Il est difficile, par les temps
actuels, de tenir sur notre sujet, "l'Islam en Europe" des propos
mesurés et justes, tant ce débat est devenu le lieu privilégié de la fureur des
passions et des grandes peurs de notre siècle. La neutralité ou l'objectivité
du regard sur cette question est devenue quasiment impossible, à commencer par
les statistiques. Sur l'ensemble de la population européenne, quel est le
pourcentage des musulmans? 7 % , 10 %, 15 % ? Pour les projections
démographiques nous entrons dans le flou absolu. Que dire alors des
statistiques concernant les conversions, l'Islam moderne, l'Islam modéré, le
radicalisme religieux. Certains annoncent que
l'Europe sera à majorité musulmane en 2050. D'autres sources nous disent
qu'elle s'élèvera à 30 %, d'autres encore à 20 %. Et ainsi les statistiques, de
fluctuation à fluctuation, deviennent l'objet d'exploitation politique, chaque
parti, chaque tendance, essayant de tirer les statistiques vers son propre
terrain, à son propre profit. En fin de parcours, les statistiques perdent leur
sens et leur portée informative[1].
Mais l'Islam, quelle que soit la valeur statistique adoptée par les uns ou par
les autres, est devenu, comme le souligne Pierre Manent[2],
un fait social, démographique, culturelle et politique européen indéniable.
Dans le tourbillon des passions et des grandes peurs, commençons par faire
ensemble quatre petits pas vers la sagesse.
I. Quatre petits pas vers la
sagesse.
► Le premier : ne parlons pas de l'Islam en Europe comme
d'un fait nouveau. Un parcours historique nous met en face d'une réalité
complexe ancienne qui remonte quasiment aux origines mêmes de l'islam et à son
expansion fulgurante au détriment de l'empire byzantin, mais surtout du royaume
wisigoth et des royaume mérovingien puis carolingien. À partir du huitième
siècle les relations entre l'Islam et l'Europe constituent un champ immense de
confrontations à la fois militaires, diplomatiques, religieuses et culturelles.
Il s'ouvrirait cependant aux ententes, aux échanges de tous ordres,
diplomatique, scientifique, culturel, commercial, comme au temps de
l'Andalousie ommeyade. De cette longue histoire nous pouvons dégager deux
lignes de force principales. La première est que, d'une certaine manière,
l'Islam a forgé l'image de l'Europe et la seconde, que, d'une certaine manière
également, l'Europe a forgé l'image de l'islam.
C'est en effet avec la
conquête islamique de l'Afrique du Nord que l'unité méditerranéenne de l'empire
romain, le fameux mare nostrum, se brise, pour se voir remplacer par
deux entités géographiques, religieuses et culturelles, l'européenne au nord de
la Méditerranée, et l'islamique au sud. C'est la thèse que défendit Henri
Pirenne dans Charlemagne et Mahomet, en 1937[3].
"Avec l’Islam, écrit-il, c’est un nouveau
monde qui s’introduit sur ces rivages méditerranéens où Rome avait répandu le
syncrétisme de sa civilisation. Une déchirure se fait qui durera jusqu’à nos
jours."[4] L'Europe, c'est le résultat de l'empire d'Occident qui se replie
sur lui-même, suite aux conquêtes islamiques. pour les siècles à venir et
l'islam devient l'Autre par lequel l'Europe se définit elle-même. Selon
Philippe Senac[5], un
auteur chrétien espagnol, commentant la bataille de Poitiers, utilise pour la
première fois le terme "européen" pour désigner les combattants du
Nord, les francs, face aux envahisseurs sarrasins ou ismaélites dirigés par
l'émir Abderrahmane. Bien plus, comme le rappelle Dominique Logna -Prat[6],
"le terme "Chrétienté" au sens géographique (avec une majuscule)
est une création lexicale, fruit de la confrontation du christianisme latin
avec l'islam..."[7].
À partir de là et jusqu'aux XIVe-XVe siècle,
l'Europe moyenâgeuse, comme le souligne Lucien Febvre, se voit culturellement
dominée par la civilisation arabo-islamique, dans sa forme arabo-syrienne des
omeyades ou dans sa forme Arabo-persane abbasside, ou dans sa forme arabe
égyptienne fatimide[8].
L'Averroisme latin porté par les noms prestigieux de Siger de
Brabant, Boèce de Dacie, Gérard de Crémone, Aubry de Reims, se
trouvait alors au centre de la discipline philosophique et de ses polémiques
pro ou anti averroïstes, Avicenne et Rhazes dominaient la
médecine, Alhazen influença Roger Bacon et Vitellion dans le domaine de
l'optique, les mathématiques étaient animées par les travaux de Omar al Khayâm
et Khawarizmi, le Alchorismi des européens, dont le nom se retrouve dans «
algorithme » et la science astronomique européenne, y compris celle de
Copernic, a été rendu possible grâce aux travaux de Birouni et Ibn aShâtir. Au cours de cette
période, si la présence physique des musulmans en Europe reste sporadique et de
faible intensité, mis à part l'Espagne musulmane, la présence théologique, l'influence
architecturale, littéraire, scientifique, musicale, demeure largement
prédominante. Nous retrouvons l'islam, jusque dans la science politique de Jean
Bodin[9]
. Dans le domaine religieux, cette influence prend plusieurs formes soit dans
la lignée apologétiste du "Débat du chrétien et du sarrasin",
écrit par l'évêque de Chalon-sur-Saône Jean Germain au XVe siècle, soit par le
rêve de Guillaume Postel, d'une « religion universelle fondée sur un
christianisme reconsidéré à la lumière de l'Islam et du judaïsme »[10]
. L'islam alla jusqu'à s'introduire dans le conflit entre le catholicisme et le
protestantisme, chacun des deux protagonistes trouvant dans l'islam un repoussoir
pour dévaloriser son adversaire, comme par exemple dans cette estampe du XVIIe
siècle représentant l'imposteur Mahomet avec son alcoran et le séducteur Calvin
avec ses Constitutions[11] ou
dans les travaux de Jean Chardin développant les qualités de rationalité,
de dévotion et de tolérance de l'Islam pour les opposer évidemment aux
pratiques de l'église catholique, notamment le fanatisme et l'intolérance des
missionnaires.
Dès la renaissance, le
cours des événements va changer. Ce renversement historique d'influence dans le
cours des civilisations va ouvrir la voie à une cascade d'événements
économiques et commerciaux, militaires, diplomatiques, culturels qui toutes
ensembles vont converger pour donner aux sociétés européennes une surpuissance
par rapport aux grandes civilisations concurrentes, comme les civilisations
indienne, chinoise, japonaise ou arabe. C'est cette Europe de la renaissance,
puis du classicisme, puis des lumières, avec son émancipation généralisée par
rapport aux carcans de la société traditionnelle nobiliaire monarchiste ou
impériale, cette Europe avec ses découvertes scientifiques, ses révolutions
philosophiques, artistiques et intellectuelles qui, à son tour, va se mettre a
forger l'image de l'Islam. Nous allons alors assister à une massification de la
présence des musulmans en Europe accompagnée d'un recul, puis d'une disparition
de l'influence civilisationnelle, culturelle et scientifique. Désormais,
l'islam perdra son statut de source
d'inspiration des connaissances et de la civilisation européenne pour
devenir un objet essentiel de ses sciences sociales, culturelles et religieuses
et d'une manière particulière les sciences de l'orientalisme. La mission
civilisatrice change de camp et deviendra par la suite le centre conceptuel de
toute l'entreprise coloniale, mais les flux démographiques et migratoires
changent également de nature et d'intensité, dans les deux sens, au cours de la
période coloniale, puis, après la décolonisation, à partir de l'Afrique et de
l'Asie vers l'Europe. Ce mouvement doublement asymétrique -sur le plan
démographique et culturel- constitue le cœur du problème qui anime aujourd'hui
les relations entre l'Islam et l'Europe et d'une manière plus générale entre
l'Islam et l'Occident.
Dans ce tourbillon historique de la
modernité conquérante, l'Islam, en tant que religion et en tant que
civilisation, va trouver dans l'Europe à la fois la source de sa «
colonisabilité », celle de son inspiration réformiste généralisée, celle de sa
géographie humaine et démographique, notamment du phénomène migratoire, et
enfin la source de ses frustrations, de sa colère, de son sentiment de
victimisation et de revanche, et souvent de ses répulsions et de ses haines.
Autrement dit, l'Islam d'aujourd'hui puise dans l'Europe une partie de sa
configuration culturelle, psychique et politique. Cette dernière contribue,
positivement et négativement, à la construction
de l'image de l'Islam. Positivement, en inspirant ses mouvements
réformistes, son langage politique, et ses tendances émancipatrices ;
négativement en provoquant ses réflexes identitaires, ses nationalismes, ses
radicalismes et ses conservatismes. Pour comprendre les événements actuels, et
notamment le radicalisme religieux dans sa dimension politique, pour comprendre
également les attitudes exacerbées, erratiques et délirantes des mouvements
terroristes, il faut privilégier l'élément psychique.
► Le deuxième pas: cessons de
considérer la barbarie comme un fait spécifique à telle ou telle civilisation
ou religion. Sous le toit de la barbarie toutes les civilisations, toutes les
sociétés, toutes les cultures sont logés à la même enseigne. Et l'ignoble
barbarie des armées de l'État islamique se loge, sans plus ni moins d'éclat,
dans le cycle infini et éternel des monstruosités qui caractérisent notre
espèce, comme celles des génocides de toutes origines, de la traite négrière,
de l'esclavage ou des camps de concentrations. Nous n'en dirons pas plus sur ce
point tant l'idée relève de l'évidence historique. Sans entendre aucunement
banaliser le terrorisme, disons simplement que ce phénomène spécifique de
violence nourrit hélas l'action politique depuis la nuit des temps. Il a
alimenté les actions nationalistes ou indépendantistes, les mouvements
révolutionnaires, les mouvements anarchistes, les mouvements racistes. Il
existe même un terrorisme d'État. Évidemment, dans le monde actuel, et depuis
le 11 septembre 2001, il prend des proportions fulgurantes avec le recours aux
technologies modernes ou à l'utilisation de la force létale. Il faut simplement
signaler que, par le phénomène du conditionnement des esprits, par la
sacralisation de l'action politique, cela peut aller jusqu’aux formes extrêmes de la violence,
qu'elles soit ciblées, comme l’assassinat de Théo Van Gogh ou l'attentat contre
Charlie hebdo ou qu'elle prenne la forme de violence aveugle visant
indistinctement les populations civiles sur le territoire de l'État d'accueil,
comme l'attentat du Bataclan le 13 novembre 2015, celui de l'aéroport de Bruxelles
le 22 mars 2016, ou celui de Nice, le 14 juillet 2016.
Ajoutons que cette barbarie portée
par le radicalisme religieux islamique actuel et pratiquée par l'État islamique
a été provoquée par la politique internationale aveugle, inconséquente et
irresponsable de certaines grandes puissances, notamment l'invasion de l'Irak
en 2003. Cette politique, comme cela a été établi par exemple par le rapport
Chilcot du 6 juillet 2016, a été construite sur le mensonge délibéré et
systématique. Elle a abouti à la destruction d'un peuple, d'une nation, d'un
État, elle a provoqué ou ravivé des tensions interconfessionnelles et
interethniques aboutissant à des guerres civiles incessantes qui ont alimenté
les rancœurs, les haines et les délires schizophréniques, ce qui a favorisé
incontestablement la constitution de l'État islamique. La folie meurtrière
répond en vérité à une autre folie meurtrière et, dans ces circonstances, on ne
peut attendre du commun des mortels plus de sagesse ou de tempérance. Dans le même ordre d'idées, et toujours pour
dédramatiser cette question de la barbarie, rappelons que le monde musulman est
également victime du terrorisme que l'Europe et que dans les attentats commis
en Europe, il existe souvent des victimes musulmanes comme lors des attentats
de Nice.
► Faisons le troisième pas, le troisième
pilier de la sagesse, pour rappeler que l'élément explicatif essentiel ne doit
pas être recherché dans la religion elle-même. Le credo religieux, la foi, les
convictions profondes, les croyances eschatologiques, la métaphysique de la
vie, ne sont évidemment pas totalement détachables des phénomènes politiques et
sociaux. Mais la religion en tant que telle n'explique rien. Cette dernière en
effet change de sens, progresse, régresse, se purifie, se pervertit, selon des
interprètes, des locuteurs et des acteurs socialement et politiquement situés
et qui subissent évidemment les pressions multiples et les contraintes de leur
environnement historique particulier. La situation de l'Islam aux Balkans par
exemple révèle parfaitement ce point de vue. Dans les Balkans, la religion
n'est pas réellement le facteur de discorde et de déstabilisation qui a abouti
à la désintégration de l'ancienne république socialiste de Yougoslavie. Dans
l'ancienne Yougoslavie, les religions principales, notamment le christianisme
orthodoxe et l'Islam sunnite vivaient une cohabitation caractérisée par la
tolérance et la mixité, laquelle se retrouvait au niveau des relations
étatiques, interconfessionnelles et intercommunautaires, mais également à l'intérieur même des familles. La crispation,
la guerre à la fois ethnique et religieuse s'est imposée par la suite, suite
aux changements de circonstances sociales politiques internationales. Dans ce
cas, ce n'est pas la religion en elle-même qui explique le changement
historique et la nouvelle configuration des relations interconfessionnelles,
mais, au contraire, c'est le changement de circonstances politiques, sociale et
internationale qui explique le changement observé au niveau de la religion et
des relations internes religieuses. Par conséquent, la radicalisation n'est pas
un facteur interne à la religion. Elle est la conséquence d'autres facteurs qui
n'ont rien à voir avec la religion en tant que telle. Dans les Balkans, quatre facteurs
nous fournissent les clés d'interprétation véritables : le nationalisme, comme
en Serbie ou en Bosnie, qui provoque ou attise ou réveille les haines ; le
sous-développement, comme au Kosovo ou en Macédoine, qui alimente les
frustrations, la victimisation et le sentiment d'injustice ; les jeux d'influence
des grandes puissances, notamment l'OTAN et l'union européenne d'un côté et la
fédération de Russie de l'autre côté et enfin l'ouverture de certains pays
comme le Kosovo a partir de 1999 aux influences wahhabites. Ce sont ces
facteurs qui participent à la radicalisation et qui transforme certains pays
des Balkans en de véritables exportateurs de jihadisme au profit de l'Etat
islamique.
► Enfin, cessons de considérer
l'Islam comme un tout monolithique. L'Islam, que ce soit sous sa forme religieuse
ou en tant qu'expression d'une civilisation englobe une réalité mouvante,
plurielle et contrastées. Le clivage sunnite chiite retient l'attention de tous
mais nous parlons par exemple très peu des Kharéjites, des alaouites, des Bahaïs
ou des ahmadiyya. ou de l'islam mystique et confrériques ou encore de l'islam
philosophique. Par ailleurs, à côté de l'Islam
politique dont les expressions les plus radicales monopolisent l'opinion
publique, il existe, dans le champ politique et social, d'autres islams : islam
du for intérieur, Islam de simple culture, Islam apolitique, Islam démocratique,
Islam moderne, Islam communiste etc. Par conséquent , il ne faut pas se
précipiter pour imputer le radicalisme religieux dans ses formules extrémistes
à la religion islamique en tant que telle. J'ai réfléchi, dans Aux
fondements de l'orthodoxie sunnite, sur la question de savoir si l'islam,
dans son texte, dans ses formulations dogmatiques, dans ses théories politiques
et juridiques ne serait pas porté à encourager les comportements de violence et
la valorisation des attitudes guerrières. Sur ce point, cependant, l'Islam ne
se distingue pas des autres religions. Quand bien même on admettrait que
certaines données scripturaires favoriseraient une sorte de devoir de
violence, il n'empêche que seules les circonstances mettent ces données
scripturaires en état de réactivation. Enfin, rappelons que les théories extrémistes, notamment celle
du Jihad, dérivent de certaines voies spécifiques d'interprétation, que leurs
adeptes considèrent comme des absolus, mais qui en réalité sont frappées du
sceau de la relativité et de la contestabilité. D'autres formes
d'interprétation sont avancées aujourd'hui par les savants et les intellectuels
musulmans, et même par les Etats, dans le sens du progrès, de la modernité, de
la démocratie, de l'égalité homme femme, de la paix, de la tolérance, du
dialogue entre les religions et les cultures. J'en ai présenté, comme de si
nombreux et si talentueux collègues, une version personnelle dans La
deuxième Fatiha, l'Islam et la pensée des droits de l'homme. Un islam
démocratique, une démocratie islamique sont donc parfaitement envisageables. La
norme démocratique est donc assimilée, non seulement au niveau de la production
intellectuelle, mais au niveau de la pratique réelle, comme le prouve la
période transitoire en Tunisie, notamment le processus d'élaboration de la constitution
tunisienne. L'expérience de la révolution tunisienne a mis fin à cette légende
de la démocratie importée d'Occident. Ailleurs, dans le monde arabe, cela s'est
soldé par les guerres civiles. Mais l'histoire nous apprend que le progrès ne
se développe jamais sans les contradictions et la violence.
Comprendre, examiner, juger,
mais surtout résoudre les problèmes de toutes sortes dus à la présence de
l'Islam en Europe, cela nécessite de notre part et en tout premier lieu
l'examen des ruptures et des malentendus.
II. La
présence de l'Islam au milieu des ruptures.
Les suites de la décolonisation ont
eu, paradoxalement, pour effet une accentuation des flux migratoires vers
l'Europe, en particulier dans les anciens Etats colonisateurs. Grâce à la
massification des modes de transport, certaines populations du Sud émigrèrent
vers les territoires du Nord de la Méditerranée, principalement en quête de
ressources et de travail. Cette émigration est due au décalage économique et
des conditions de vie. L’offre de travail, de technologie, de sciences est bien
plus forte au nord. Et certaines franges
des peuples du sud allèrent y tenter leur chance. Étudiants, commerçants, mais
surtout ouvriers de l'industrie et des services, allèrent vers le nord pour s'y
fixer durablement, tandis que les « nordistes » ne revinrent qu’à titre tout à
fait temporaire pour apprécier les joies de la mer et du soleil.
Minorités secondaires, les premières
générations de l'immigration furent cantonnées dans des rôles subalternes. Vers
les années 1960, on entendait rarement parler de l'islam en Europe. Les fêtes,
comme le ramadan, les deux Aïd, la prière, le mouled, passaient inaperçues et
se déroulaient à l'intérieur des enceintes privées sans jamais déborder
l'espace public. C’était le règne du silence et de la discrétion. L'immigré,
même possédant la nationalité, demeurait un étranger. L'Europe vivait
tranquillement sa laïcité et les Européens occupaient entièrement seuls
l’espace public. Le milieu d'accueil et le milieu des immigrés constituaient deux
blocs, l’un majoritaire, l'autre minoritaire, caractérisés par un décalage de
situation économique, culturelle et sociale. Le deuxième bloc est un bloc «
défavorisé », au sens plein du terme, qui reproduit à l'intérieur des
frontières européennes la division du monde en nations développées et nations
déshéritées. Il est important de le
noter, dans la mesure où cela va alimenter le sentiment d'exclusion que nous
évoquerons par la suite. Les conditions « défavorisées » du départ vont, à leur
tour, générer de nouveaux éléments de marginalisation, comme l'échec scolaire,
universitaire ou professionnel.
Ce paysage changea rapidement et
radicalement avec la deuxième, puis surtout avec la troisième génération de
l'immigration. Qu'est-ce qui changea ?
1) La démographie, tout d'abord. La
population musulmane a été multipliée par deux au cours des 30 dernières
années. En conséquence, le sentiment et la psychologie minoritaire vont changer
de nature. La progression démographique donne une nouvelle dimension au
sentiment minoritaire. Les immigrés tout en restant périphériques ne sont plus
« quantité négligeable ». Cela va se traduire par une double perspective. Tout
d'abord le sentiment de la consolidation et de l'irréversibilité des situations
acquises. Ensuite, la perspective de devenir un jour, par l'effet de la
progression constante, sinon la population majoritaire, du moins une population
d'égale importance que la population d'accueil. Il est évident que cette double
perspective ne peut pas rester neutre sur la psychologie politique des
populations issues de l'immigration. La minorité n'est plus vraiment une
minorité.
2)
Il faut noter également le phénomène qu'on pourrait appeler de «
coagulation ». Ce phénomène découle de la territorialisation des
populations musulmanes immigrées au sein de l'espace européen. Ces populations
occupent dans certains Etats européens des territoires de seconde zone : foyers
HLM, périphéries des grandes cités, banlieues éloignées. Mais ici encore, il ne
faut pas s'arrêter au point de vue physique et géographique. En effet, derrière
cette coagulation géographique va se consolider une coagulation mentale,
symbolique et psychique. Cette coagulation va avoir des effets certains sur
l'isolement de la population musulmane au sein de la population européenne, ce
qui va favoriser les conduites de démarquage, les réflexes identitaires, la
définition de soi par des marques symboliques visant à se démarquer par rapport
à l'environnement. Ce démarquage deviendra très vite une revendication.
3) Ensuite, l'insertion dans
l'espace public des loisirs, de l'école, des services. Par l'effet de
l'expansion démographique, de la stabilisation des situations professionnelles,
de la scolarisation des enfants musulmans nés sur le sol européen, un phénomène
naturel d'insertion dans l'espace public a lieu. Ce phénomène, évidemment, ne
peut plus se contenter de la discrétion antérieure. Il va par conséquent
acquérir davantage de visibilité.
4) Enfin, la situation juridique,
par l’effet de la nationalité par le jus soli. La possession de la
nationalité donne en effet aux populations immigrées une sécurité juridique
bien plus accentuée que celle des étrangers. Ce facteur va venir consolider et
renforcer la nouvelle perspective du sentiment minoritaire que nous avons
évoqué précédemment. La minorité ne peut plus se contenter de ce que les
musulmans eux-mêmes ont appelé la Dhimma. Elle va passer au stade d'une population socialement et politiquement
active.
Tous ces facteurs vont déboucher
évidemment sur un phénomène nouveau, celui de la visibilité. Cette visibilité,
il faut la comprendre tout d'abord au sens propre du terme, en termes matériels
ou physiques. Mais il faut également la comprendre dans toutes ses dimensions psychologiques
et politiques. Entre un immigré qui
pense au fond de lui-même : « je dois me cacher » et celui qui pense : « il
faut me montrer », il existe une différence substantielle. Avec cette nouvelle
tournure du psychisme, un sentiment de « confiance en soi » va s'instaurer.
Mais cette confiance en soi, en elle-même positive, va parfois générer des
situations périphériques d'arrogance, d'agressivité ou parfois même de violence
à l'égard du milieu d'accueil. Ce sont à la fois cette massification et cette
visibilité qui vont provoquer tous les problèmes qui vont sortir par la suite,
notamment les ruptures et les querelles autour de l’identité et de
l’intégration entre le milieu d’accueil et celui de l’immigration.
A. Les ruptures du côté des immigrés
Il n'y a évidemment pas que des ruptures. Une bonne partie des
musulmans, la majorité, ne pose pas de problème d'intégration. Cette partie est
celle qui se caractérise par la réussite professionnelle ou scolaire,
l’acceptation de la société sécularisée et du modèle libéral. Cette partie de
la population se sent directement concernée par son intégration dans l'ensemble
de la culture européenne et de sa réussite, notamment dans le domaine de la
politique, des arts, des loisirs, de la science, des statuts juridiques, notamment
celui de la femme. Le processus d’intégration se développe. Malheureusement les
médias ne s’y intéressent pas assez. Mais
une autre partie de la population va se trouver en porte-à-faux par rapport au
milieu d'accueil et va vivre cette situation comme le signe d'une agression
culturelle. Nous lisons dans la Stratégie de l’Action Islamique Culturelle à
l’extérieur du Monde islamique (I.S.E.S.C.O, Doha, 2000):"En effet,
l’Occident s’adresse aux communautés et minorités musulmanes appartenant aux pays
du tiers monde, sur la base de ses idées, ses principes et ses valeurs
occidentales. Les chaînes étrangères et les programmes médiatiques occidentaux
véhiculent la culture de la violence, du libertinage et de la délinquance, ancrant
ainsi chez ces peuples et ces communautés, par l’effet de l’imitation et de la
fréquentation, des concepts et comportements culturels purement
occidentaux."[12]
D'une manière générale, en se déportant de leurs terres
historiques, les populations islamiques vont se trouver confrontées à un milieu
totalement étranger à leur milieu d'origine. Ce dernier se caractérise par une
très forte intégration du social, du culturel, du religieux et du politique. Au
contraire, le milieu d'accueil se caractérise par une fragmentation des différentes
sphères de la vie privée et publique. Alors que le milieu d'accueil connait un
déclin généralisé du religieux, une sécularisation des comportements et des
mœurs, une réduction de la foi à l'ordre purement privé et intérieur de la
personne, les immigrants musulmans restent en général bien plus engagés dans
les manifestations de leurs convictions religieuses. La religion saisit la
personnalité entière dans toutes ses dimensions psychologiques et sociales. Le
fait religieux conserve pour le musulman une pertinence sociale et politique
extrêmement forte. Les fêtes religieuses et les cérémonies, les rites, le
culte, débordent largement la sphère du religieux pour aller occuper le domaine
des valeurs, de la psychologie, des rapports sociaux, et enfin de l'espace
public. Cela donne à la religion une sorte
d'activisme, sinon de virulence politique ou sociale constatable, qu'elle n'a
plus au sein de la religion majoritaire en Europe.
Cette situation objective, alimentée
par tous les facteurs de décalage et d'exclusion que nous avons analysés
précédemment, va provoquer chez certains cette conscience de la victimisation.
Sur ce plan, nous passons du sociologique à l'éthique et au politique.
Autrement dit, la marginalisation n'est plus ressentie comme un fait social,
mais comme une défaillance éthique dont le milieu d'accueil est responsable,
par racisme, discrimination confessionnelle, délit de faciès etc. Il est
évident que le langage des partis européens de droite et d'extrême droite ne
fait qu’alimenter ce sentiment de la victimisation. C’est ce sentiment de la
victimisation qui provoque ou développe les prédispositions psychiques et
comportements favorables au réflexe défensif, au démarquage, à l'agression ou
même à la violence. Les réactions musulmanes, en Europe et hors d'Europe, au
discours de Ratisbonne en sont un parfait témoignage. Sur cette affaire,
j'avais écrit en octobre 2006 : « Plus que d'une révélation de l'opinion du
pape sur l'islam, cette affaire est révélatrice de l'état de tension politique
entre les grandes croyances du monde, et de la situation politique, sociales et
religieuses déplorables dans laquelle s'enfonce le monde musulman.»[13]
Le paradoxe, c'est que l'amélioration
incontestable de la situation minoritaire, qui consiste à se sentir « chez soi
» comme citoyens à part entière, et le renforcement de la présence, de la
visibilité et de la sécurité juridique,
acquise par la nationalité ne vont pas diminuer la densité des ruptures, mais,
au contraire, les renforcer.
Autrement dit, actuellement, plus
l’immigré se sent « chez soi » en Europe, plus il est tenté par son autre
« chez soi », celui de son origine extra européenne. Il se fait que cet autre « chez soi », prend
la couleur d'une identité socio-confessionnelle, ce qui va le pousser parfois à
survaloriser les signes extérieurs les plus visibles de cette appartenance.
Cette contradiction est la source du malaise
de certaines franges de la population immigrée. Il est remarquable de
constater qu’elle se radicalise encore plus chez les convertis passés à l’islam
par l’effet des liens familiaux, des fréquentations ou de la prison[14]
Ce malaise peut prendre la forme de
revendications spécifiques (constructions de mosquées, d’écoles privées
confessionnelles, de carrés musulmans dans les cimetières, d’offices religieux
de toute sorte, notamment pour les mariages et les décès, de restrictions
alimentaires dans les services publics d'enseignement, ou de santé ou de transport
). Les signes extérieurs de l’appartenance vont devenir des formes
d’affirmation et de revendications spécifiques : il en est ainsi de la barbe,
du qamis, du hijab, de la burqa, des formules de politesse ou de conversation
dans la langue arabe etc. A cela il faut ajouter, toutes les questions
relatives à l'enseignement religieux, aux lieux de prière et de culte, aux fêtes et cérémonies religieuses, au commerce
de la nourriture halal. Sur ce plan, il est important de noter deux
faits : le premier que sur toutes ces questions les aspects sociaux
politiques et religieux demeurent toujours indissociables ; et le second
que les revendications profitent de la liberté d’expression du milieu
d’accueil, ce qui provoque une distorsion des moyens de lutte politique entre
le milieu d’accueil et le milieu musulman.
Ces comportements dissonants sont découverts à l’occasion d'affaires
ou de procès retentissants, comme les affaires de nullité de mariage pour
absence de virginité ou les affaires de polygamie. ou encore les affaires
relatives à la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation
du visage dans l'espace public qui a fait l'objet à la fois d'une décision du
conseil constitutionnel français et de la cour européenne des droits de l'homme
ou du "burkini" jugé par le tribunal administratif de Nice. Ce dernier
a rejeté successivement le 13 août et le 22 août 2016 les recours en
référé contre les arrêtés des maire de Cannes et de Villeneuve-Loubet interdisant
le port du « burkini » sur les plages publiques. Ces arrêtés étaient
motivés par des considérations tenant à l'hygiène et à la sécurité publique, aux
attentats terroristes du 14 juillet 2016 à Nice et du 26 juillet 2016 à
Saint-Étienne de Rouvray, et aux circonstances particulières qui font qu'une tenue
de plage "manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse
alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible
d'actes terroristes est de nature à créer des risques de troubles à l'ordre
public".
À ce niveau, nous
entrons dans le monde du spectacle sociétale et de la mise en scène des
différentes figures de l'hostilité. Les
figurations sont mises en scène avant même le procès et nous pouvons connaître
d'avance quelles seront les réactions de telle ou telle catégorie de personnes
à l'égard de tel ou tel événement appréhendé par la police et la justice.
Ainsi, en France, par arrêt du 17 novembre 2005, la Cour d’appel de Douai, contrairement au
tribunal de 1ère instance, a refusé
d’admettre la nullité du mariage pour défaut de
virginité en estimant que le mensonge de l’épouse n’était pas prouvée
et que la virginité n’était pas « une qualité essentielle » de la vie
matrimoniale. Dans ce type de procès les franges de l'opinion
jouent les rôles de figurants dont nous pouvons connaître les positions par
avance en fonction de cette question de mœurs touchant la sexualité. Le procès
Lies Habbadj révèle une conduite « en état de Burqa » doublée d’une
affaire de polygamie, qui au sens juridique du terme n’a pas été établie, et
d’abus de confiance.
En réalité, ces
procès sont des révélateurs d'opinion. Ils ne sont pas vraiment significatifs
en eux-mêmes. Ils prennent leur sens, leur portée et leur intensité, par leur
signification symbolique et par la manière avec laquelle ils sont gérés par les
autorités officielles et par les médias, ainsi que par les différents
protagonistes. Ce n'est pas quelques dizaines ou même quelques centaines de
Burqa ou de burkini qui changeront les configurations sociologiques d'une
société. Mais la valeur symbolique attachée au signe prend une proportion
démesurée par rapport à sa signification réelle. En tout état de cause, ces
procès révèlent l'existence d'un antagonisme culturel souvent tracé à l'avance,
que les médias ou les autorités manipulent au gré des craintes réelles ou des
peurs inventées et en fonction des stratégies particulières des partis
politiques ou des instances politiques. Ces manipulations et stratégies
finissent par cristalliser les réactions ou réflexes communautaires qui, avec
le temps, finissent par provoquer un véritable phénomène de conditionnement de
la pensée, des sentiments et des comportements préparant ainsi la voie à de
possibles explosions de violence à caractère communautaire.
Les
ruptures peuvent prendre la forme de protestations plus ou moins véhémentes,
par l’intermédiaire des médias, des réunions, des grèves et des
manifestations. C’est le cas des
réactions radicales en 2005-2006 contre les caricatures de Mohammed ou contre
la loi française dite « sur le Foulard islamique ». Les réactions
islamiques multiples à l'affaire des caricatures ont fini par donner une
nouvelle configuration des relations internationales elles-mêmes. Animé par
l'organisation de la conférence islamique un très vaste mouvement d'opinion
mondiale a fini par déboucher, au niveau onusien, sur la consécration d'un
concept inédit en droit international, le concept de « diffamation des
religions ». Il ne rentre pas dans notre propos actuel d'évoquer cette
question. Il faut simplement signaler que, par le phénomène du conditionnement
que nous avons déjà évoqué, cela peut aller
jusqu’aux formes extrêmes de la violence, qu'elles soit ciblées, comme
l’assassinat de Théo Van Gogh ou l'attentat contre Charlie hebdo ou qu'elle
prenne la forme de violence aveugle visant indistinctement les populations
civiles sur le territoire de l'État d'accueil, comme l'attentat du Bataclan le
13 novembre 2015, celui de l'aéroport de Bruxelles le 22 mars 2016, ou celui de
Nice, le 14 juillet 2016.
Du
côté de l'immigré, le problème découle, par conséquent, de la
confrontation entre ces deux « chez soi ». Son mode de vie peut être totalement
sécularisé, mais il entend par volontarisme pur se démarquer par rapport à la
société sécularisée. Les rapports familiaux n'ont plus rien à voir avec ceux du
milieu d'origine, mais, d'un autre côté, il ne peut se résoudre à abandonner
les conceptions ancestrales de l'autorité, de la sexualité, de la virginité, de
la pudeur, du statut du père, celui de
l'épouse, celui de la mère, du grand frère, des oncles. Les « soudures »
anciennes de la famille, tout en étant quelque peu rouillées, existent
toujours. Pour combien de temps encore ?
B.
Les
ruptures du coté du milieu d’accueil
Sur ce plan également, il n'existe
pas d’attitude unique et homogène. Le milieu d'accueil est un milieu libéral.
Ses traditions politiques sont celles du constitutionnalisme, des droits de
l'homme, de la laïcité, de l’Etat de droit, mais sa conscience de soi demeure, par
l'effet de ses succès organisationnels et managériaux, ses performances
économiques, commerciales, scientifiques, technologiques, ses magnificences
artistiques et urbaines, ses conquêtes dans le domaine des libertés, une
conscience narcissique fortement marquée par l'idée d'une supériorité
culturelle et de civilisation. Cette conscience majoritaire est propice au
développement d'un psychisme des clôtures et de la ségrégation bipolaire entre
soi et l'autre.
Malgré sa tradition culturelle
humaniste et tolérante, malgré son histoire politique marquée par certains
succès de la gauche et les traditions populaires et socialistes, malgré ses
traditions scientifiques marquées par la relativité, la découverte de l'autre,
l'admiration de ce qui s'invente et se produit ailleurs, regardons par exemple
les figures de Goethe ou d'André Malraux ou même celle de Voltaire, typiquement
représentatives de la personnalité européenne, malgré ses traditions
religieuses valorisant les valeurs de la charité et de l'hospitalité, le milieu d'accueil demeure en grande partie
dominée par le psychisme des clôtures, ce qui le pousse à réagir à une
impression d'invasion, de colonisation par l'intérieur, en mettant en relief
les antagonismes religieux et culturels des deux sociétés. C'est le thème
favori des partis de droite ou d'extrême droite ou encore des laïcistes
radicaux[15].
Ces partis expriment des positions et font des propositions qui ne
correspondent pas à cette tradition intellectuelle européenne la plus forte,
celle des droits de l'homme[16].
Mais en le faisant, ils expriment une peur réelle que d'autres partis, par
respect pour leurs propres idéaux, ne peuvent exprimer. Pour les partis de
droite, mais, n'oublions surtout pas de le dire, certainement pour une majorité
de la population de souche européenne, la visibilité islamique devient trop
flagrante. Elle est jugée agressive et hostile
au milieu environnant et à ses valeurs fondamentales. Pour cette opinion, l'immigré se comporte en
colonisateur de l'intérieur, comme, par exemple, lorsque certaines rues sont occupées le vendredi, à
l'heure de la prière. Un tel spectacle ne peut laisser indifférent l'opinion
d'une société sécularisée. Comme les grecs divisaient leur société en hommes
libres et esclaves ou en citoyens et métèques, ici se dessine la division de la
société en deux citoyennetés inégales et hostiles: d’un côté la
citoyenneté de souche raciale (slave, latine, germanique, saxonne), culturelle
(hellénique, romano-germanique), et
religieuse (judéo-chrétienne) proprement européenne et de l’autre côté
une citoyenneté de second rang de souche raciale (turco-arabo-berbère),
culturelle (arabo-islamique) et religieuse (islamique)non européenne.
Du côté du milieu d'accueil l'antagonisme prend également
différentes formes d'expression. Elles peuvent être de nature officielle,
c'est-à-dire étatique ou socio-étatique. L'exemple le plus frappant, à cet
égard, est celui des minarets en Suisse. La question posée à l'électeur
était la suivante : « Faut-il ajouter à l'article 72 de la
Constitution fédérale, qui garantit la paix entre les diverses communautés
religieuses, l'interdiction de construire des minarets? » Le référendum
suisse du 29 novembre 2009 ne peut être compris en soi comme une
opération constitutionnelle destinée à protéger la laïcité. En réalité, comme
le veut la droite populiste helvétique représentée par l’UDC (Union
démocratique du centre), il s'agit d'une vaste opération médiatique,
constitutionnelle et politique destinée à protéger la civilisation occidentale
contre « l’islamisation rampante de la société », à travers le
symbole du minaret. Pour la circonstance, et cela est tout à fait significatif,
les minarets ont été transformés sur les affiches de propagande en missiles.
Pour les partisans du « oui », il existe des antagonismes
fondamentaux entre la civilisation occidentale et la civilisation islamique au
niveau des valeurs morales, des représentations politiques, des normes
juridiques, en particulier celles relatives aux droits de l'homme. Pour l’U.D.C.,
le minaret constitue « le symbole apparent d'une revendication
politico-religieuse du pouvoir, qui remet en cause les droits
fondamentaux". Dans l'esprit des différents protagonistes de cette mise en
scène politique, il s'agit bel et bien d'un véritable conflit de civilisations.
Malgré les prises de position extrêmement réservées des différentes églises
chrétiennes, du Vatican, du rapporteur spécial des Nations unies pour la
liberté de religion, du gouvernement fédéral suisse lui-même, cette affaire a généré
une véritable crise internationale. Les Etats musulmans, les organisations
non-gouvernementales les partis politiques dans le monde musulman, les
autorités religieuses dénoncèrent soit l'atteinte à la liberté de religion et à
l'intégration, soit l'intolérance ou
encore la haine contre les musulmans et contre leur présence en Europe. La
gravité de l'affaire des minarets, comme j'ai eu à le préciser dans ma
contribution aux mélanges Dominique Urvoy[17],
c'est qu'elle dépasse largement l'opinion d'un parti politique particulier.
Nous sommes en face de la consécration, à plus de 57 % des suffrages, par un
référendum libre, de l'opinion d'un peuple reconnu universellement pour être
l'un des peuples les plus démocratiques et les plus développés du monde. Le plus
inquiétant, c'est que ce référendum, dans d'autres pays européens, donnerait
les mêmes résultats, sinon des résultats bien plus graves.
Parmi les formes d'expression étatique de cet antagonisme, nous pouvons citer également la loi française du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques, dite loi sur le foulard islamique[18] ou encore la promulgation de la loi interdisant la Burqa le 11 octobre 2010. Dans cette hypothèse, l'État réagit ainsi parce qu'il se sent soutenu par l'opinion majoritaire. Nous pouvons citer également l'exemple du débat sur l'identité nationale en France. Dans cette hypothèse, l'État par l'intermédiaire de ses instances les plus hautement représentatives prend position sur ce débat de société. Dans une tribune du journal Le Monde datée du 9 décembre 2009, le président français Sarkozy s'adressant aux musulmans français affirmait : « Je m'adresse à mes compatriotes musulmans pour leur dire que je ferai tout pour qu'ils se sentent des citoyens comme les autres, jouissant des mêmes droits que tous les autres à vivre leur foi, à pratiquer leur religion avec la même liberté et la même dignité. Je combattrai toute forme de discrimination.
Mais je veux leur dire aussi que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont parties intégrantes de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ses valeurs condamnerait à l'échec l'instauration si nécessaire d'un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s'inclura sans heurt dans notre pacte social et notre pacte civique ».
Le samedi 16 octobre 2010 la chancelière
allemande Angela Merkel, tout en
reprenant la formule du président Christian
Wullf, « l'islam fait partie de l'Allemagne », reconnaît l'échec total du multiculturalisme
pratiqué jusque-là par la République fédérale allemande. Pour la chancelière,
les immigrants musulmans doivent s'intégrer davantage à la langue, aux valeurs
et aux normes de la société allemande qui sont des valeurs chrétiennes. Elle
affirme : « Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes. Celui qui n'accepte
pas cela n'a pas sa place ici ». Nous passons, par conséquent, du
multiculturalisme à l'intégration. Pour encourager cette dernière, le
gouvernement allemand a décidé de financer la formation des imams dans les
universités allemandes[19].
Ainsi, la présence islamique contribue à renforcer
la religiosité, au sens culturel du terme du moins, d'une société largement sécularisée.
Il est symptomatique que l'Europe se mette à repenser son origine
judéo-chrétienne à l'heure où la présence islamique heurte symboliquement, non
pas vraiment ses convictions chrétiennes, car sur ce plan les convictions
religieuses se rejoignent, mais les représentations sécularisées dérivant à
l'origine de ces convictions religieuses, comme cela apparaît très clairement
et très nettement dans l'ouvrage d'Oriana Fallaci qui se définit comme une «
athée chrétienne ».
En effet, les réactions du milieu d'accueil n'apparaissent par exclusivement par l'intermédiaire des positions étatiques. La crispation de l'opinion a lieu également par la survenance de véritables chocs éditoriaux. Nous visons par là la publication d'ouvrages explosifs commercialisés et traduits en millions d'exemplaires, comme La Rabbia et l’orgalio publié en 2001 par la journaliste italienne Oriana Fallaci, les deux essais de Bruce Bawer, le premier, While Europe Slept: How Radical Islam Is Destroying the West from Within , et le deuxième, Surrender. Appeasing islam, sacrificing freedom, ou encore le récent Deutscland schafft sich ab de l'auteur allemand Thilo Sarrazin, sorti en août 2010. Les idées restent les mêmes. L'Europe est victime d'une invasion massive de l'intérieur, favorisée à la fois par une croissance démographique largement supérieure à celle de la population de souche européenne et par le déclin des forces morales de l'Europe, notamment le christianisme. Cette invasion a pour effet de détruire les valeurs primordiales de la société démocratique européenne, notamment l'État de droit et la laïcité, d'abaisser, d'après Thilo Sarrasin, le niveau d'intelligence moyenne de la population, de développer, par son culte, sa représentation des rapports familiaux, ses conceptions politiques, sa propension à la violence prosélyte, l'inégalité hommes femmes, ainsi que l'inégalité pour disparité de religion, l'intolérance religieuse, la violence et le terrorisme.
L'une des dernières manifestations de cette grande frayeur européenne s'est révélée par la constitution du mouvement des Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident (en abréviation allemande : PEGIDA), d'origine allemande, mais qui, à partir de l'année 2015, a essaimé dans l'ensemble des pays européens comme la Suède, la France, l'Autriche, la Pologne, la Suisse, l'Angleterre, la République tchèque. Ce mouvement dont l'idée essentielle est de construire la forteresse Europe, à la fois contre la mondialisation, l'islamisation, l'immigration et le centralisme des institutions européennes, a rendu publique la déclaration de Prague adoptée le 13 mai 2016 par l'ensemble du réseau européen de PEGIDA. Dans cette déclaration, la frayeur s'exprime par l'idée que "la fin de l'histoire millénaire de la civilisation occidentale pourrait bientôt survenir du fait tant de la conquête islamique de l'Europe que de la trahison des élites politiques", ces derniers étant accusés d'être volontairement ou involontairement les complices de l'invasion islamique. Pour éviter cette déliquescence de la civilisation européenne ces « représentants des différentes nations européennes » se disent prêts à risquer leur liberté, leurs richesses, leurs positions et carrières et jusqu'à leurs vies même pour s'opposer à l'Islam politique, au régime islamique et à ses complicités européennes. Ces réactions peuvent évidemment prendre la forme de véritables délires haineux , comme chez l'ex-Premier ministre polonais, Jaroslaw Kaczynski affirmant le 12 octobre 2015:«Regardons ce qui se passe en Europe, ou tout du moins en Suède. Il y a 54 zones où la charia s’applique sans contrôle de l’Etat. Les gens ont peur d’accrocher des drapeaux sur les bâtiments scolaires - c’est leur coutume - juste parce qu’il y a une croix dessus. En Suède, les écolières n’ont plus le droit de porter des tenues courtes, car ce n’est pas apprécié par les autres. Et que se passe-t-il en Italie ? Les églises sont occupées, quelquefois utilisées comme des toilettes. Et en France ? Les émeutes qui n’en finissent plus, la charia qui s’est imposée et les patrouilles qui surveillent son application. Les mêmes phénomènes se produisent à Londres et dans la résiliente Allemagne. Est-ce ce que vous voulez pour la Pologne ? Voulez-vous cesser d’être les propriétaires de votre propre pays ? Non, ce n’est pas ce que veut le peuple polonais.»[20]
De mon point de vue, il serait tout à fait
inopérant, je dirais même négatif, d'évoquer ce genre de réactions comme des
expressions de discrimination ou de racisme et de s'en prendre à la personne
des auteurs évoqués précédemment. Il faut, au contraire, les considérer comme
l'expression d'un véritable malaise, d'une véritable crise culturelle et même
d'un certain désarroi face aux expressions les plus radicales d'une religion
récemment mais massivement implantée dans le contexte européen. Évoquant les
attentats de 2015 en France Pierre Manent affirme : « Nous ne savons que faire
par ce que nous ne savons que penser. Nous ne savons que penser ni que faire
parce que nous n'arrivons pas à identifier les problèmes qui se posent à
nous... Nous avons beaucoup de peine à décrire de la manière même la plus
sommaire notre situation. Nous ne savons pas dans quels termes la décrire, ni
quels mots employer. »[21]
Comme nous le voyons, le tableau, tout à fait
sombre, ne semble pas être propice au
développement du dialogue avec l'islam. Mais, il serait défaitiste de s'arrêter
à ce constat. Un dialogue, en effet, ne prend l'entièreté de son sens que,
précisément, là où il semble contrarié par tous les facteurs imaginables. C'est
au moment où les crises et les malentendus atteignent leur cime que le dialogue
peut prendre toutes ses dimensions, en tant qu'instrument de la pacification
des consciences. Cela ne procède par d'une vue utopique ou naïve, sans
lendemain. L'excès de réalisme est aussi préjudiciable que l'excès d'idéalisme.
Les êtres humains ne sont pas des machines déterminées par des mouvements
mécaniques. Ils sont animés par des motifs, et non point par des causes. C'est
dire que les deux notions de liberté et de volonté doivent agir dans les moments les plus cruciaux pour
éviter les catastrophes. Ce n'est que pour cela que nous avons institué des
gouvernements. Il est temps, par conséquent, de dire quels sont les conditions
de ce dialogue, quelle est sa portée, quelle doit être sa nature.
III. Le
dialogue et la cohabitation avec l'islam et ses conditions.
La
situation que nous venons de décrire ne peut se résoudre que de deux manières.
Ou bien, par le recours à la violence et l'utilisation de la force ou alors par
la cohabitation pacifique, grâce au dialogue et à la concertation. Le recours à
la violence advient en général parce que chaque protagoniste espère mettre la
victoire finale de son côté. Pour cette raison, l'histoire regorge de violence,
de répression, de guerres civiles, de crimes contre l'humanité, de déplacements
ethniques, d'expulsion de populations entières, de génocides. Pourtant, le plus
souvent, la violence ne fait qu'attiser les haines, provoquer la destruction
massive des biens et des êtres, sans résoudre les problèmes. Mais, dans
d'autres cas, hélas, ne soyons pas naïfs, le recours à ces formes extrêmes de
violence peuvent réussir à résoudre les conflits et les crises, ou plus
exactement, à les évacuer, et, hélas, parfois pour toujours. Mais, nous
connaissons leur coût humain désastreux. Si nous voulons éviter cette hypothèse
de la haine, des malheurs et du cataclysme, il ne nous reste plus que le
recours au débat d'idées et au dialogue. Mais un dialogue qui doit déboucher
sur des actions et des décisions concrètes. Quelles sont les conditions du
dialogue dans la situation de l'Islam en Europe aujourd'hui ?
A. La première condition est qu’il
faut maintenir la lutte ancestrale de l’Europe contre certaines formes de
nationalismes qui débouchent sur la
haine de l’autre et en particulier sur l’islamophobie. Ces tendances qui
excellent dans l'art de dresser des barrières confessionnelles ou raciales
entre les communautés sont anciennes en Europe. Elles ont donné, avant
l’islamophobie, la séculaire judéophobie, la théorie du peuple déicide, les
théories de la race arienne et des races inférieures, et nous savons tous à
quel désastre humain cela a fini par aboutir.
Aujourd’hui, elles ravivent le vieil
antagonisme entre la civilisation islamique et la chrétienté pour en faire la
charpente d’un nouveau « choc des civilisations » et des confessions.
Ce vieil antagonisme existe. C’est son exploitation à des fins idéologique qui
est contestable. Il porte des noms de guerre et de haine: Poitiers
(732), Manzikert (1071), Hittin (1187),
Las Navas de Tolosa (1212), Décrets de conversion (février 1502), Décrets
d’expulsion (septembre 1609), Constantinople (1453), Mohács (1522). Lépante (1571). Ses noms
actuels sont : « Eurabia », « troisième invasion », « Jihad »,
« terrorisme islamique », « forteresse Europe », « islamisation de
l'Occident ».
En contrepartie, il faut observer la
même sévérité vis-à-vis des mêmes tendances « victimaires » qui
existent de « l'autre côté de la barrière ». De ce côté, les mêmes
symboles relancent perpétuellement l'hostilité. Ils portent également des noms
: « croisades », « colonisation », « évangélisation » pour
devenir, d'une manière systématique, « islamophobie ». « racisme »,
« délit de faciès ». Un dialogue ne peut exister entre les extrêmes. La
pensée du dialogue, qui est une pensée rationaliste, doit refuser tous ces
extrémismes et les rejeter catégoriquement. C'est par un travail de longue
haleine d'action politique et de vigilance intellectuelle qu'il faut mener un
combat sans merci contre tous les ennemis de la démocratie et de la paix. C'est
pour cette raison, qu'il faut saluer toutes les tentatives et les réalisations
accomplies par les églises chrétiennes d'un côté depuis le concile Vatican II et
la déclaration Nostra Aetate en 1965[22],
et les forces spirituelles et religieuses islamiques, dans le sens du dialogue
interconfessionnelle[23].
B. La deuxième condition consiste à
développer, encourager et promouvoir ce qu'on pourrait appeler « l'islam
libéral », ce qui en Europe veut
dire un islam réformé et citoyen. La présence physique de l'islam en territoire
européen, dans un contexte de liberté, peut faciliter ce projet. Ce dernier
peut être plus aisément entrepris en terre européenne que sur les territoires
historiques de l'islam. Je reste persuadé que la véritable réforme de l’islam
viendra de l’Occident. L'idée est la
suivante : comme toutes les autres religions, l'islam doit comprendre que pour
survivre dans le monde européen, il doit s'adapter aux normes de la morale et
du droit universellement reconnu et consacré par les grandes conventions
internationales, depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme de
1948, et en particulier dans la
Convention européenne des droits de l'Homme. L'islam par conséquent doit rompre
avec les principes qui ont dirigé son histoire sur ses terres historiques,
notamment la confusion de la morale, de la religion, du droit et de la
politique. La charia, aujourd'hui devenu dans les deux camps un cheval de
bataille, est donc un concept qui doit être considérablement relativisé pour ne
pas dire oublié ou même aboli. Le seul langage commun susceptible de rendre
possible la cohabitation est celui de
l’autonomie personnelle, de la sécularisation, de la démocratie et de l’Etat de
droit. La foi religieuse personnelle de chacun doit venir se loger dans ce
moule de la modernité.
Autrement dit, la religion doit
perdre son privilège de justification, c'est-à-dire cette capacité de justifier
ses croyances, valeurs et normes, exclusivement en puisant dans ses propres
textes. Pour accéder à la modernité, la religion doit convaincre ceux qui se
trouvent en dehors de son propre champ et être acceptable par l'ensemble des
citoyens d'une communauté politique sécularisée. Dès lors qu'elle soulève des
réticences, des résistances ou de la répulsion, elle doit réviser et réformer
ses propres représentations. Un travail en profondeur se réalise dans le monde
musulman depuis les grands réformateurs comme Ameer Ali, Mohamad Iqbal. Qacim
Amine ou Tahar Haddad. Ce mouvement est actuellement en train de se réaliser en
Europe par l'intermédiaire des associations islamiques laïques, des mouvements
féministes ou des penseurs qui plaident pour un « islam sans soumission».
(Titre de l'ouvrage de Abdennour Bidar portant le sous-titre de « Pour un
existentialisme musulman»). En France, des personnalités comme Soheib Ben
Cheikh, ancien mufti de la mosquée de Marseille, son frère Ghaleb, qui anime Islam
sur France ou Tarek Oubrou, l'imam de Bordeaux, Malek Chebal et tant d'autres,
revendiquent tous un islam de la fraternité, de la liberté mais surtout de la
laïcité.
L'idée la plus fondamentale qui doit
être intériorisée en premier lieu par l'islam est celle d'une liberté absolue
de conscience. Autrement dit, les musulmans doivent accepter des idées
étrangères à leur milieu, des idées qui les dérangent, les heurtent ou les
choquent, comme l'a rappelé la Cour européenne des droits de l'homme dans un
certain nombre d'arrêts dans lesquelles l'islam était impliqué. En fait, le
problème de l’incroyance se trouve au cœur de notre sujet. Si l'hypothèse d'une
vie possible sans Dieu n'est pas comprise, toutes les idées périphériques qui
en dérivent ne peuvent non plus être admises.
Manière de dire que la non discrimination confessionnelle, l'égalité homme
femme, la liberté de conscience, la démocratie, l'égalité citoyenne, la
laïcité, demeurent inaccessibles au croyant intégriste qui place dans un même
moule le texte religieux, la politique, la morale et le droit.
Pour devenir un croyant du for
intérieur, le musulman doit apprendre à admettre sans réticence la possibilité
et la validité des autres croyances et en particulier de l'incroyance.
Autrement dit, il doit admettre Dieu comme une possibilité à laquelle il adhère
et non comme une nécessité. Dès lors que
cette idée est admise la religion perd sa virulence politique, pour mieux
s'intégrer dans le contexte d'une
démocratie laïque. Autrement dit, toute la question tourne autour des droits
fondamentaux de la personne à la tête desquels se trouve la liberté de
conscience. Le musulman ne doit pas s’arrêter à la liberté de religion mais
atteindre la liberté de conscience.
En réalité, cette idée doit être
poussée plus loin. En effet, pour véritablement devenir européen, l'Islam doit
se rehausser au plus haut niveau de la production intellectuelle et
scientifique et de l'inventivité artistique au lieu de cultiver les thèmes du
déclin de la civilisation occidentale, de son matérialisme, de sa décadence
morale, de son esprit de conquête et de domination. Regardons par exemple la
place de la judéité, non pas seulement en tant que religion, mais comme Esprit,
culture, dans le développement de la civilisation européenne moderne. Cela ne
peut être expliqué exclusivement par l'existence d'une tradition biblique
judéo-chrétienne, mais également par l'énergie et l'intelligence créatrice
d'une communauté minoritaire. Malgré, ou
peut-être à cause de la Judéophobie d'une Europe chrétienne, la place de la
judéité est immense dans le développement de la science, des arts, de la
philosophie et dans les grandes révolutions intellectuelles qu'a connues
l'Europe. Il s'agit d'une pensée toujours en éveil, curieuse, inventive, mais
surtout critique à l'égard de son propre contexte. La crispation islamique
actuelle sur les mêmes thèmes émasculés de l'identité, de l'authenticité, de
l'hostilité et de la victimisation, de la charia, maintient l'Islam dans une sorte de « classe
marginale »[24], non
pas au sens simplement économique du terme, mais au sens intellectuel et
culturel. Il faut que les musulmans d'Europe ne soient pas simplement intégrés
dans l'identité européenne de base, mais dans l'identité européenne des sommets
: cette identité qui fait que l'Europe constitue la source principale du développement
de la modernité politique, scientifique, philosophique et artistique[25].
La culture islamique en Europe se trouve malheureusement accès sur celle de
l'Islam politique qui met le pouvoir religieux au-dessus de tous les autres[26].
Or, comme l'écrit Khalid Hajji, la « culture musulmane prévalant dans les
courants de l'Islam politique n'a pas trouvé de quoi renouveler sa vision de
soi et renforcer son aptitude à intégrer « l'autre » à sa tentative de formuler
des perspectives d'avenir en commun. Elle demeure, par conséquent, l'otage
d'une rhétorique protestataire léguée par l'ère postcoloniale, ce qui lui fait
rater les occasions de négociations offertes en Occident à l'essai
d'élaboration d'un modèle adéquat de présence au sein d'une telle civilisation....La
communauté musulmane en Occident a bien su fortifier sa position de force
spirituelle bien retranchée dans son espace de piété. Il est temps qu'elle
devienne une force intellectuelle qui contribue à la gestion des affaires de la
cité moderne et la conception de l'avenir de la société occidentale. »[27]
C. La troisième condition qui n'est
que l'autre face de la seconde consiste à assumer ce qu'on pourrait appeler les
batailles de la liberté contre toutes les théologies et les idées politiques
anti démocratiques. Cela consiste tout d'abord à attaquer, par le débat
d'idées, les socles sur lesquels repose le salafisme, c'est-à-dire le
naturalisme, le culturalisme et l'historicisme.
Mais cela consiste également à expliquer comment et pourquoi, au niveau
de l'humain, la philosophie des droits de l'homme est supérieure à toutes
celles qui fondent leur conception du droit sur une volonté extérieure, tenue
pour souveraine des hommes et de leurs lois. Cette perspective consiste à
démontrer que la liberté inconditionnelle de religion n'est pas cette «
liberté monstrueuse», contraire aux droits de Dieu. Comme avant elle l'Eglise
catholique, sous la pression des réformés, la religion islamique doit faire
l'effort d'admettre cette liberté qui n'est pas la sienne à l'origine[28].
Disons, pour ne jamais perdre le sens de l’humour, que le malheur de l’islam a peut-être
précisément été de ne pas avoir eu vraiment son église catholique.
D. La quatrième condition consiste à
instituer une alliance entre toutes les forces progressistes qui
admettent cette démarche. Ces forces doivent englober les individus, la presse,
les associations, les organisations non-gouvernementales, les autorités morales
et religieuses, mais également et peut-être surtout les autorités publiques et les
gouvernements. Cette alliance implique une culture de l’Homme et un amour de
l’Univers, ce qui veut dire une lutte contre toutes les formes de xénophobie et
de répulsion pour fait de culture, de race ou de religion. Dans ce contexte, il
faut sortir la majorité « silencieuse » des musulmans de son silence,
en lui expliquant que c’est sa propre
survie et celle de ses enfants qui est en jeu. Devant la gravité des ruptures,
le silence est irresponsable et devient complicité.
Mais il faudrait également que la
presse prenne, à son tour, conscience de ses propres responsabilités.
Actuellement, la presse européenne, l'édition et les médias d'une manière
générale sont trop exclusivement concentrés sur l'islam extrémiste et lui donne
ainsi plus de visibilité en lui offrant une publicité gratuite. On ne parle pas
assez des mouvements musulmans laïcs. Ce qu'il convient de faire consiste à
élaborer des programmes ouverts et critiques d'enseignement, des projets de
formation d'éducateurs et d’imams ouverts sur le monde de la science, comme la
cosmologie expérimentale, et sur les sciences humaines et sociales d'une
manière plus particulière. De grands projets artistiques et éditoriaux modernes
de type philosophique ou littéraire doivent également être élaborés et recevoir
la plus large diffusion. Dans l'intérêt général et pour le bien commun,
l'ensemble de ces programmes ne peut être soumis à la loi du marché qui, nous
le savons, constitue la règle d'or de l'économie européenne. Sur ce plan, il ne
peut y avoir de liberté des prix, de « laisser-faire laisser-aller »
ou de loi de l’offre et de la demande. C’est la paix civile qui est en jeu et
le marché, dans ce domaine, est le plus malfaisant des conseillers. Un certain dirigisme volontariste, contraire
il est vrai à l’état du droit européen ne peut pas être évité si nous ne
voulons pas sombrer dans la violence et le malheur.
E. Ces conditions impliquent un
dialogue réel et sincère. Un tel dialogue ne consiste pas uniquement à voir
« l'autre » comme la source de ses propres problèmes, mais comme une
possible source d'enrichissement et d’ouverture sur le monde. Cela nécessite
évidemment de connaître l'autre autrement qu'à travers des clichés, d'aller
fouiller dans le fond de sa culture tous les éléments propices à un développement
de l'amitié. La curiosité pour la culture de l'autre, la reconnaissance
culturelle mutuelle, la défense de l'autre plus que soi-même : voilà les vrais
préalables d'un authentique dialogue.
Si les conditions que nous avons
précédemment décrites sont respectées, l’islam peut alors devenir un élément
constitutif de la nouvelle identité européenne.
F. Les autres conditions ne relèvent
pas vraiment du dialogue. Il faut cependant les évoquer. Elles consistent à
combattre tous les facteurs qui ont joué pour l'émergence et le développement
de l'islam radical. Des politiques sociales, de formation, des stratégies
urbaines et professionnelles doivent être entreprises, par exemple pour lutter
contre la territorialisation confessionnelle. Cette territorialisation est à
l'origine de ces banlieues chaudes, de ces espaces off shore, de ces citoyennetés de seconde zone qui
constituent le meilleur terroir pour les comportements « fissipares »
que nous avons évoqués précédemment. La note peut être lourde. Mais certainement
pas plus lourde que le fait pour la République fédérale allemande d’avoir pu
digérer la réunification. Elles consistent par ailleurs à lutter
impitoyablement, sans état d’âme, contre tous les recours à la violence, la
clandestinité, le complot contre ce système si fragile qui s’appelle la
démocratie. Le véritable problème n’est pas un problème de religion mais de
développement.
IV. Pour une
laïcité raisonnée, fondée sur le rôle de l'Etat et "l'ordre public
européen".
Tout ce que nous avons affirmé
précédemment implique une intervention conjuguée et coordonnée des
organisations non-gouvernementales, des universités, des autorités régionales
et locales, des églises, des autorités religieuses islamiques, et de l'État. Le
rôle de ce dernier est capital. À côté de ses attributions régaliennes en
matière législative, dans le domaine de la nationalité, de la famille, des
règles admises et des comportements inadmissibles en matière de fonctionnement
et d'organisation des services publics, de son rôle classique en matière de
politiques publiques éducatives, culturelles, de formation, d'élaboration du
cadre juridique nécessaire dans tous les domaines de l'ordre public et du droit
pénal, notamment dans la lutte contre le terrorisme et dans la régulation des
flux migratoires, l'État doit en effet assumer le rôle d'un coordinateur des
actions pédagogiques et culturelles de la société civile.
À ce propos, nous devons clarifier la question
des rapports entre la religion, la politique et le droit. Cette question nécessite sans nul doute une
révision, peut-être déchirante, des pratiques de la laïcité traditionnellement suivie,
avec plus ou moins de rigueur, en Europe. L'effort essentiel doit se porter vers
la consécration d'une laïcité raisonnée, adaptée au contexte de l'Europe
actuelle, qui n'est pas celle des années 1900.
Nous
savons que le droit et les pratiques de la sécularisation de l'État et du droit
en Europe varient considérablement. Cela va de la conception radicale de la
laïcité telle qu'elle est formulée par le droit français ou belge[29]
jusqu'aux formules reconnaissant une religion d'État, comme l'Angleterre, la
Grèce ou certains cantons suisses, en passant par toutes sortes de modèles
mixtes, comme la pilarisation néerlandaise ou belge[30],
sans parler des paradoxes russes[31].
Mais, en vérité, derrière ces divergences de façade, il existe en Europe une
" laïcité minimum", c'est-à-dire un patrimoine commun de séparation,
non pas tellement des églises et de l'État, mais de la religion et des choses
sacrées d'un côté et des affaires politiques d'un autre côté[32].
Les trois principes cardinaux de cette laïcité minimum sont les suivants :
_ tout d'abord, comme l'affirme la constitution
italienne, la religion et l'État demeurent chacun « chacun dans son ordre
propre ». Cela implique une obligation de neutralité de l'État dans la
détermination du dogme religieux, et dans l'ensemble de la pratique religieuse
d'un côté et, d'un autre côté, une neutralité des représentants de la religion
dans le fonctionnement de l'État. Partant, l'autorité publique ne peut participer ni d'une
manière directe, ni d'une manière indirecte à toute opération de prosélytisme
religieux.Il s'ensuit également une autonomie du droit qu'il soit celui du
droit public ou du droit civil par rapport aux préceptes et règles du droit
religieux et l'autonomie du culte religieux par rapport au droit étatique. Ce premier
principe implique enfin, avec plus ou moins de sévérité, que l'espace public
soit réservé à l'exercice des activités citoyennes (liberté de circulation,
droit de protestation pacifique, défilé, liberté de manifestation),
_ le deuxième principe consiste à garantir à la
fois la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. En conséquence, cette laïcité minimum n'admet
pas la pression des communautés religieuses sur les individus qui en font
partie, accordant ainsi une prévalence de la citoyenneté sur l'allégeance
confessionnelle. Ce principe favorise
évidemment la tolérance obligeant les citoyens, comme l'affirme la Cour EDH, de
tolérer les idées et opinions qui provoquent, heurtent, choquent ou inquiètent[33]
ou encore les comportements et les choix esthétiques ou moraux déviants. C'est
la leçon que vient de donner le conseil d'État dans son ordonnance du 26 août
2016, en rappelant aux autorités administratives qu'elles doivent, à moins que
l'ordre public soit menacé, « concilier l'accomplissement de (leur) mission
avec le respect des libertés garanties par les lois », notamment la liberté de
circulation, la liberté de conscience et la liberté personnelle. Le port d'un
vêtement donné, même s'il provoque l'envie de râler ou de gifler, fait partie
de cette liberté personnelle. La démocratie, loin de constituer, comme la
religion, un système de pensée qui nous apprend à nous aimer les uns les
autres, est un système d'organisation qui nous apprend à nous tolérer les uns
les autres.
_ le troisième principe cardinal, consiste,
pour une même personne, à reconnaître la suprématie de l'allégeance citoyenne
par rapport à la société politique et l'État, sur l'allégeance du croyant, par
rapport à sa foi, son dogme religieux, son église et son culte.
D'une manière générale, cette culture
européenne d'une laïcité minimum est donc fondée essentiellement sur
l'indépendance des deux ordres politique et religieux, ce dernier étant
représenté par une église donnée.
Cette culture minimum de la laïcité se
trouve exprimée par l'article 2 du projet de loi présenté devant le Grand Conseil de la République et canton de
Genève. Il y est affirmé :" 1
Au sens de la présente loi, la laïcité de l’Etat se définit comme le principe
de neutralité de l’Etat dans les affaires religieuses, qui doit
permettre de préserver la liberté de conscience et de croyance, de
maintenir la paix religieuse et d'exclure toute discrimination fondée
sur les convictions religieuses. Elle favorise la tolérance et le respect
mutuel au sein de la société".
Or,
ce modèle, même dans sa formulation minimum que nous venons de décrire, n'est
pas adéquat au contexte de la religion islamique en Europe et ceci pour au
moins deux raisons. La première est que l'Islam n'a pas d'église et qu'il
constitue, encore aujourd'hui pour la majorité de ses adeptes, une religion
civile, c'est-à-dire une religion personnelle pratiquée par le
peuple des croyants, sans intermédiaire, sans sacrements, sans baptême, sans
consécration, sans intronisation. Quand nous disons « religion personnelle »,
nous entendons par là que chaque personne croyante constitue, en quelque sorte,
une église miniature indépendante, ce qui a pour effet de politiser
considérablement la question religieuse. La deuxième raison est que cette
laïcité, loin de favoriser la constitution d'une citoyenneté européenne
islamique, favorise au contraire l'ethnicité et la communautarisation de la
religion et la constitution d'une sorte de ghetto confessionnel, en marge de la
citoyenneté et souvent hostile à cette citoyenneté. Lorsque l'État adopte une
attitude de neutralité à l'égard des religions, il ouvre la voie à l'emprise de
la communauté sur l'individu et, dans le cas ou la religion se pose comme
religion civile, à l'emprise des groupes religieux politiquement actifs et
militants sur les membres de cette communauté confessionnelle. Tout cela
favorise la marginalité de la minorité confessionnelle par rapport à la société
d'accueil et, à l'intérieur de la minorité confessionnelle, toutes les formes
de militantisme politique, de radicalisme religieux et de pressions et menaces
sur les récalcitrants.
À
ce propos, et dans le contexte européen, il est impératif de rappeler que la
situation de l'Islam et des religions chrétiennes majoritaires n'est pas la
même. Tout d'abord, contrairement à l'islam, le christianisme a fait souche
avec la civilisation européenne et a déterminé, par les moyens de la guerre et
de la paix, de l'amitié et de
l'adversité, de l'union et des scissions, ses mœurs ainsi que toute sa culture,
politique, philosophique, poétique, littéraire, picturale, architecturale,
musicale. Par ailleurs, dans la plupart des pays européens, le christianisme et
les églises ont été nationalisés au niveau de la langue liturgique et de
communication et celui de la nationalité des ministres du culte. L'église est
allemande en Allemagne, française en France et anglaise en Angleterre. Enfin, après des guerres de religion
sanglantes entre les religions elles-mêmes et dans les rapports entre les
religions et l'État, les religions majoritaires de l'Europe se sont peu à peu
acclimatées aux exigences spécifiques, tout d'abord de l'étatisme, chaque
nation suivant la religion de son prince, puis ensuite du patrimoine commun de
laïcité européenne, même dans les Etats qui invoquent la divinité dans leur constitution[34]
ou qui, comme l'Angleterre, la Grèce[35],
ou certains cantons suisses reconnaissent une religion officielle ou une
religion d'Etat, ou une "religion du peuple"[36]
ou comme collectivité de droit public ayant la personnalité juridique, ou une
religion dominante ou une religion nationale. D'ailleurs, ce conflit entre les
deux traditions antagonistes de l'identité européenne, la tradition religieuse
chrétienne et la tradition laïque, s'est nettement manifesté lors de
l'élaboration des textes européens,
depuis le traité d'Amsterdam en 1997[37],
jusqu'au traité de Rome établissant une constitution pour l'Europe en 2004[38],
puis au traité de Lisbonne du 3 décembre 2007[39],
en passant par la Charte des droits fondamentaux adoptée le 7 décembre 2000 à
Nice.
À tous ces niveaux, la situation de l'Islam est tout à fait différente.
Par conséquent, il est demandé à l'Islam en Europe de s'adapter aux différentes
évolutions religieuses que nous venons d'évoquer. Tout d'abord, s'intégrer au
mieux dans le cadre de la culture et de la civilisation européenne. Ensuite,
perdre son caractère de religion « étrangère » en territoire européen. Enfin,
s'adapter à cette culture commune européenne minimum de la laïcité. Il devient
par conséquent essentiel de développer et encourager une laïcité raisonnée
adaptée au contexte actuel de l'Islam en Europe. Cela veut dire que, par tous
les moyens possibles, notamment ceux des politiques publiques, il est
indispensable d'équilibrer les exigences du citoyen et du croyant, et ne pas
permettre à ce dernier d'engloutir, au nom de la religion, les droits et
devoirs du citoyen. Cet équilibre difficile à obtenir il est vrai, consiste à
ne pas permettre ni à l'une, ni à l'autre d'étouffer l'épanouissement de l'une
ou de l'autre. L'Islam d'Europe n'a pas vécu ces situations et se trouve par
conséquent dans une sorte de diachronie historique avec son milieu d'accueil.
Ainsi, la citoyenneté doit respecter et
reconnaître la liberté et les droits de la religion de la croyance et du culte dans leurs manifestations légitimes. C'est la leçon
que vient de donner le conseil d'État dans son ordonnance du 26 août 2016, en
rappelant aux autorités administratives qu'elles doivent, à moins que l'ordre
public ne soit menacé, « concilier l'accomplissement de (leur) mission avec le
respect des libertés garanties par les lois », notamment la liberté de
circulation, la liberté de conscience et la liberté personnelle. Le port d'un
vêtement donné, même s'il provoque l'envie de râler ou de gifler, fait partie
de cette liberté personnelle. La démocratie, loin de constituer, comme la
religion, un système de pensée qui nous apprend à nous aimer les uns les
autres, est un système d'organisation qui nous apprend à nous tolérer les uns
les autres.
Mais la liberté du croyant ne doit et ne
peut se développer que dans les limites de ce que la Cour européenne des droits
de l'homme appelle « l'ordre public européen » et dont les éléments essentiels
reposent en fait sur la norme démocratique. Les éléments essentiels de cette
norme démocratique sont constitués par la liberté de conscience individuelle, le
respect de la paix civile, la consécration de l'espace public et des services
publics essentiellement aux activités et libertés du citoyen, l'égalité en
droits et en devoirs des hommes et des femmes, et, en cas de conflit entre
l'intérêt général (qui par définition est à caractère temporel) et les
exigences particulières d'un groupe religieux, la prévalence de l'intérêt
général. Cette dernière question peut être appliquée dans les domaines de
l'environnement, de l'urbanisme, de la salubrité et de la tranquillité publique.
Ce sont ces principes qui doivent régler des questions pratiques sensibles
comme l'édification des lieux de culte, la pratique des cultes (en particulier
la pratique du culte débordant sur l'espace public), la nationalité et la
formation des personnes habilitées à administrer le culte, l'enseignement
religieux dans les écoles publiques mais également dans les écoles privées, les
rites funéraires ou d'ensevelissement, les pratiques et interdits alimentaires,
les rites d'abattage, les pratiques vestimentaires etc. toutes ces questions ne peuvent être
réglées que par l'arbitrage des autorités publiques et sous le contrôle des
principes que nous avons évoqués précédemment. Cela implique évidemment, d'une
certaine manière, une sorte de "nationalisation de la religion" et,
au niveau de l'Europe, son "européanisation".
Ce point de vue n'est
évidemment pas celui des Etats islamiques qui en appellent plutôt au démarquage.
Si l'on en croit l'ISESCO: "La genèse des sociétés occidentales et leur
évolution puisent leur sève dans des principes et postulats qui les orientent
de plus en plus vers la laïcité. Le déclin amorcé des philosophies positives et
des doctrines irréligieuses à l’extérieur du Monde islamique est suivi dans
cette partie du monde par une forte tendance vers l’adoption des courants qui
militent pour reléguer au rebut tout ce qui est sacré, le dépouiller de ses
valeurs spirituelles et réduire la religion “à une question relevant de la vie
privée de l’individu”. En conséquence, l'objectif, clairement exprimé consiste
à :" éviter la fusion dans le milieu ambiant".[40]
Pourtant, si l'on tient
à éviter les confrontations, il est impératif que l'Islam en Europe s'adapte à
l'Europe, dans sa dimension historique et culturelle. Mais il revient également
à l'Europe de reconnaître les pratiques d'un certain islam, même si elles ne
correspondent pas au goût ou à
l'esthétique traditionnelle des pays européens, à condition, bien entendu, que
ces pratiques demeurent dans les limites de l'ordre public européen. S'il n'y a
pas de raison acceptable pour interdire le port du burkini, sur les rivages de
l'Europe, comme l'a décidé le Conseil d'État français dans sa récente
ordonnance du 26 août 2016, il n'y a pas de raison, non plus, de permettre à
n'importe qui, venant de n'importe ou, d'enseigner ou de prêcher n'importe quoi,
comme par exemple de prétendre que la voix ou le visage des femmes est tabou, 'awrah,
que l'inégalité successorale constitue à la fois un ordre de Dieu est un
précepte du droit naturel, que l'adoption est interdite, ou que la polygamie
constitue le seul système marital admis par l'islam, ou que les voleurs doivent
être amputés de leurs mains ou que les fauteurs de trouble ou de rébellion doivent
avoir les pieds et les jambes amputées en diagonale. Tous ces archaïsmes de la
charia islamique doivent être oubliées. Il n'y a pas de raison que des prêches soient
conduits par des étrangers dans une langue étrangère prônant le radicalisme
religieux ou véhiculant des philosophies hostiles à cet ordre public européen. Il
n'y a pas de raison enfin que des lieux de culte musulman soient construits,
financés et pourvus en ressources humaines, en territoire européen, par des
Etats étrangers. Cela revient à dire que la reconnaissance et la liberté des
communautés religieuses ne peuvent se réaliser pleinement que sous le contrôle
d'une autorité publique guidée par les principes de l'ordre public
démocratique. Pour cette raison, j'estime que l'intervention du ministre
français de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, le 29 août 2016 par laquelle il
clôturait la consultation nationale avec les représentants de l'Islam de France
est de la plus haute importance. Tout en affirmant la détermination des
autorités publiques de lutter contre le terrorisme et le radicalisme religieux,
et de protéger les Français musulmans, il a pris soin de souligner que
"...la République a vocation à prendre dans ses bras tous ses enfants,
quelles que soient leurs origines ou leur confession". Mais ces enfants doivent faire de la
république leur première appartenance. Autrement dit, l'allégeance citoyenne à
l'égard de la république doit prévaloir sur toute autre, ce qui ne va pas de
soi pour une communauté qui a tendance à situer la religion au dessus de toute
appartenance. Le projet annoncé par le ministre de l'intérieur s'articule
autour de trois idées fondamentales qu'il résume lui-même de la manière suivante : «
...la création d’une nouvelle Fondation de l’Islam de France ayant un
objet culturel, éducatif et social; la constitution d’une association cultuelle
musulmane vouée au financement des mosquées et de la formation théologique
des ministres du culte ; le lancement d’une mission en vue de proposer la
création de nouveaux cursus d’islamologie dans certaines universités
françaises." Ce projet respecte intégralement les principes de la laïcité,
puisque, par exemple, le financement du culte et des activités communautaires
n'aura pas lieu par le truchement de l'impôt, mais par des contributions
privées, mais, en réalité, il s'agit la d'une politique dirigiste entièrement
animée par la nationalisation du fait religieux, par l'intermédiaire du
financement national, et la formation théologique et linguistique des imams et
des aumôniers dans le cadre de la culture nationale.,
Comme je le disais précédemment, l'équilibre entre l'ordre public
européen et la liberté religieuse est difficile à atteindre. Il dépend
évidemment des circonstances nationales ou même locales. Par conséquent, il
peut varier selon les interprétations. La meilleure preuve qu'on puisse en donner se révèle par les
divergences d'interprétation entre la cour constitutionnelle allemande et les
juridictions françaises sur le port du foulard islamique dans les écoles publiques
ou le port du burkini dans les cours de natation. Dans tous ces domaines, tout est question de
proportionnalité ou de disproportion entre les restrictions imposées à la
liberté de religion et les dangers encourus par l'ordre public. Or, rien n'est
plus difficile, en droit comme ailleurs, que l'évaluation de proportionnalité. Mais,
quoi qu'il en soit, la laïcité passive, celle de la neutralité radicale de
l'État, n'est plus de mise.
C'est avec ces conditions que l'Islam pourra
véritablement trouver sa chance de rayonnement en Europe ouvrant à cette
dernière la possibilité d'approfondir encore plus son héritage de la liberté. Il
s'agit, comme l'affirme Jacques le Goff,
de faire passer le musulman de la situation d'Autre à celle de concitoyen à
part entière. »[41]
[1]
Selon le Zentralinstitut Islam-Archiv-Deutschland, le nombre de
musulmans en Europe en 2007 était
d'environ 53 millions, soit un peu plus de 7 % de la population européenne
totale de 730 millions.
[2]
Pierre Manent , La situation de la France, Desclée de Brouwers, Paris,
2015.
[3]
Henri
Pirenne, Charlemagne et Mahomet, Collection
‘Quadrige’, Presses Universitaires de France, Paris, 1992, 1ère édition
Bruxelles, 1937. "Contrairement aux tribus germaniques christianisées qui
s'assimilèrent culturellement à l'empire romain d'Occident, n'en modifiant que
la structure politique, la conquête islamique divisa le monde méditerranéen en
Europe et non Europe".
[4]
Henri Pirenne, Charlemagne
et Mahomet, op.cit., p.108.
[5]
Philippe Senac, "Sarrasins et européens", in Histoire de l'Islam
et des musulmans en France du Moyen Âge à nos jours, sous la direction de
Mohamed Arkoun, préface de Jacques le Goff, la Pochothèque, Albin-Michel, 2006,
p.95.
[6]
Dominique Logna-Prat, "L'Islam et la naissance de la chrétienté à la fin
du IXème siècle", in, Histoire de l'Islam et des musulmans en France…,
op. cit.,p. 97.
[7]
Loc. cit., p. 98.
[8] Lucien Febvre, L’Europe.
Genèse d’une civilisation, présenté et annoté par Thérèse Charmasson et
Brigitte Mazon avec la collaboration de Sarah Ludemann, préf. de Marc Ferro, Ed.Perrin,
1999. Après avoir résumé le bilan des
acquisitions médiévales de l'Europe à partir de l'Orient, et se situant au
niveau de la pensée philosophique et de la mystique, Lucien Febvre poursuit :
"...en Espagne, n'observe-t-on pas, à son origine, le rebondissement de la
mystique musulmane sur la mystique chrétienne ? En Espagne, n'observe-t-on pas
l'incidence de la musique musulmane et de la poésie musulmane, sur la musique,
sur la poésie des troubadours de nos cours provençales ? Abélard et Albert le
Grand ne se nourrissaient-ils pas d'Al Farabi et d'Avicenne ? La fameuse
question des universaux n'est elle pas discutée à Damas, un siècle avant
qu'elle ne soit discuté à Paris ? N'est-ce pas par les Arabes qu'Aristote fut
connu en Occident ? ... C'est chez lui, c'est chez Averroès que saint Thomas a
puisé les matériaux de sa somme monumentale, en les complétant par la lecture
du rabbin de Cordoue Moïse Ben Maïmon. Mais
dans un autre domaine, l'illustre école de Salerne fondée ou réorganisée par
Robert Guiscard fut toute arabe. Mais, à la Cour de Roger II de Sicile, c'est
un Arabe, Edrissi, qui enseigne une géographie plus exacte que celle de
Ptolémée. ».. Sa conclusion est la suivante : "D'un mot, l'Occident
pendant tout le moyen âge n'a cessé de suivre d'un pied boiteux, en
s'essoufflant, les savants sarrasins, qu'il s'agisse de mathématiques,
d'algèbre, de trigonométrie, d'astronomie, d'optique ou de chimie, de pharmacie,
de médecine, de chirurgie. Et cela dure. Il y a des influences musulmanes au
fond de la philosophie de Raymond Lulle. Il y a des influences musulmanes au
fond du poème théologique de Dante. Pendant des siècles, l'Occident a été à
l'école de l'Orient, à l'école des Sarrasins, je précise, plus encore qu'à
l'école des Byzantins.", op. cit., p. 186.
[9]
Guy Le Thiec, « La renaissance et l'orientalisme « turquesque», in Histoire
de l'Islam et des musulmans en France, op. cit.,p.450.
[10]
Guy Le Thiec, « La renaissance et l'orientalisme « turquesque..., loc. cit.,p
458.
[11]
Loc. cit.,p. 470.
[12]I.S.E.S.C.O.,
Stratégie de l’Action Islamique Culturelle à l’extérieur du Monde islamique
(Doha, 2000). p. 17.
http://www.isesco.org.ma/fr/wp-content/uploads/sites/2/2015/05/Strat%C3%A9gieExtVFLR1.pdf.
[13]
Yadh ben Achour, "Benoît XVI et l'Islam, encore un malentendu". La
croix, 10 octobre 2006.
[14]
Jean-Luc Marret, (dir.), Les Fabriques du jihad , Paris, PUF,
2005.
[15] Ou d'un historien israélien
comme Raphaël Israeli, The Spread of Islamikaze
Terrorism in Europe: The Third Islamic Invasion", London, Vallentine
Mitchell, 2008.
[16]
Il en est ainsi du British
National Party en Angleterre, du Front national en France, de la Ligue
du Nord en Italie, du Parti de la Liberté hollandais, le Parti
Laos grec, le Parti de la liberté
FPO autrichien, de l’UDC union démocratique du centre, Suisse.
[17]
Synoptikos.
Mélanges offerts à Dominique Urvoy, Université de Toulouse le
Mirail, 2011. Texte partiellement repris et développé à partir d'une
communication présentée en 2007 pour Jura Gentium , Rivista di filosofia del
diritto internazionale e della politica globale http://www.juragentium.org/topics/islam/int/fr/achour.htm
[18]
Nouvel article L 141-5-1du Code de
l’Education, Loi n°2004-228 du 15 mars 2004. « Dans les écoles, les
collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les
élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le
règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire
est précédée d'un dialogue avec l'élève. »
[19]
Informations recueillies dans les informations télévisées de France 24 du 18
octobre 2010 et sur le site le Figaro.fr à la date du 17 octobre 2010.
[20]
D'après le quotidien français Libération.
http://www.liberation.fr/planete/2015/10/21/en-pologne-la-peur-des-immigres-imaginaires_1407896
[21]
Pierre Manent , La situation de la France, Desclée de Brouwers, Paris,
2015.
[22]
Pour les églises protestantes voir les
sept objectifs du projet
islam adopté par le conseil de la Fédération des Églises protestantes de
Suisse, notamment le septième "...le respect des lois suisses, des
structures démocratiques et de la culture née des religions de migration comme
l’islam sont indispensables pour vivre ensemble dans le respect.
La Fédération des Églises défend cet objectif auprès des musulmans et
du public suisse, dans les diverses rencontres et coopérations auxquelles elle participe".
http://www.kirchenbund.ch/fr/themes/islam
[23]
Voir notamment la lettre des 138 personnalités musulmanes de 2007 et le forum
catholico musulman de Rome de 20008, Maurice Borrmans, Dialoguer avec les
musulmans. Une cause perdue ou une cause à gagner ? Préface du Cardinal
Jean-Louis Tauran, Pierre Tequi éd., Paris, 2011, p. 229 sq et 257 sq. Voir
également l'exhortation évangélique apostolique Evangelii gaudium
du pape François, de novembre 2013, dans laquelle le Pape reprend l'idée du
dialogue avec l’islam.
[24]
Jocelyne Césari, "Les musulmans en Europe : une intégration soumise à des
contraintes internationales" , in l'Islam
en Europe, op. cit. p. 28.
[25]
En ce sens, Khalid Hajji, L'ouverture de l'espace culturel à la modernité :
conditions de maturation d'un modèle pertinent de la présence musulmane en
Europe, in Islam en Europe : quel modèle ? Actes du colloque international,
Casablanca 20 et 21 juin 2009, éditions Marsam., Rabat, p.73 sq.
[26]
Loc. cit., p. 83.
[27]
Loc. cit., p. 82 et 83.
[28]
Hugues Petit, « Le décalogue et les déclarations des droits de l'homme », in J.
Ferrand et H. Petit (Eds), L’Odyssée des droits de l’homme, vol. I, op.cit., p.3.
[29]
La Constitution de Genève du 14 octobre 2012 dispose dans son art.3. "Art. 3 Laïcité .
1 L’Etat est laïque. Il observe une neutralité religieuse.
2 Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.
3 Les autorités entretiennent des relations avec les communautés religieuses."
1 L’Etat est laïque. Il observe une neutralité religieuse.
2 Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.
3 Les autorités entretiennent des relations avec les communautés religieuses."
[30]
Ce système politique trouve son origine aux Pays-Bas, où
il fut mis en place par Guillaume d’Orange. Protestants,
Catholiques
et Juifs en
constituaient les trois piliers, chacun s’organisant selon ses usages — en
matière de mariage
par exemple — mais adhérant par dessus ces particularismes aux valeurs communes
de la Nation.
[31]
En même temps qu'est affirmée la liberté de conscience, par deux loi votées en
octobre et novembre 1990 l'église russe orthodoxe perd son statut d'église
officielle de l'État alors qu'elle ne l'avait jamais perdu sous le régime
soviétique. En 1997,
cependant, le même parlement vote une loi restreignant les activités des
organisations religieuses en Russie. Une liberté complète est garantie à toute
organisation religieuse reconnue par le gouvernement soviétique avant 1985 : Église
orthodoxe, judaïsme, islam, et bouddhisme
[32]
Cette conception classique de la laïcité est bien formulée par le
droit de quelques pays européens, comme la loi française du 9 décembre 1905. Elle
comprend la neutralité de l'État dans le financement du culte, comme le proclame
l'article 2 de la même loi : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne
subventionne aucun culte » et l'interdiction de tenir des réunions politiques
dans des lieux de culte. Voir également l'article 21 de la Constitution belge :
« L’État n’a le droit
d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de
défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs
actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de
presse et de publication. Le mariage civil devra toujours précéder la
bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a
lieu."
[33] C.E.D.H., Handyside (7 décembre 1976), "La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'y a pas de société démocratique."
[34]
Comme l'Irlande, la Pologne, la République fédérale allemande, la Grèce.
[35]
Constitution Grecque de 1975, article 3:"1. La religion dominante en Grèce est celle de l’Église
Orthodoxe Orientale du Christ. L’Église Orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour
Chef Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à
la Grande Église de Constantinople et à toute autre Église chrétienne du même
dogme, observant immuablement, comme celles-ci, les saints canons apostoliques
et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est autocéphale et
administrée par le Saint-Synode,qui est composé des Évêques en fonction, et par
le Saint-Synode Permanent qui, émanant de celui-ci, est constitué comme il est
prescrit par la Charte Statutaire de l’Église, les dispositions du Tome Patriarcal
du 29 juin 1850 et de l’Acte Synodique du 4 septembre 1928 étant observées.2.
Le régime ecclésiastique existant danscertaines régions de l’État n’est pas
contraire aux dispositions du paragraphe précédent. 3. Le texte des Saintes
Écritures reste inaltérable. Sa
traduction officielle en une autre forme de langage sans l’approbation de
l’Église Autocéphale de Grèce et de la Grande Église du Christ à Constantinople
est interdite.
[36] Canton d'Appenzell Rhodes-Intérieures, Art. 3 al. 1 de
la Cst. cant. du 24 novembre 1872, La religion
catholique romaine bénéficie “de la garantie et de la protection de l'Etat à
titre de religion du peuple”. Constitution de la République et Canton de
Neuchâtel du 24 septembre 2000, art. 98 al. 1 "L’Etat reconnaît L’Eglise
réformée évangélique du canton de Neuchâtel et les paroisses neuchâteloises de
l’Eglise catholique romaine et de l’Eglise catholique chrétienne comme
institutions d’intérêt public représentant les traditions chrétiennes du pays
et travaillant à son développement religieux." art. 99 "D’autres
communautés religieuses peuvent demander à être reconnues d’intérêt public. La
loi fixe les conditions et la procédure de la reconnaissance. Elle en règle
également les effets, à moins que ceux-ci ne fassent l’objet d’un concordat. "
[37]
Qui avait reconnu pour les Etats membres le droit de reconnaître un statut
spécifique aux communautés religieuses. Annexe numéro 11 du traité d'Amsterdam.
[38]Rejeté par le France et la Hollande. Traité instituant une
constitution pour l'Europe. Préambule : « S'INSPIRANT des héritages culturels, religieux
et humanistes de l'Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs
universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la
personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de
droit; … ». Quant à la charte des droits fondamentaux de l'Union, elle stipule
dans son préambule : « Les peuples d'Europe, en établissant entre eux une union
sans cesse plus étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur
des valeurs communes. Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l'Union
se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de
liberté, d'égalité et de solidarité; elle repose sur le principe de la
démocratie et le principe de l'État de droit. Elle place la personne au cœur de
son action en instituant la citoyenneté de l'Union et en créant un espace de
liberté, de sécurité et de justice." Et dans son article II. 70 : « Liberté
de pensée, de conscience et de religion 1. Toute personne a droit à la liberté
de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de
changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en
privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des
rites. 2. Le droit à l'objection de conscience est reconnu selon les lois
nationales qui en régissent l'exercice ."
[39] Qui reprend la
rédaction du traité de Rome 2004. "S'INSPIRANT des héritages culturels,
religieux et humanistes de l'Europe, à partir desquels se sont développées les
valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne
humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de
droit;" Le traité de Lisbonne évoque dans son article 2 le " patrimoine culturel européen".
[40]
I.S.E.S.C.O., Stratégie
de l’Action Islamique Culturelle à l’extérieur du Monde islamique (Doha, 2000).
p. 18.
http://www.isesco.org.ma/fr/wp-content/uploads/sites/2/2015/05/Strat%C3%A9gieExtVFLR1.pdf.
[41]
Jacques le Goff , préface à Histoire de l'Islam et des musulmans en
France du Moyen Âge à nos jours, op. cit.,
p.17.