qu’il a incidemment exercées dans la cité de Médine ne faisaient pas partie de l’essence de sa mission prophétique. Il affirme par exemple, en se basant sur certains versets coraniques, qu’il n’y a pas de différence de nature entre la mission du Christ et celle de Mohamed. Sa conclusion, il l’a résumée en une formule saisissante sur la nature de l’œuvre mohamadienne : Risâlatun lâ hukm ; dînun lâ dawlah. Le prophète, par conséquent, n’avait nullement l’intention de fonder ou d’instituer un Etat déterminé. La théorie du califat perd sa raison d’être. Elle n’a été que le résultat de la politique impériale des Etats, aidée en cela par le travail des interprètes qui l’ont arbitrairement consacré comme une obligation religieuse, en tant que poursuite temporelle de la mission prophétique. Cette invention du califat a fini par prendre le caractère d’un véritable credo religieux dans l’esprit du peuple musulman. Ali Abdurraziq détruit ainsi des siècles de construction théorique autour de la cité musulmane.
        Un autre exemple significatif de cette rupture radicale du mode de pensée politique classique, se retrouve dans la pensée de Mahmoud Mohamed Taha, interdit de lecture et pendu pour les mêmes raisons qui aboutirent à la condamnation et à la mort de Hallaj.  Il s’agit d’une déconstruction épistémologique à partir d’un examen de la théorie des sources de la loi en Islam, fondée sur la doctrine de l’abrogeant et de l’abrogé et qui a pour conséquence que le corpus fondé sur une adhésion libre au message purement spirituel de l’islam s’est trouvé distancer et rétrogradé par rapport au corpus législatif. En 1967, cet auteur a publié un ouvrage intitulé Le deuxième message dans l’islam, a Rissala athâniyya mina l islâm[37]. Il distingue dans le corpus coranique deux messages ou encore, il le dit expressément, deux islams. Celui de la Mecque essentiellement, purement spirituel qui n’a aucune implication à caractère juridico-politique. Il s’agit d’un message de charité, de moralité, de paix, concentré sur le bien et la vertu. Pour l’auteur, ce message a un caractère universaliste. L’autre message, celui du corpus coranique médinois, englobe des normes circonstancielles et contingentes, valables pour le temps de la prophétie et le redressement des mœurs barbares de la jahiliyya, au cours de la période médinoise. C’est ce message, quasiment contingent, qui a été par la suite consacré et canonisé par l’empire islamique aidé par la classe des fuqaha et des théologiens. Les circonstances ayant changé, l’ordre des deux messages doit être renversé. Il faut donc abandonner le premier message dont la normativité ne correspond plus aux exigences de notre temps, au profit du second message éthique, universaliste et spirituel de l’Islam.  Ce message élève au plus haut degré la libre volonté et la liberté absolue de l’individu quel qu’il soit [38]. Tel est d’ailleurs le sens profond du culte et de la charia[39]. Reprenant la distinction des Sufi entre le caractère ésotérique de certains versets coraniques et le caractère exotérique de certains autres[40], remettant en cause la théorie de l’abrogeant et de l’abrogé, un pilier fondamental de la pensée religieuse en Islam, il estime que la logique du deuxième message de l’islam entraîne la prééminence des significations profondes mais voilées sur les significations formelles qui ne font appel qu’au sens. Pour lui, l’essence de la religion islamique se limite à la dignité humaine, par l’intermédiaire de sa liberté absolue, vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis du monde, et vis-à-vis de la société. Par conséquent, par le biais de cette distinction entre les significations voilées et les significations apparentes, l’auteur en arrive à affirmer que toute la législation concernant la séparation des sexes, l’esclavage, l’inégalité homme femme, la polygamie, la répudiation, le hijab, ne font nullement partie du véritable message de l’islam. Il plaide par conséquent pour un islam égalitariste sur le plan économique et social, démocratique sur le plan politique.
          Mohamed Arkoun adopte une méthode différente. Il procède à une déconstruction des fondements de l’orthodoxie, par l’examen historique ou sociologique des conditions d’émergence de cette orthodoxie. Il entreprend de démonter les mécanismes par lesquels s'est institué le savoir religieux en islam et, par là même, l'une des facettes de la direction sociale. Savoir et pouvoir sont indissociables : le pouvoir politique, dans les sociétés pré modernes, a toujours besoin de la force religieuse pour légitimer sa domination. Tandis que les gestionnaires du sacré ont besoin du pouvoir politique pour asseoir leur autorité. Dans les deux cas de figure, il faut assurer soit la mobilisation, contre l'ennemi extérieur, contre les hérésies, contre le pouvoir lui-même, soit la discipline au service de l'ordre social établi. C'est ainsi que se forme l'orthodoxie.
Au cours de sa carrière d'universitaire et d'intellectuel, Mohamed Arkoun a situé sa réflexion sur les conditions intellectuelles du développement et de la réforme du monde musulman. Il n'a pas choisi, contrairement à ce qui a pu parfois être affirmé, de quitter le territoire de l'islam. Il a plaidé tout simplement pour un islam rajeuni, offrant au monde non par l'image d'une religion sclérosée, intolérante, violente, inaccessible à la liberté moderne, mais celles d'un islam, à la fois religion et culture, ouvert et humaniste. En ce sens, Mohamed Arkoun me semble être un véritable et authentique défenseur de l’islam
Sa démarche peut être résumée en trois points.
a)             Le constat d’une crise de la pensée. Il s'agit d'une crise du présent et du passé, la seconde expliquant la première. Les indépendances ont échoué aussi bien dans le travail d'édification d'une économie moderne que dans celle de l'émergence d'une pensée libérée et libératrice. Mohamed Arkoun explique comment le travail de l'orthodoxie, celle du pouvoir et du savoir, a réussi à édifier l'univers de l’impensé et de l'impensable, c'est-à-dire à faire passer le message prophétique de l'ouverture à la clôture.
b)             La déconstruction de la pensée religieuse orthodoxe.  Appliquant à l'islam des méthodologies inspirées des travaux de Roger Bastid, Fernand Braudel, Michel Foucault, Marcel Gauchet, René Girard, Arkoun démonte les mécanismes de transcendantalisation, d'idéologisation et de manipulation que la pensée islamique théologique et juridique a connus par le fait de cette alliance entre les intérêts du pouvoir politique et la classe des oulémas. Mohamed Arkoun entreprend de démonter et déconstruire cette pensée, par recours à « L'islamologie appliquée ».
                    c)  L’appel pour la reconstitution de l’humanisme islamique. Les premiers travaux de Mohamed Arkoun ont porté sur l'humanisme arabe au IVe/ Xe siècle. La finalité de sa démarche consiste précisément à revenir à cet esprit humaniste qui caractérisait la culture islamique. Comme il l'affirme lui-même : « je n'ai fait qu'élargir, dans un contexte de modernité, l'attitude intellectuelle qui caractérise précisément l'humanisme arabe du Xe siècle. » Cet humanisme arabe se révèle évidemment dans cette écriture libre, critique et ouverte d’un Jâhidh (767-867) ou d’un Ibn al Muqaffa’(720-756, ou des majâlis  de Abu Sulaymân a Sijistani ( 910-985) auquel appartenaient Abu Hayân a Tawhîdî (930-1023) et Miskawayh (932-1030), sans oublier Abu l Qâçim al Hariri ( 1054-1122).

         Le dernier exemple que nous pouvons évoquer, dans le même sens, est celui de Mohamed Chahrour et son ouvrage fondamental publié en deux versions, celle de 1990, Le livre et le Coran. Une lecture contemporaine الكتاب والقرآن – قراءة معاصرة, et une deuxième version, en 2011, sous le titre de « Le livre et le Coran. Une nouvelle optique »[41] الكتاب والقرآن – رؤية جديدة. Bien que parfois obscur, l’ouvrage brille par un apport théorique d’une extrême originalité. Nous ne pouvons ici entrer dans le détail du canevas théorique de l’ouvrage. Je me contenterai de rappeler que l’auteur remet en cause non seulement la construction juridique historique des docteurs de la loi, mais va même jusqu’à remettre en cause et relativiser les principes relatifs au domaine du culte lui-même ‘ibadât, comme la prière, le jeûne du ramadan, la Zakât, les interdictions alimentaires, le pèlerinage à la Mecque. Pour l’auteur, toutes ces règles sont interprétables et adaptables. A l’instar de Mahmoud Mohamed Taha, il conteste tout d’abord l’ensemble de la théorie de l’abrogeant et de l’abrogé autant qu’il conteste la théorie du consensus, al ijmâ’. Il estime que le message du prophète Mohammed qui constitue le noyau de la révélation ‘Umm al Kitâb est éternel, non pas par la forme ou la substance de sa lettre, mais par ses principes moraux universels, ses dix commandements moraux, mais surtout par sa force d’adaptation aux différentes circonstances de temps et de lieu. C’est en ce sens que nous pouvons affirmer que l’islam est une religion valable en tout temps et en tout lieu. Ce message est pérenne, parce qu’il est adaptable. Par ailleurs, il considère que les règles juridiques doivent être interprétées à la lumière des circonstances qui prévalaient à l’époque du prophète. D’ailleurs, ces règles ont pu être suspendues, soit par le prophète lui-même, soit par ses successeurs Autrement dit, ces règles sont des règles circonstancielles. Il en est ainsi par exemple des règles concernant le jihâd, les successions, les peines pénales, hudûd. Le travail des docteurs de la loi n’a aucunement un caractère sacré, il appartient au patrimoine et ce n’est qu’arbitrairement qu’il a pu être rattaché à la religion. L’auteur plaide en définitive pour une religion islamique totalement ouverte, foncièrement évolutive. Il critique sévèrement l’ensemble du patrimoine normatif islamique. L’auteur écrit à ce propos : «…depuis l’ère du calife al Wâthiq, le pouvoir s’est affaibli, l’ijtihad a été interdit, la pensée a été réprimée. La pensée islamique s’est alors résorbée dans une sorte de science juridique au service du pouvoir. A partir de ce califat, les fonctions essentielles des docteurs de la loi ont consisté à réprimer la libre pensée, pour faire accepter par les gens du peuple leur condition misérable et leur faire admettre le pouvoir en place ». Plus loin, il ajoute : « Leurs missions essentielles ont consisté à contenter la masse du peuple pour les distraire de leurs véritables problèmes. L’islam a été ramené aux règles concernant les ablutions et leurs contraires, les prières et leurs contraires, l’impureté et la purification des corps, la vestiture de la femme et de l’homme, les règles du pèlerinage ». Autrement dit, les fuqahâ sont les responsables de la dégradation et de l’appauvrissement de la pensée en terre d’Islam. Sa conclusion finale consiste à écarter toute la tradition concernant la normativité islamique pour redonner à l’islam toute la vigueur de sa jeunesse, de sa tolérance, de sa capacité d’adaptation, de son universalité.
         La désintégration du système de la normativité islamique va aller très loin, jusqu’à toucher les sources mêmes du système, non pas seulement au niveau du consensus communautaire, mais, au niveau du Texte lui-même, dans sa partie prophétique. En effet, Rachid Illel, en 2016, a publié un ouvrage intitulé le Sahih de Boukhari, la fin d’une légende, dans lequel il démontre que ce recueil des dires et actes du prophète considéré comme sacro-saint chez les sunnites, à tel point que certains auteurs comme Subki, admettent la possibilité pour un hadith d’abroger un verset coranique, n’est, scientifiquement parlant, qu’une fabrique de faussetés et de contrevérités historiques, qui non seulement remettent en cause l’authenticité du texte lui-même et de la chaîne de ses transmetteurs, mais également l’existence de son auteur. La fabrique du texte a été essentiellement influencée par les circonstances politiques et sociales de chaque époque.
2. Ce dépouillement de l’islam de son corpus normatif à caractère juridique, a connu évidemment des variations considérables au cours de l’histoire. Il réapparaît dès le XIXe siècle, tout au cours du XXe siècle et se poursuit encore de nos jours dans des perspectives évolutionnistes, modernistes ou réformistes. En 1891, Syed Ameer Ali (1849-1928) faisait paraître « The spirit of islam ». Il visait à faire prévaloir l'esprit de tolérance, de raison et de justice du message prophétique sur la loi formelle ou sa canonisation historique par le travail des Oulémas [42]. Il considère que le discours du Prophète sur le mont ‘Arafât, lors du dernier pèlerinage, est l’équivalent du « Sermon sur la montagne » (The Sermon on the Mount). Pour lui, l’esprit de l’Islam n’a rien à voir avec la législation des droits dont la source essentielle provient des coutumes inégalitaires et injustes. L'esprit de l'islam s’inspire de l'humanisme rationaliste. À partir de Ameer Ali, la mise à l’écart du système de la normativité islamique allait se développer de plus en plus. Mohamed Iqbal, sans nier l’existence des règles éthiques et juridiques dans le texte coranique, a clairement affirmé que le Coran « n’est pas un code juridique »[43] et que son objectif essentiel consistait à imbiber le cœur des plus hauts degrés de conscience de son rapport au créateur et à la création.  Cela rompt cet indissoluble lien entre le texte sacré, ainsi dépouillé de sa positivité légaliste, et le droit positif. L’idée sera reprise par Malik Fazlur Rahman[44] ou par Nasr Hamed Abu Zaïd.
Pourtant Iqbal admettait le caractère unitaire de la cité islamique, religieuse et civile, « sur le modèle de la république platonicienne », disait-il judicieusement. Il admettait également que le Coran est la source fondamentale de la shari‘a, en tant que Loi générale et directrice du monde humain, qu’il posait l’unité entre la religion et l’Etat, entre la morale et la politique, en un seul corps de révélation[45]. Il admettait même que l'État, aux yeux de l'islam, est une tentative de réaliser la spiritualité dans l'édification de la société.
Cela étant posé, il est à remarquer, ajoute-t-il, que le Coran considère l'univers comme un univers évolutif. De ce point de vue, le Coran ne peut être hostile à l'idée de l'évolution, sauf qu’il convient de ne pas oublier que l'existence n'est pas exclusivement rupture, mais qu’elle englobe nécessairement des éléments stables et continus, qui font la jonction entre le passé et le présent. Le conflit de l'existence, précise-t-il, provient précisément de cette unité indispensable, bien que paradoxale et même contradictoire, entre un présent créatif et novateur, et un passé génétiquement ancré dans notre conscience[46]. Nulle société ne peut renier son passé, parce que ce dernier est le marqueur essentiel de son identité présente, de sa continuité dans l'histoire, de son unité.
Partant, il revient au rationalisme moderne de revoir les institutions existantes. L'œuvre de réforme, par conséquent, doit s'inscrire dans cette perspective.
Analysant ensuite plus spécialement la législation coranique, Iqbal estime que ses principes sont des principes directeurs caractérisés par leur souplesse. Ces principes sont loin d'exclure la réflexion ou « l'activité législatrice ». La liberté de pensée, dit-il, est au cœur de l’islam. C'est cette liberté qu’assumèrent pleinement les premières générations de fuqaha, à l'instar des jurisconsultes romains. La liberté débouche forcément sur la libre activité législatrice. Ce travail d'édification ne doit pourtant pas être considéré comme un travail définitif, contrairement à ce qu'ont prétendu les ‘ulama, par la suite. De ce point de vue, Souleymane Bachir Diagne a raison de souligner que pour Iqbal «… le temps n’est pas à l’extérieur à la religion mais sa texture. Le temps n’est pas… l’épreuve qu’il lui faut surmonter, mais il constitue son auto déploiement même : le temps est Dieu[47] ». Par conséquent, Iqbal se range du côté de ceux qui revendiquent une nouvelle herméneutique du texte coranique à la lumière de leurs propres expériences et de l'esprit du temps présent. En ce sens, il écrit : « Le point de vue du Coran sur l'existence, en tant que création évoluant et progressant par degrés, implique que chaque génération dispose du droit de s'inspirer du patrimoine hérité des ancêtres, sans, toutefois, que ce patrimoine nuise à la propre capacité de chaque génération de réfléchir et de juger et de régler ses problèmes particuliers. »[48]
La vie, précise-t-il, étant caractérisé par le mouvement, l’ijtihâd, constitue, en islam, le socle de ce mouvement existentiel, vital, qui anime toute société humaine [49]. Après avoir rapporté les hadiths prophétiques qui vont dans ce sens, après avoir expliqué longuement les causes profondes d'ordre théorique et pratique qui expliquent le recul, pour ne pas dire le gel de la pensée islamique, après avoir analysé certaines tendances des mouvements réformateurs qu'il compare d'ailleurs au protestantisme en Europe, il affirme que la charia islamique est totalement ouverte aussi bien à l'évolution, qu'à la création.
Appliquant ses idées à la question de l'inégalité entre l'homme et la femme découlant, apparemment, de l'inégalité de traitement, par exemple en matière successorale, il faisait cependant prévaloir l'esprit de la loi sur sa lettre, par référence au verset 228 de la sourate de La Génisse : « Elles ont autant de droits que de devoirs »[50].
 C’est avec plus de force, et plus de radicalisme, qu’en 1930 Tahar Haddad défend les mêmes idées dans son ouvrage sur La femme dans la société et dans la législation islamique. Soit par l’intermédiaire de l’interprétation, soit par l’intermédiaire de l’adaptation du texte au contexte, l’auteur remet en question toutes les règles admises par les écoles juridiques au sujet du statut juridique et des droits de la femme, y compris la règle de l’inégalité successorale, pourtant clairement affirmée dans le Coran.
Au commencement de mon exposé, j’avais affirmé qu’Averroès ne nous intéressait qu’en tant que penseur de la rupture et de la discontinuité, au-dessus, en avance sur son temps. Son temps était fixé sur la culture du Texte, exclusivement interprété par la classe des ulémas, dont l’accord avait cette puissance de transformer leur interprétation en normes impératives. En remettant en cause le consensus, Averroès ouvrait évidemment la voie à l’interprétation autonome et reformulait la relation entre la société, surtout la société politique, la philosophie, la religion et la science. Cet antagonisme entre la culture philosophique et la culture du Texte préfigure la confrontation que nous vivons de nos jours entre modernité et tradition, hadâthî et turâthi, ou tajdîd et taqlîd.
        Dans ce domaine, rien n'est désintéressé, désincarné ou abstrait. Ni la philosophie, ni la religion n'échappent à ce déterminisme. La religion en tant que telle ne représente rien. Ce qui compte ce sont d'un côté la masse des croyants et des adeptes et de l'autre les titulaires de missions religieuses, toujours soumis à des pressions objectives ou subjectives, dont ils sont inconscients. Si nous avons besoin d'Averroès aujourd'hui, c'est que "nôtre" situation politique et idéologique l'exige. Quand je dis "nôtre", je vise les personnes qui tentent de moderniser leur société, dans le sens d'une sortie de la religion totaliste, de l'individualisation et de l'autonomie des choix religieux, moraux, politiques et économiques, de la décommunautarisation sociale, de l'implantation des valeurs d'une démocratie dans laquelle la liberté appartient d'abord à l'individu -croyant ou non croyant- non à la collectivité des croyants, l'ummah. Ce "nôtre" n'est donc pas la marque d'une totalité, mais d'un segment de société qui s'oppose à un autre segment: celui qui demeure foncièrement attaché à l'enseignement des anciens, à la communauté des croyants inspiré par le modèle prophétique, au Texte intangible dans son esprit et sa lettre, qui ne peut être compris et interprétés que par des gens de la loi, de la foi et de la science, attestés et reconnus.
         Voici l'Averroès que nous devons conserver dans nos esprits. C'est un état d'esprit, une attitude générale critique à l'égard de l'argument d'autorité, que cette autorité soit celle de la sacralisation de la parole des interprètes et des écoles ou qu'elle soit celle du texte sacré lui-même, toujours ouvert aux multiples techniques de l'interprétation, notamment l'analogie, le jugement préférentiel, la nécessité, l'intérêt général, et les objectifs ultimes de la loi religieuse, maqâçid a-shari'a. Parler d'Averroès, et des autres, dans notre monde d'aujourd'hui, revient à détruire les clôtures du formalisme et de la lettre, du théocentrisme et du totalisme qui enferment la pensée de certains musulmans, appelés intégristes, radicaux ou fondamentalistes. Nous leur renvoyons les paroles de Kindi que nous avons citées précédemment. Nous leur disons : « Celui qui trafique de la religion n’a plus de religion. Il mérite d’être dépouillé de la religion celui qui s’oppose avec acharnement à ce que l’on acquière la science des choses en leurs vérités et l’appelle incroyance ». Quand elle passe à l'acte, cette pensée close ne peut engendrer autre chose que la haine et la violence, trop facilement légitimées par une certaine interprétation du texte. Averroès et les autres, en fin de parcours, c'est la reprise en main de notre liberté. Qu’on l’inscrive dans l’islam ou en dehors de l’islam ou même contre l’islam ne dépend que de chacun de nous. A chacun de choisir sa voie et d’assumer sa propre responsabilité.
            Mais un problème mystérieux demeure : pourquoi, malgré ce travail séculaire intense et profond de remise en cause et de déconstruction du modèle classique, nous en sommes encore à vivre aujourd’hui les mêmes querelles, quasiment dans les mêmes termes, avec les mêmes questionnements : comment agencer les rapports entre la religion et l’État, comment faire prévaloir les droits de l’homme en remettant à leur place les droits de Dieu, comment faire de la religion une religion intérieure logée dans la conscience de chacun de nous, comment débarrasser la religion islamique de ses positivités législatives ? Comment libérer la constitution des pesanteurs de la loi divine ? Je tenterai une réponse à toutes ces questions dans la conférence consacrée au concept « d’orthodoxie de masse ».



[1] Averroès, Tahafot at Tahafot, l'incohérence de l'incohérence, texte établi par Maurice Bouygues, Imprimerie catholique, Beyrouth, 1930, page IX.
[2] Souleyman Bachir Diagne, Comment philosopher en Islam ? Editions du Panama, 2008, page 12.
[3]    Friedrich Nietzsche, Le cas Wagner, trad.Henri Albert, OeO, Oeuvres ouvertes, p. 2 et 3.
[4] M.A. al Jâbri,  Fasl al maqâl fî taqriri ma bayna a-shari'ati wa l hikmati mina l ittisâl, aw wujûb a-nadhar al 'aqlî wa hudûd a-ta'wîl ( a-dîne wal mujtama'), Markaz dirâsât al wida al'arabiyya, Beyrouth, 1997, p.11.
[5] Louis Gardet, La pensée religieuse d'Avicenne, Librairie philosophique Vrin, Paris, 1951, p. 75.
[6] Jean Michot, « Avicenne et la destinée humaine. A propos de la résurrection des corps », Revue philosophique de Louvain, 1981,44, p.463.
[7] Al Kindi, Oeuvres philosophiques et scientifiques d'Al Kindi, volume 2, métaphysique et cosmologie, par Roschdi Rached et Jean Jolivet, édition Brill, La Haye, 1998, p.12. Ali Ben Makhlouf, Pourquoi lire les philosophes arabes, l'héritage oublié, Albin-Michel, Paris, 2015, page 48 et suivantes.
[8] Al Kindi, Oeuvres philosophiques et scientifiques, op.cit., p.14.
[9] Al Ghiyâthi, Ghiyâth al Ummam fil tiyâth a-ulam,p.14.§6.
https://ia601303.us.archive.org/19/items/ghomelzoghomelzo/ghomelzo.pdf
[10] Al Ghiyâthi, op. cit., p. 24, § 20.
[11] Farabi, Kitâb al Milla wan nusûs ‘ukhrâ, éd Muhsin Mahadi,  Dâr al Machriq, 2ème édition, 1991, p.59.
[12] Cité par Dominique Urvoy, Averroès, Les ambitions d'un intellectuel musulman, Paris, Flammarion, 1998, page 62.
[13] Herbert A Davidson, Alfarabi, Avicenna, and Averroes, on Intellect. THEIR COSMOLOGIES, THEORIES OF THE ACTIVE INTELLECT, AND THEORIES OF HUMAN INTELLECT, New York Oxford OXFORD UNIVERSITY PRESS 1992.
[14] “Manahij...”, p. 227 et 228.
[15] Tahâfut…, éd. Bougues, p. 338 et 339, § 54 à 57.
[16] Edition critique de Sulayman Dunya, Dar al Ma’ârif, 2ème ed, le Caire, 1981.
[17] Op.cit, t2, p. 782 et 783.
[18] Ibid
[19] Op.cit, p. 784 et 785
[20] Op.cit, p. 785.
[21] Ce sont les propositions 26, 27, 28, et 32 de l'Ethique. Propositions 26 :  Toute chose, déterminée à telle ou telle action, y a nécessairement été déterminée par Dieu, et si Dieu ne détermine pas une chose à agir, elle ne peut s'y déterminer elle-même. Proposition 27 : Une chose, qui est déterminée par Dieu à telle ou telle action, ne peut se rendre elle-même indéterminée. Proposition 28 : Tout objet individuel, toute chose, quelle qu'elle soit, qui est finie et a une existence déterminée, ne peut exister ni être déterminée à agir si elle n'est déterminée à l'existence et à l'action par une cause, laquelle est aussi finie et a une existence déterminée, et cette cause elle-même ne peut exister ni être déterminée à agir que par une cause nouvelle, finie comme les autres et déterminée comme elles à l'existence et à l'action ; et ainsi à l'infini. Proposition 29 : Il n'y a rien de contingent dans la nature des êtres ; toutes choses au contraire sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à agir d'une manière donnée. » Proposition 32 : La volonté ne peut être appelée cause libre ; mais seulement cause nécessaire. Proposition 33 : Les choses qui ont été produites par Dieu n'ont pu l'être d'une autre façon, ni dans un autre ordre.
[22] Ahmed Abdelhalim Atiyya, "Le statut de la femme dans la pensée d'Ibn Rochd", trad. Zouheir Mednini, Dogma, nov. 2011.
[23]  L’auteur de « Why I am not a muslim », Prometheus Books,  1995,  Trad franc., « Pourquoi je ne suis pas musulman »,  L’Age d’homme, Lausanne, 1999, préf. Taslima Nasrin..
[24]  Egyptien, naturalisé américain. Il applique au Coran une numérologie électronique et écarte le hadith comme source du droit. Mis au ban de la communauté comme hérétique par les autorités religieuses et assassiné en 1990.

[25] Auteur de L’Impasse islamique, La religion contre la vie, éd. Libertaires, 2009, préf. Michel Onfray. Auteur également de Réformer l'Islam ? Autopsie d'une illusion caractérisée, Editeur indépendant, (2007).

[26] Intellectuelle mondialement connue pour son combat pour l’émancipation des femmes. Elle déclare son athéisme et estime que l’islam est incompatible avec les droits de l’Homme.
[27] Comme l’a affirmé publiquement Wafa Sultan sur la chaîne la plus écoutée du monde arabe Al-Jazira en 2006.
[28] Ils trouveront dans « Aux fondements de l’orthodoxie sunnite », PUF, 2005, une réponse à leurs interpellations.
[29] Shahâb Ahmed, What is Islam ?, The importance of being islamic, Princeton University Press, Princeton and Oxford,  p. 22.
[30] Shahâb Ahmed, What is Islam ?  op.cit., p. 25.

[31] Shahâb Ahmed, What is Islam ? op.cit., p. 37.
[32] Verset 99, Sourate “Al Hijr”.
[33]  Ibn Taymiya, Fatawa, t2, p.98 et s. Voir également, Michel Chodkiewicz : “Le sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn’Arabi”, Gallimard, 1986, p.31 et s.
[34] قد كنت قبل اليوم أنكر صاحبي.. إذا لم يكن ديني إلى دينه داني
لقد صارَ قلـبي قابلاً كلَ صُـورةٍ .. فـمرعىً لغـــــزلانٍ ودَيرٌ لرُهبـَــــانِ
ِوبيتٌ لأوثــانٍ وكعـــبةُ طـائـــفٍ .. وألـواحُ تـوراةٍ ومصـحفُ قــــــرآن
أديـنُ بدينِ الحــــبِ أنّى توجّـهـتْ .. ركـائـبهُ ، فالحبُّ ديـني وإيماني

             [35] Ali Abderraziq, al islâm wa ’uçûl al hukm, bahth fil khilâfa wal hukûma fil islam, L’islam et les fondements du pouvoir, Enquête sur le Califat et le Gouvernemnt en islam, 1ère édition, matba‘at miçr, 1925.
[36] Rachid Ridha, Le Califat ou l’Imamat suprême, Matba’atu l Manâr, 1341h.
[37] Mahmoud Mohamed Taha, Le deuxième message dans l’islam, a Rissala athâniyya mina l islâm, 4ème édition,1969.
[38] أول ما تجب الإشارة إليه هو أن الفرد في الإسلام هو الغاية وكل ما عداه وسيلة إليه ، بما في ذلك وسيلة القرآن ، والإسلام ، تستوي في ذلك المرأة مع الرجل مساواة تامة ، وهذا يعني أن الفرد البشري - امرأة كان أو رجلا ، عاقلا كان أو مختل العقل - يجب ألا يتخذ وسيلة إلى غاية وراءه ، وإنما هو الغاية التي تؤدي إليها جميع الوسائل .
[39] مستوى الشريعة ، مراد به تسيير البشر إلى الله عن طريق العقل ـ عن طريق الحرية ، وفي ذلك الكرامة ، كل الكرامة ، للإنسان 
[40] أن للقرآن ظاهرا وباطنا ، فظاهره عني بظواهر الأشياء ، وباطنه قام على الحقائق المركوزة وراء الظواهر ، ثم اتخذ ، في نهجه التعليمي ، الظواهر مجازا يعبر منها العارف إلى البواطن .
[41] Mohamed Chouhrour, Al Kitâb wal Qur’ân. Ru’yatun jadîdah, Dâr a-Sâqî,4ème éd. 2017.
[42] Syed Ameer Ali, The Spirit of Islam, Or the life and teachings of Mohammed, S.K. Lahiri and Co, 1902.
[43] Muhammad Iqbal, La rénovation de la pensée religieuse en Islam, trad. Abbès Mahmoud, Le Caire, 1955, p.190.
[44] Malik Fazlur Rahman, Islam and Modernity: Transformation of an Intellectual Tradition, University of Chicago Press, 1982
[45] Muhammad Iqbal, La rénovation…, Op. cit., p.191.
[46] Ibid.
[47] Souleyman Bachir Diagne, comment philosopher en Islam ? Op.cit., p.153.
[48]M.Iqbal, Op.cit., p.193.
[49] Op. cit, p. 170.
[50] Ne retenant cependant qu'une partie du verset qui se poursuit ainsi : « les hommes ont sur elles un degré de prévalence. »