Pourquoi parler
d'Averroès en ce début du XXIe siècle, en remettant sur scène un homme du XIIe
siècle, un homme dont les théories et la pratique reflétaient le stade
infantile et archaïque des sciences de l'époque ? La science a considérablement
évolué et est devenue apte à disqualifier non seulement les théories
scientifiques elles-mêmes, mais à invalider de nombreuses idées religieuses ou
philosophiques sur la création, la nature et le temps. La philosophie, et même
la religion, ne peuvent ni se concevoir ni se comprendre aujourd’hui sans
l'appui des sciences. Un théologien ou un philosophe ne peut ignorer
l'astrophysique ni passer à côté des sciences et des techniques de
l'intelligence artificielle. Hélas, sur le plan politique et social, la science
moderne ne bénéficie pas encore du substrat sociologique qui lui permettrait de
trancher universellement les conflits d'idées philosophiques, morales ou
religieuses. Les idées toutes faites, les superstitions, l'ignorance et le
conformisme continuent de régner. Ils continuent de régner non seulement dans
les pays touchés par la pauvreté, la corruption, l'exclusion qui maintiennent
de larges franges des populations concernées en dehors des acquis de la culture
scientifique, mais continuent de régner également dans les pays à très forts
revenus de rente qui ont délibérément choisi, pour des raisons multiples, de
faire prévaloir la continuité de l'héritage culturel sur la discontinuité des
révolutions culturelles, artistiques, philosophiques et scientifiques.
Contrairement à ce qui se passa dans
sa propre patrie culturelle et religieuse, où il fut proscrit et interdit de
lecture pour atteinte aux dogmes religieux, en Occident, Averroès se constitua
des adeptes et fit école. La pensée averroïste se développa au Moyen Âge et au
cours de la Renaissance partout dans les grands centres européens de
l’averroïsme, comme Paris, Montpellier, Padoue, la Sicile, Naples, Bologne et
fut représenté par des auteurs illustres comme Boèce de Dacie, Siger de
Brabant, et Jean de Jandun, mais son influence s’exerça même sur ses
adversaires. Jacques le Goff a pu ainsi affirmer que c’est dans le milieux
averroïste de la faculté des arts de Paris que s’élabore l’idéal le plus
rigoureux de l’intellectuel. Bien qu’en utilisant une approche et une méthode
différente de la sociologie historique, Alain de Libera, dans « Penser au Moyen
Âge », met bien en lumière cette dette historique fondamentale que l’Occident
doit à ce qu’il appelle « l’arabisme », et dans lequel l’averroïsme évidemment
tenait une place majeure, dans la constitution de l’idéal intellectuel. Mais il
provoqua en même temps l’incompréhension et, à partir de là, une sorte de légende noire dans laquelle se
mêlaient l’hostilité, le scandale, l’opprobre, ainsi que les fantaisies imaginaires les plus étonnantes. Sa pensée fit l’objet de plusieurs interprétations
théoriques fantaisistes. Et Alain de
Libera a pu
justement écrire : « Aucun philosophe, sans doute, n’aura eu, dans l’histoire, à assumer plus de paternités théoriques douteuses. » Jean-Baptiste
Brenet nous renseigne sur les motifs et les raisons du scandale. Par sa théorie de l’intellect, Averroès sera
compris comme le fossoyeur de la raison personnelle, de la liberté, de
la responsabilité. En effet,
l’intellect n’est
plus dans l’homme, pour l’homme, par l’homme, il était vu comme extérieur à
l’homme , séparé, unique et éternel.
Le cogito Averroïste pourrait se formuler de la manière suivante : « je
pense donc les choses existent », ce qui montre que la théorie de la raison
(qu’on traduit par intellect) chez Averroès est tout à fait différente du
cogito cartésien.
I
En ce qui nous
concerne, Averroès ne nous intéresse pas par le contenu de sa science ou par le
substrat de sa philosophie. Il nous intéresse essentiellement par sa méthode
d’analyse des grands problèmes philosophiques d’un côté et de la relation qu’il
établit entre la science du sacrée et la philosophie d’un autre côté. C’est
dire que dans les conflits idéologiques, religieux et politiques qui nous
concernent aujourd’hui, Averroès nous intéresse par son regard philosophique
sur le monde et par sa méthode d’examen des problèmes.
Bien que participant directement aux
assises idéologiques et religieuses de son temps, Averroès est un homme de la
rupture et de la discontinuité. Il rompait en effet avec un principe
« constitutionnel » de premier plan, celui du consensus communautaire,
ijmâ’, en tant que source officielle de l’interprétation de la loi
divine. Cette théorie du consensus communautaire avait fini non seulement par
rigidifier la pensée politique et juridique islamique, mais, au surplus,
avaient réussi à transformer en préceptes divins, portant par conséquent
l’estampille du sacré, l’opinion des gestionnaires du sacré. Averroès prenait
la liberté de relativiser la force du consensus communautaire, en particulier
dans le domaine philosophique et théologique. Il en contestera l’existence
même. Il prenait surtout la liberté de n’admettre cette impérativité de la loi
divine que dans la mesure où elle était compatible avec les méthodes et les
conclusions du raisonnement philosophique. Pour cette raison, ses ouvrages,
nous rappelle Maurice Bouygues dans sa notice au Tahafot at Tahafot, exercèrent
une influence que les chefs de l’organisation politique ou religieuse où il
vivait, celle des Almohades, n’avaient
pas tort de juger néfaste[1],
parce que politiquement dangereuse.
Averroès, philosophe de la
liberté : pour le montrer, nous privilégierons trois questions
fondamentales : le rapport entre la religion et de la philosophie, la question
du libre arbitre, et enfin son analyse de la nature et du principe de
causalité. Vu sous ces trois angles, Averroès peut constituer pour nous, au
XXIème siècle, une ressource inestimable pour alimenter « nôtre » argumentation
contre tous les extrémismes.
Le face à face de
la religion et de la philosophie
Disons, à l’orée de ces développements,
qu’apprendre à philosopher, c’est, en soi, apprendre à être libre. Comme le dit
Souleyman Bachir Diagne, la philosophie est «… cette conversation, vive
souvent, dans laquelle sont engagées des personnes qui savent ce que penser
librement vaut, et veut dire, et que cela demande de se déprendre justement des
significations immédiates dans lesquels nous retiennent les cultures et
religions [2]».
Averroès a su être un véritable philosophe, non pas seulement par son talent et
sa maîtrise technique de la matière philosophique, mais également au sens que
lui donne Nietzsche qui écrit dans Le Cas Wagner : « Quelle est la
première et la dernière exigence d'un philosophe vis-à-vis de lui-même ?
Vaincre son temps et se mettre « en dehors du temps ». Avec qui devra-t-il
donc soutenir le plus rude combat ? Avec ce par quoi il est l'enfant de son
temps »[3]. Bien que personne ne puisse être totalement
au-dessus de son temps, nous pouvons cependant le considérer, avec Dominique
Urvoy, comme un « intellectuel musulman ».
Averroès l'a montré évidemment sur le
plan philosophique et épistémologique relativement à la grande question de la
connaissance originelle sur la nature, Dieu, la liberté : est-ce la raison
autonome ou le texte d'autorité qui les fait comprendre et les explique ? Et en
admettant que ce soit le Texte, est-ce sa lettre ou son esprit? La solution préconisée par le Tahâfut
et le fasl al Maqâl est clairement en faveur de la raison universelle, al
'aql, et de l'effort individuel, ijtihâd, dans la lignée du
Mu'tazilisme et fait frontalement face aux thèses déterministes des Jabrites,
mais également des ash'arites. Dans le domaine du droit, elle affronte le
rigorisme du malékisme maghrébin défendu par les almoravides.
Comme le souligne Mohammed Abid al
Jâbri, Averroès répond aux théologiens et "gens de la loi" fuqahâ,
ceux du moins qui avaient condamné le recours à la logique et la
philosophie "des anciens" et jugé que les philosophes étaient des
apostats, pour avoir violé le consensus, ijma', de la communauté des
croyants[4]
et pour avoir soutenu des thèses contraires au dogme et à la loi révélée.
Rappelons à ce propos qu’Ibn Sina
affirmait que la Shari’a, contrairement à la philosophie, était le seul langage
à la fois anthropomorphique, sensualiste, imagé et symbolique, intelligible,
accessible à la masse, rustre et ignorante. La shari’a est donc la seule
religion possible du peuple et ne représente pas la vérité profonde des choses.
Autre manière de dire que le philosophe était délivré de cette connaissance
formelle, purement symbolique et relative. Le philosophe doit aller au-delà de
la lettre du Texte et de ses métaphores. Et c’était vraiment aller au-delà que
de défendre les thèses suivantes :
1. la co-éternité
de Dieu et du monde, parce que de l’Un divin ne peut dériver le multiple,
2. la connaissance,
en particulier chez Farabi, des seuls
universaux kulliyât, par Dieu[5],
3. la réfutation
de la résurrection physique des corps, le jour du jugement, pour cela, il faut
donner du Coran une interprétation intellectualiste et imaginale[6],
à la limite il pourrait s’agir d’une résurrection des corps, vécue en
imagination, comme le souligne Jean Michot
4. enfin, dans le
même sillage, la négation du paradis et de l’enfer, en tant que réalités
matérielles.
Pour ces raisons, la mise à l’index de
la philosophie avait été proclamée par Ghazali qui visait en particulier
Avicenne et Farabi, au motif qu’il s’agissait là de sciences païennes
étrangères, contraires au consensus de la communauté sur des points de dogme,
tels que la nature et les attributs de Dieu, la création de l’univers, la
nature et ses lois. Le véritable enjeu intellectuel consistait à se prononcer
sur la relation entre la religion et la philosophie comme l’avait fait Al Kindi
au IXe siècle, plaçant les philosophes au rang d’héritiers du prophète[7].
Il écrit en ce sens dans son épître sur La philosophie première (al
falsafa al ’Ûlâ), adressée au calife Al Mu’tasim : « Nous serons en garde
contre les interprétations de tant de nos contemporains qui se font un nom de
la spéculation, (et qui sont) des gens étrangers au vrai bien… ayant un
entendement trop limité pour
connaître des
méthodes qui mènent au vrai. …Souillés par l’envie qui s’est installée dans
leurs âmes bestiales et dont les rideaux ténébreux dérobent aux yeux de leurs
pensées la lumière vraie. Ils considèrent comme des ennemis audacieux et
dangereux ceux qui ont les vertus humaines où ils n’ont pu atteindre, et dont
ils sont bien loin, pour défendre leurs chaires usurpées qu’ils ont érigées
sans en avoir le droit, mais plutôt pour dominer et pour trafiquer de la
religion. Celui qui trafique de la religion n’a plus de religion. Il mérite
d’être dépouillé de la religion celui qui s’oppose avec acharnement à ce que
l’on acquière la science des choses en leurs vérités et l’appelle incroyance »[8].
Se prononcer sur la prévalence de la philosophie revenait, en réalité, à
relativiser la place du sacré et de la religion, en tant que fondement de la
connaissance et source de l’organisation sociale.
Pour ne considérer ici que l’aspect
politique, il faut rappeler que la question de l’imamat ou du Khalifa, dont la
théorie fut élaborée par Mawardi (m.1058) au XIème siècle, était intégrée aux
questions théologiques, comme faisant partie des lois de Dieu. Ainsi, le grand exégète
du Coran et théologien du XIe siècle, Abul Ma’âlî al-Juwayni (m. 1085), malgré
son refus de considérer l’imamat comme une question de dogme, reconnaîtra
cependant que son fondement se trouve dans la religion et non, comme le veulent
les mu’tazilites ou les philosophes, dans la raison et que sa nature, son
encadrement et son organisation sont prescrits par les lois de Dieu ( Ahkâm
allahi ta’âla fi a-Za’ama)[9].
Il écrivait dans le Ghiyathi que l’obligation d’instituer l’Imam, était
imposée par la loi divine et non par la raison humaine (wujûb a-naçb
mustafâdun mina a-shar’ al manqûl ghayru mutalaqqa min qadhaya al-‘uqûl)[10].
Nasafî, au XII ème siècle en fera de même dans ses ‘Aqa’id (profession
de foi sunnite). Plus tard un auteur comme Taftazâni (m.1390) commentant les ‘Aqâ’id
de Nasafi (m. 1142), suivra le même chemin. En revanche, Farabi, bien avant
eux (m. 339.950), dans le Kitâb Al Milla, affirmait expressément que la
science politique était une partie intégrante de la philosophie (‘al ‘ilm al-madanî
juz’un mina al falsafa)[11].
Cette querelle était fortement présente
dans le milieu andalou d’Averroès. C’est ainsi que, en 1081, Abul Walid al Baji
écrivait dans sa Wasiyyya : « Il ne faut lire que peu de logique et de ce
qu’écrivent les philosophes, car c’est bâti sur l’infidélité, l’impiété et
l’éloignement de la loi religieuse. Il ne faut les lire que pour connaître leur
utilité afin de faire une législation, et seulement à condition de servir la
religion. Dans le Coran se trouve ce qui suffit[12] ». Plus tard, au XIVème siècle, Ibn Taymiyya
reprendra l’anathème dans sa Réfutation de la logique (naqdh al Mantaq)
aussi bien contre les philosophes que contre les théologiens, mutakallimûn.
Ce fameux consensus de la communauté
des croyants constituera, jusqu'à nos jours, à la fois le bouclier et le
barrage contre lesquels viendront se briser les lames de la pensée innovatrice
et critique. Chez Averroès, il ne s'agit pas de dresser la philosophie contre
la religion, ni l'inverse. Il s'agit de légitimer la philosophie à l'égard du
Texte sacré. Il le dit dès le début du fasl, en se référant au verset 7 de la sourate Âl ‘Umrân qu’il lit et
interprète à sa manière, en jouant en quelque sorte sur la ponctuation. C'est
en ce sens qu'il peut introduire un islam de la liberté, contre un islam de
l'hétéronomie et de la contrainte.
Averroès affirme en ce sens : «
Le but de notre propos est d'examiner, du point de vue sharaïque, si la
réflexion sur la philosophie et les sciences de la logique est autorisée par le
Shar', ou si elle est prohibée ou ordonnée obligatoirement ou à titre de
recommandation. A ce titre, nous disons:
Si l'acte de philosopher n'est rien de plus que s'interroger sur les choses
créées et les considérer en tant que preuve de leur créateur, je veux dire, en
tant que créatures, alors les choses existantes sont les révélateurs du
Créateur par la connaissance de leur mode de création. Et plus la connaissance
du mode de création est achevée, plus celle du Créateur est parfaite ». Or
le shar' nous enjoint, par le Texte, à considérer rationnellement l'univers.
Ainsi, chez Averroès le précepte religieux devient le fondement de cette
réflexion autonome qu'est la philosophie. Là est la différence essentielle
entre le kalam, « science de Dieu » dont l'unique
ambition est de prouver, par la spéculation, la véracité de Dieu, des prophètes
et de la religion, du point de vue islamique, et la philosophie averroïste,
science autonome légitimée du point de vue religieux. Cela suffit sinon à réfuter totalement, du
moins à relativiser, la thèse d’Ernest Renan d’après laquelle l’émergence de la
philosophie dans la civilisation islamique s’est faite non pas grâce à l’islam
mais contre lui, dans la mesure où l’islam est à la fois hostile à la
philosophie et à la science.
Bien que la pensée d’Averroès, à
travers ses différents écrits, ne soit pas d’une limpidité, ni d’une cohérence
parfaite, comme l’a montré Herbert A. Davidson,[13] sa théorie de la raison universelle, al ‘Aql, se
retrouve en réalité dans les trois autres axes fondamentaux de sa philosophie :
la question du libre arbitre, l’idée de
nature et de lois naturelles et ensuite le principe de causalité. Il existe
pour lui une rationalité générale qui gouverne l’univers et que nous retrouvons
dans l’ordre de la nature, elle-même soumise au principe de causalité. Sans
cela, il ne pourrait y avoir ni connaissance, ni philosophie, ni science.
La question du libre arbitre
On sait que
la querelle du libre arbitre a divisé la théologie. Les Mu’tazilites, pour
justifier la pleine justice de Dieu défendaient la doctrine du libre arbitre. L’homme
est libre parce qu’il peut choisir entre deux actions contraires et s’il n’en
était pas ainsi, Dieu serait une aberration. Les Ash’arites étaient partisans
d’un déterminisme médiat qui aboutissait, comme chez Ghazâli, à imputer à Dieu
le bien et le mal. Trop authentiquement philosophe pour admettre la théorie du
libre arbitre, Ibn Rushd n’acceptait pas plus le déterminisme à la manière d’Al
Ash’ari. La liberté existe mais elle est conditionnée.
L’analyse
d’Ibn Rushd dans les “Manâhij...” part du constat que les sources
scripturaires se contredisent. Certains versets du Coran consacrent le principe
de nécessité et de la prescience divine. D’autres, en revanche, penchent vers
le principe d’indifférence. Il en est de même des hadiths. C’est ce qui
explique, dit Ibn Rushd, que les musulmans se soient séparés sur cette question
en partisans du libre arbitre (Mu’tazilites), partisans du déterminisme (Jabriya)
et doctrine intermédiaire des Ash’arites.
La
position des Ash’arites, purement formelle, dit Ibn Rushd est à rejeter. Car il
ne peut y avoir de situation moyenne entre le libre arbitre et la nécessité.
Ibn Rushd, par ses idées sur le principe de causalité, ne pouvait assurément
pas adhérer à la doctrine du libre arbitre mu’tazilite, construite de toute
pièce pour justifier la justice de Dieu. La thèse d’Ibn Rushd est la suivante :
“... Dieu nous a dotés de forces par lesquelles nous pouvons obtenir des choses
contraires. Mais cette acquisition des choses ne peut se faire que parce-que
les causes que Dieu a réunies pour nous de l’extérieur surviennent, par la
cessation des obstacles qui les empêchaient. Les actions qui nous sont imputées
se réalisent par la conjonction des deux éléments. S’il en est ainsi, nos actes
se font donc par notre vouloir et par les causes extérieures, qu’on appelle
volonté de Dieu (qadar Allah). Ces causes ne sont pas simplement des
compléments ou des empêchements à l’encontre de nos actes, mais constituent la
cause déterminante pour laquelle nous voulons l’un ou l’autre. La volonté (Irada)
est une inclination produite par l’imagination ou la croyance en une chose.
Mais cette croyance n’est pas le fruit de notre choix (libre arbitre = Ikhtiyâr),
mais c’est quelque chose qui survient par suite de phénomènes extérieurs. C’est
ainsi, par exemple, que si une chose désirable se présente à nous de
l’extérieur, nous la désirons nécessairement, sans choix, et nous y tendons... »
Et comme les causes extérieures se déroulent selon un ordre précis, et une
succession causale (Tartîb mandhûd) sans failles, selon l’ordonnancement
que le créateur a voulu pour elles, et que notre volonté et nos actes ne se réalisent
et n’existent globalement, que par l’accord des causes extérieures, il est
donc obligatoire que nos actes se déroulent selon un ordre déterminé, c’est à
dire qu’ils existent en un temps donné et selon les déterminations
particulières (Miqdârun mahdûd). Ceci est nécessaire parce-que nos actes
sont causés par des causes extérieures. Et tout effet, étant l’effet de causes,
précises et déterminées, il s’en suit qu’il est lui-même nécessaire, spécifique
et déterminé” [14].
La nature des choses et le principe
de causalité.
Ces causes
extérieures ne sont évidemment pas soumises au hasard ou à la fantaisie du
créateur. Elles sont soumises à un ordre, c’est-à-dire à des lois naturelles, rationnelles
et nécessaires. Autrement dit, dans la nature il n’y a point de contingence. La
raison dont il est question ici n’est pas la raison « en nous », mais une raison
« en soi », connaissance du système et de l’organisation de l’existence dans
les choses, une raison supérieure, transcendante, responsable et cause générale
de l’ordre et de la nature des choses existantes et de leur organisation[15].
À lire le Tahafut, on a parfois l’impression qu’il existe une
identification du créateur, de la raison et de la nature qui pourrait donner
lieu à une interprétation panthéiste de la philosophie Averroïste. En tout état
de cause, la thèse d’Ibn Rushd prend le contrepied des positions théologiques.
Répondant directement à Ghazali dans “Tahâfut a Tahâfut”[16]. Ibn Rushd écrit :
“Il est
évident que les choses ont des natures propres (dhawât) et des
caractères (çifât). Les actions particulières de tout existant en
découlent. Il en découle également que les choses ont des natures, des
qualificatifs et des définitions (Hudûd) différentes.
Si
l’existant pouvait être sans agir spécifique, il n’aurait pas de nature. Et
s’il n’avait pas de nature, il n’aurait ni qualificatif, ni concept (hadd)[17] ”. Ibn Rushd
explique que l’agir spécifique découle
d’une nature spécifique, et que l’être des choses
dépend de la nature des choses, et que sans nature des choses, c’est le néant (idha
irtaf’at tabi’atu al mawjûd, lazima al ‘adam) [18].
Ayant
donc affirmé l’idée de nature (contre la théorie de “l’iqtirân” ou du “tajwîz
“ ou de la “ ’ada”) Ibn Rushd ajoute par la suite que cette nature est
régie par la loi de causalité, principe liant nécessairement les “causants” et
les “causés” (Sabab et musabbabât). Tout causé, dit Ibn Rushd,
est causé nécessairement par le jeu des quatre causes : agent, matière, forme
et objet [19]. Ceci nous conduit directement à la
théorie de la connaissance que notre philosophe définit ainsi :
“La raison n’est rien de plus que la connaissance (idrâk)
des choses (Mawjûdât) par leurs causes... qui supprime les causes,
supprime la raison... La connaissance des effets n’atteint son achèvement que
par celle des causes. Sans cela, la science (‘ ilm) n’existerait pas” [20]. Le cheminement du raisonnement
est ici d’une parfaite clarté : de la nature, au principe de causalité et du
principe de causalité, au principe de la connaissance et de la science.
C’est donc selon cette optique étonnement moderne, que
reprendra Spinoza, dans l’Ethique[21],
qu’Ibn Rushd comprend ce que les musulmans appellent “qadha et qadar”.
La thèse averroïste se situe par conséquent entre les deux extrêmes du
déterminisme absolu des Jabrites et du libre arbitre, philosophiquement
insoutenable.
Averroès et le
droit
Averroès a
également révélé ses perspectives novatrices dans le domaine du droit, par
ce projet de mettre en accord les préceptes de la charia avec les exigences de
la raison philosophique. Pour Averroès, la raison n'est pas uniquement un
simple instrument au service de l'interprétation. Il s'agit, au contraire,
d'une raison fondatrice, source de la connaissance. En réalité, cette dernière doit
avoir le dernier mot, puisque les règles de la charia doivent être interprétées
à la lumière de l'examen rationnel de la nature des choses, ce qui en fait
évidemment une raison législatrice. La raison instrumentale intervient pour la
soutenir, notamment par la méthode de l'analogie, qiyâs.
Cette perspective, Averroès va la
mettre en application au sujet du statut de la femme. Sur ce plan, il va
renverser l'ordre établi du savoir juridique. Dans son commentaire sur La
République de Platon, Averroès adopte le point de vue ontologique de
l'unité du genre humain, sur le plan de la substance. Il affirme clairement
que, de ce point de vue, la femme et l'homme relève d'une seule et même
substance, celle du Insan, concept générique qui ne connaît ni féminin
ni masculin. Il en tire la conclusion que la femme est apte à exercer toutes
les fonctions, toutes les activités habituellement dévolues à l'homme, y
compris la guerre et la direction politique de la cité et même la direction de
la prière. Dans son ouvrage consacré aux
droits, Bidâyat al mujtahid, il
adopte des positions qui tranchent avec les écoles juridiques fermement
établies dans la culture islamique. Ibn Roshd a été l'un des premiers
ennemis du conformisme, taqlîd. Il le montre clairement dès l'introduction
de Bidayat al mujtahid. Sur cette question, on pourra se reporter
utilement à l'article de Ahmed Abdelhalim Atiyya, traduit en français par
Zouheir Mednini et qui s'intitule "Le statut de la femme dans la pensée
d'Ibn Rochd"[22].
Au fond des choses, le problème majeur de
l’islam vient de sa relation entre la foi et la loi, pour la raison que les
musulmans, en général, pensent que la loi fait partie de la foi. Averroès « et
les autres », nous dirons lesquels, ont entrepris l’effort de
déconstruction de ce système.
II
Avant d’aborder cet
effort de déconstruction, rappelons qu’il existe certains auteurs, assez rares,
comme ibn Warraq[23], Rashâd
Khalifa[24], Hamid
Zanaz[25] ou
Taslima Nasreen[26], qui ont
fait le choix de quitter totalement le giron de l’islam et de la charia et de se placer sur le seul terrain
de la modernité et des droits modernes. Pour ceux-là, l’islam n’est pas
réformable, structurellement parlant[27].
Il est par nature totalisant, refuse la liberté individuelle, prône la
violence. Je n’entrerai pas dans une discussion de fonds avec cette tendance
d’inspiration renanienne [28]. Pour
l’instant, je me contenterai de dire à tous ses adversaires que tant que la vie
ou la tranquillité de ces penseurs de la rupture seront menacés, cela constitue
une preuve suffisante que leur opinion est juste. Il n’existe qu’une seule
manière de prouver qu’ils ont tort : les admettre. A cette seule
condition, on serait en droit de s’opposer à leurs thèses. Cela veut dire que,
au niveau de la culture, le véritable enjeu d'avenir du monde musulman tourne
autour de la liberté de pensée et de conscience.
Mise à part cette attitude de rejet
total de l’islam par des musulmans d’origine, il nous reste deux perspectives à
prendre en considération au sujet de rapport entre la foi et la loi : la
première, la plus radicale, tente de remettre en cause fondamentalement le
principe que la loi fait partie de la foi, la deuxième, évolutionniste ou
réformiste, essaye de jouer sur les ressources de l’interprétation pour adapter
la loi aux exigences du temps. Ses perspectives ne sont pas
simplement théoriques ou abstraites. Elles correspondent à des expériences
concrètes, à des vécus collectifs, à des phénomènes de caractère
anthropologique et historique, comme l’a montré Shahad Ahmed, dans: What is
islam ? Ce qui montre que le système de la normativité islamique,
fondé sur la théorie des sources du droit, inaugurée par Shaf‘i au
VIIIème siècle et sur la procédure de l’abrogeant et de l’abrogé ne constitue
ni un monopole théorique, ni un monopole historique.
1. A des degrés divers, les
mystiques de l’islam, Ibn ‘Arabi, Hallaj, Ibn Al Fâridh, Jallal Adddine a-Rûmî, Suhrawardi, Abdelkarîm Al
Jîlî, qui constituent une synthèse de la géographique civilisationnelle
islamique, relativisent la place de la charia dans la religion ou lui assignent
un rôle purement utilitaire dans la relation politique entre gouvernants et
gouvernés. Pour
certains d’entre eux, lorsque jaillit la lumière de la vérité, la loi se trouve
quasiment abolie. Idha dhaharat al haqâ’iq batalat a shrâ’i. Abu Sahl a
Tustâri, l’un des grands soufis exégètes du Coran, affirmait : Les ‘ulama ont
un secret, si Dieu le révélait les lois seraient abolies. «lil ‘ulamâ’i sirrun law adh harahu allahu la batalat
al ahkâm [29]».
Autrement dit, les gens de la loi, les fuqahâ, n’était pas vraiment en
odeur de sainteté chez les soufis. Ibn ‘Arabi jugeait que : « Les gens de la loi ont toujours été dans
leur rapport avec les gens de la connaissance authentique, dans la même
situation que les pharaons par rapport aux prophètes », « wa mâ zâlat
al fuqaha fi kulli zamanin ma’a l
muhaqqiqîne bi manzilat al farâ’ina ma’a nabiyyine [30]» .
Quant au poète Hafidh de Shiraz il osa affirmer dans l’une de ses odes, Ghazal
: « Si un homme de la loi vient t’admonester contre les plaisirs de l’amour, offre
lui une coupe de vin ; et demande lui de renoncer à son état d’esprit[31]
». Cette sorte de dégradation de la loi dans l’ordre de la religion leur sera
férocement reprochée par Ibn Taymiyya.
Pour certains Sufis, la Shari’a ne
s’adresse qu’aux communs des mortels, non aux âmes acquises à Dieu. Pour eux,
le verset : “Adore ton Dieu jusqu’à ce que la connaissance vraie te parvienne” [32] signifiait que
l’illuminé qui avait atteint la passion mystique était délivré des contraintes
du culte extérieur et de l’ensemble de la Shari’a. Ibn Arabi, le grand mystique
andalou du XIIème siècle, était accusé par Ibn Taymiya, de dévaloriser,
l’impérativité du licite et de l’illicite, de nier le harâm (prohibition
sharaïque)[33], pour n’y voir qu’un simple usage. Ces
mystiques devenaient pour l’islam de la loi, des hommes sans religion et Ibn
‘Arabi, le cheikh al Akbar fut qualifié de A Cheikh al Akfar. Souvenons-nous
de la poésie d’Ibn Arabi dans laquelle il affirmait que son âme était le
réceptacle universel de la nature et de l’esprit : à la fois pâturage pour les
gazelles, monastère pour les anachorètes, temple païen, Mecque pour les
pèlerins, tables de la Torah, Muçhaf coranique. On ne peut concevoir
meilleure manière de poser le principe d’une fraternité universelle, fondée sur
l’amour, par l’effet de l’unité du genre humain[34].
Ici, la loi est remplacée par l’amour.
Certains
partisans du bâtin (for intérieur par opposition au for extérieur)
parvenaient même, aux yeux de la théologie légitimiste de Ghazâli et d’Ibn
Taymiya à des “états licencieux” (Ibâha) faisant fi des lois morales et
des obligations légales strictement définies par la Shari’a.
Cette liberté par rapport aux normes
du licite et de l’illicite ouvrait les portes d’une autre liberté, celle de l’être croyant lui-même, liberté de vivre
sa foi sans contrainte de la loi, en particulier la loi juridique. En d’autres
termes, la religion islamique, dans cette perspective, prend la forme concrète
d’une religion du for intérieur, abandonnant les affaires politiques et
juridiques à l’Etat. La théorie de la souveraineté juridique de l’État se
substitue, dans ce contexte, à la théorie de « l’État de religion »,
défendu par Ghazali ou Ibn Taymiyya. L’idée même d’une religion du for
intérieur a toujours été refusé par la doctrine théologico-législative, de même
qu’elle est aujourd’hui totalement refusée par l’ensemble de l’islam politique,
aussi bien celui des Etats, comme l’Arabie Saoudite, le Pakistan, la
Mauritanie, que celui des mouvements politiques islamistes, quelles que soient
leurs tendances.
Le système historique de la
normativité islamique repose sur un principe constitutionnel d’identification
de l’État et de la religion. La théorie du califat, telle qu’elle a été
systématisée par Mawardi (m.1058), dans Al Ahkâm a-Sultâniyya, ou par
Juwayni à la même époque, ou encore par Nassafi, insiste sur le fait que le
pouvoir en Islam constitue une fonction religieuse, puisqu’il est chargé des
affaires du monde et de l’après monde, en qualité de successeur du prophète. Plus
exactement, nous sommes dans un système où l’État et le droit sont
théoriquement, au niveau des principes, au service de la religion. On pourrait
appeler ce système celui de « l’État de religion ». Un législateur ne peut se
concevoir dans ce système, puisque le législateur est Dieu lui-même ou son
prophète qui devient donc le premier législateur humain. L’absence de
législateur commun ouvrait évidemment les portes à l’invasion des
interprètes, c’est-à-dire les exégètes du Coran, les savants du hadith
prophétique, les califes, les muftis, les juges, toutes ces catégories que la
théorie politique sunnite intègre dans le concept de « Gens qui lient et délient
» Ahl al Hal wal Aqd.
Après la chute du califat ottoman en mars
1924, Ali Abderraziq publie « L’islam et les fondements du pouvoir », Al
islam wa Usûl al Hukm[35]. Dans cet ouvrage, il entendait répondre à
ceux qui ont prétendu, comme Rachid Ridha[36],
que l’institution du califat était une obligation religieuse. Il remet
totalement en cause cette théorie ultra séculaire du califat sunnite. Il
développe tout d’abord l’idée que le prophète était chargé d’un message à
caractère purement spirituel et que les fonctions politiques qu’il a
incidemment exercées dans la cité de Médine ne faisaient pas partie de
l’essence de sa mission prophétique. Il affirme par exemple, en se basant sur
certains versets coraniques, qu’il n’y a pas de différence de nature entre la
mission du Christ et celle de Mohamed. Sa conclusion, il l’a résumée en une
formule saisissante sur la nature de l’œuvre mohamadienne : Risâlatun lâ hukm ; dînun lâ dawlah.
Le prophète, par conséquent, n’avait nullement l’intention de fonder ou d’instituer
un Etat déterminé. La théorie du califat perd sa raison d’être. Elle n’a été
que le résultat de la politique impériale des Etats, aidée en cela par le
travail des interprètes qui l’ont arbitrairement consacré comme une obligation
religieuse, en tant que poursuite temporelle de la mission prophétique. Cette
invention du califat a fini par prendre le caractère d’un véritable credo
religieux dans l’esprit du peuple musulman. Ali Abdurraziq détruit ainsi des
siècles de construction théorique autour de la cité musulmane.
Un autre exemple significatif de cette
rupture radicale du mode de pensée politique classique, se retrouve dans la
pensée de Mahmoud Mohamed Taha, interdit de lecture et pendu pour les mêmes
raisons qui aboutirent à la condamnation et à la mort de Hallaj. Il s’agit d’une déconstruction épistémologique
à partir d’un examen de la théorie des sources de la loi en Islam, fondée sur
la doctrine de l’abrogeant et de l’abrogé et qui a pour conséquence que le
corpus fondé sur une adhésion libre au message purement spirituel de l’islam s’est
trouvé distancer et rétrogradé par rapport au corpus législatif. En 1967, cet
auteur a publié un ouvrage intitulé Le deuxième message dans l’islam, a
Rissala athâniyya mina l islâm[37].
Il distingue dans le corpus coranique deux messages ou encore, il le dit
expressément, deux islams. Celui de la Mecque essentiellement, purement
spirituel qui n’a aucune implication à caractère juridico-politique. Il s’agit
d’un message de charité, de moralité, de paix, concentré sur le bien et la
vertu. Pour l’auteur, ce message a un caractère universaliste. L’autre message,
celui du corpus coranique médinois, englobe des normes circonstancielles et
contingentes, valables pour le temps de la prophétie et le redressement des mœurs
barbares de la jahiliyya, au cours de la période médinoise. C’est ce
message, quasiment contingent, qui a été par la suite consacré et canonisé par
l’empire islamique aidé par la classe des fuqaha et des théologiens. Les
circonstances ayant changé, l’ordre des deux messages doit être renversé. Il
faut donc abandonner le premier message dont la normativité ne correspond plus
aux exigences de notre temps, au profit du second message éthique,
universaliste et spirituel de l’Islam.
Ce message élève au plus haut degré la libre volonté et la liberté
absolue de l’individu quel qu’il soit [38].
Tel est d’ailleurs le sens profond du culte et de la charia[39].
Reprenant la distinction des Sufi entre le caractère ésotérique de certains
versets coraniques et le caractère exotérique de certains autres[40],
remettant en cause la théorie de l’abrogeant et de l’abrogé, un pilier
fondamental de la pensée religieuse en Islam, il estime que la logique du
deuxième message de l’islam entraîne la prééminence des significations profondes
mais voilées sur les significations formelles qui ne font appel qu’au sens.
Pour lui, l’essence de la religion islamique se limite à la dignité humaine,
par l’intermédiaire de sa liberté absolue, vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis du
monde, et vis-à-vis de la société. Par conséquent, par le biais de cette
distinction entre les significations voilées et les significations apparentes,
l’auteur en arrive à affirmer que toute la législation concernant la séparation
des sexes, l’esclavage, l’inégalité homme femme, la polygamie, la répudiation, le
hijab, ne font nullement partie du véritable message de l’islam. Il plaide
par conséquent pour un islam égalitariste sur le plan économique et social,
démocratique sur le plan politique.
Mohamed Arkoun adopte une méthode différente. Il procède à une déconstruction des fondements de l’orthodoxie, par l’examen
historique ou sociologique des conditions d’émergence de cette orthodoxie. Il
entreprend de démonter les mécanismes par lesquels s'est institué le savoir religieux
en islam et, par là même, l'une des facettes de la direction sociale. Savoir et
pouvoir sont indissociables : le pouvoir politique, dans les sociétés pré
modernes, a toujours besoin de la force religieuse pour légitimer sa
domination. Tandis que les gestionnaires du sacré ont besoin du pouvoir
politique pour asseoir leur autorité. Dans les deux cas de figure, il faut
assurer soit la mobilisation, contre l'ennemi extérieur, contre les hérésies,
contre le pouvoir lui-même, soit la discipline au service de l'ordre social
établi. C'est ainsi que se forme l'orthodoxie.
Au cours de sa
carrière d'universitaire et d'intellectuel, Mohamed Arkoun a situé sa réflexion
sur les conditions intellectuelles du développement et de la réforme du monde
musulman. Il n'a pas choisi, contrairement à ce qui a pu parfois être affirmé,
de quitter le territoire de l'islam. Il a plaidé tout simplement pour un islam
rajeuni, offrant au monde non par l'image d'une religion sclérosée,
intolérante, violente, inaccessible à la liberté moderne, mais celles d'un
islam, à la fois religion et culture, ouvert et humaniste. En ce sens, Mohamed
Arkoun me semble être un véritable et authentique défenseur de l’islam
Sa démarche peut
être résumée en trois points.
a)
Le constat d’une crise de la pensée. Il s'agit
d'une crise du présent et du passé, la seconde expliquant la première. Les
indépendances ont échoué aussi bien dans le travail d'édification d'une
économie moderne que dans celle de l'émergence d'une pensée libérée et
libératrice. Mohamed Arkoun explique comment le travail de l'orthodoxie, celle
du pouvoir et du savoir, a réussi à édifier l'univers de l’impensé et de
l'impensable, c'est-à-dire à faire passer le message prophétique de l'ouverture
à la clôture.
b)
La déconstruction de la pensée religieuse
orthodoxe. Appliquant à l'islam des
méthodologies inspirées des travaux de Roger Bastid, Fernand Braudel, Michel
Foucault, Marcel Gauchet, René Girard, Arkoun démonte les mécanismes de
transcendantalisation, d'idéologisation et de manipulation que la pensée
islamique théologique et juridique a connus par le fait de cette alliance entre
les intérêts du pouvoir politique et la classe des oulémas. Mohamed Arkoun
entreprend de démonter et déconstruire cette pensée, par recours à «
L'islamologie appliquée ».
c) L’appel pour la reconstitution de l’humanisme
islamique. Les premiers travaux de Mohamed Arkoun ont porté sur l'humanisme
arabe au IVe/ Xe siècle. La finalité de sa démarche consiste précisément à
revenir à cet esprit humaniste qui caractérisait la culture islamique. Comme il
l'affirme lui-même : « je n'ai fait qu'élargir, dans un contexte de modernité,
l'attitude intellectuelle qui caractérise précisément l'humanisme arabe du Xe
siècle. » Cet humanisme arabe se révèle évidemment dans cette écriture libre,
critique et ouverte d’un Jâhidh (767-867) ou d’un Ibn al Muqaffa’(720-756, ou des
majâlis de Abu Sulaymân a
Sijistani ( 910-985) auquel appartenaient Abu Hayân a Tawhîdî (930-1023) et
Miskawayh (932-1030), sans oublier Abu l Qâçim al Hariri ( 1054-1122).
Le
dernier exemple que nous pouvons évoquer, dans le même sens, est celui de
Mohamed Chahrour et son ouvrage fondamental publié en deux versions, celle de
1990, Le livre et le Coran. Une lecture contemporaine الكتاب والقرآن – قراءة معاصرة, et une deuxième version, en 2011, sous le titre de «
Le livre et le Coran. Une nouvelle optique »[41] الكتاب والقرآن –
رؤية جديدة. Bien que
parfois obscur, l’ouvrage brille par un apport théorique d’une extrême
originalité. Nous ne pouvons ici entrer dans le détail du canevas théorique de
l’ouvrage. Je me contenterai de rappeler que l’auteur remet en cause non
seulement la construction juridique historique des docteurs de la loi, mais va
même jusqu’à remettre en cause et relativiser les principes relatifs au domaine
du culte lui-même ‘ibadât,
comme la prière, le jeûne du ramadan, la Zakât, les
interdictions alimentaires, le pèlerinage à la Mecque. Pour l’auteur,
toutes ces règles sont interprétables et adaptables. A l’instar de Mahmoud
Mohamed Taha, il conteste tout d’abord l’ensemble de la théorie de l’abrogeant
et de l’abrogé autant qu’il conteste la théorie du consensus, al ijmâ’.
Il estime que le message du prophète Mohammed qui constitue le noyau de la
révélation ‘Umm al Kitâb est éternel, non pas par la forme ou la
substance de sa lettre, mais par ses principes moraux universels, ses dix
commandements moraux, mais surtout par sa force d’adaptation aux différentes
circonstances de temps et de lieu. C’est en ce sens que nous pouvons affirmer que
l’islam est une religion valable en tout temps et en tout lieu. Ce message est pérenne,
parce qu’il est adaptable. Par ailleurs, il considère que les règles juridiques
doivent être interprétées à la lumière des circonstances qui prévalaient à
l’époque du prophète. D’ailleurs, ces règles ont pu être suspendues, soit par
le prophète lui-même, soit par ses successeurs Autrement dit, ces règles sont
des règles circonstancielles. Il en est ainsi par exemple des règles concernant
le jihâd, les successions, les peines pénales, hudûd. Le travail
des docteurs de la loi n’a aucunement un caractère sacré, il appartient au
patrimoine et ce n’est qu’arbitrairement qu’il a pu être rattaché à la
religion. L’auteur plaide en définitive pour une religion islamique totalement
ouverte, foncièrement évolutive. Il critique sévèrement l’ensemble du
patrimoine normatif islamique. L’auteur écrit à ce propos : «…depuis l’ère du calife
al Wâthiq, le pouvoir s’est affaibli, l’ijtihad a été interdit,
la pensée a été réprimée. La pensée islamique s’est alors résorbée dans une
sorte de science juridique au service du pouvoir. A partir de ce califat, les
fonctions essentielles des docteurs de la loi ont consisté à réprimer la libre
pensée, pour faire accepter par les gens du peuple leur condition misérable et
leur faire admettre le pouvoir en place ». Plus loin, il ajoute : « Leurs
missions essentielles ont consisté à contenter la masse du peuple pour les
distraire de leurs véritables problèmes. L’islam a été ramené aux règles
concernant les ablutions et leurs contraires, les prières et leurs contraires,
l’impureté et la purification des corps, la vestiture de la femme et de
l’homme, les règles du pèlerinage ». Autrement dit, les fuqahâ sont les
responsables de la dégradation et de l’appauvrissement de la pensée en terre
d’Islam. Sa conclusion finale consiste à écarter toute la tradition concernant
la normativité islamique pour redonner à l’islam toute la vigueur de sa
jeunesse, de sa tolérance, de sa capacité d’adaptation, de son universalité.
La désintégration du système de la
normativité islamique va aller très loin, jusqu’à toucher les sources mêmes du
système, non pas seulement au niveau du consensus communautaire, mais, au
niveau du Texte lui-même, dans sa partie prophétique. En effet, Rachid Illel, en
2016, a publié un ouvrage intitulé le Sahih de Boukhari, la fin d’une
légende, dans lequel il démontre
que ce recueil des dires et actes du prophète considéré comme sacro-saint chez
les sunnites, à tel point que certains auteurs comme Subki, admettent la
possibilité pour un hadith d’abroger un verset coranique, n’est,
scientifiquement parlant, qu’une fabrique de faussetés et de contrevérités
historiques, qui non seulement remettent en cause l’authenticité du texte lui-même
et de la chaîne de ses transmetteurs, mais également l’existence de son auteur.
La fabrique du texte a été essentiellement influencée par les circonstances
politiques et sociales de chaque époque.
2. Ce dépouillement
de l’islam de son corpus normatif à caractère juridique, a connu évidemment des
variations considérables au cours de l’histoire. Il réapparaît dès le XIXe
siècle, tout au cours du XXe siècle et se poursuit encore de nos jours dans des
perspectives évolutionnistes, modernistes ou réformistes. En 1891, Syed Ameer Ali (1849-1928) faisait paraître
« The spirit of islam ». Il visait à faire prévaloir
l'esprit de tolérance, de raison et de justice du message prophétique sur la
loi formelle ou sa canonisation historique par le travail des Oulémas [42]. Il
considère que le discours du Prophète sur le mont ‘Arafât, lors du
dernier pèlerinage, est l’équivalent du « Sermon sur la montagne » (The
Sermon on the Mount). Pour lui, l’esprit de l’Islam n’a rien à voir avec la
législation des droits dont la source essentielle provient des coutumes
inégalitaires et injustes. L'esprit de l'islam s’inspire de l'humanisme
rationaliste. À partir de Ameer Ali, la mise à l’écart du système de la
normativité islamique allait se développer de plus en plus. Mohamed Iqbal, sans
nier l’existence des règles éthiques et juridiques dans le texte coranique, a
clairement affirmé que le Coran « n’est pas un code juridique »[43] et que
son objectif essentiel consistait à imbiber le cœur des plus hauts degrés de
conscience de son rapport au créateur et à la création. Cela rompt cet indissoluble lien entre le
texte sacré, ainsi dépouillé de sa positivité légaliste, et le droit positif.
L’idée sera reprise par Malik Fazlur Rahman[44] ou par Nasr Hamed Abu Zaïd.
Pourtant
Iqbal admettait le caractère unitaire de la cité islamique, religieuse et
civile, « sur le modèle de la république platonicienne », disait-il
judicieusement. Il admettait également que le Coran est la source fondamentale
de la shari‘a, en tant que Loi générale et directrice du monde humain,
qu’il posait l’unité entre la religion et l’Etat, entre la morale et la
politique, en un seul corps de révélation[45]. Il admettait même que
l'État, aux yeux de l'islam, est une tentative de réaliser la spiritualité dans
l'édification de la société.
Cela étant
posé, il est à remarquer, ajoute-t-il, que le Coran considère l'univers comme
un univers évolutif. De ce point de vue, le Coran ne peut être hostile à l'idée
de l'évolution, sauf qu’il convient de ne pas oublier que l'existence n'est pas
exclusivement rupture, mais qu’elle englobe nécessairement des éléments stables
et continus, qui font la jonction entre le passé et le présent. Le conflit de
l'existence, précise-t-il, provient précisément de cette unité indispensable,
bien que paradoxale et même contradictoire, entre un présent créatif et
novateur, et un passé génétiquement ancré dans notre conscience[46]. Nulle
société ne peut renier son passé, parce que ce dernier est le marqueur
essentiel de son identité présente, de sa continuité dans l'histoire, de son
unité.
Partant, il
revient au rationalisme moderne de revoir les institutions existantes. L'œuvre
de réforme, par conséquent, doit s'inscrire dans cette perspective.
Analysant
ensuite plus spécialement la législation coranique, Iqbal estime que ses
principes sont des principes directeurs caractérisés par leur souplesse. Ces
principes sont loin d'exclure la réflexion ou « l'activité législatrice ».
La liberté de pensée, dit-il, est au cœur de l’islam. C'est cette liberté
qu’assumèrent pleinement les premières générations de fuqaha, à l'instar
des jurisconsultes romains. La liberté débouche forcément sur la libre activité
législatrice. Ce travail d'édification ne doit pourtant pas être considéré
comme un travail définitif, contrairement à ce qu'ont prétendu les ‘ulama,
par la suite. De ce point de vue, Souleymane Bachir Diagne a raison de
souligner que pour Iqbal «… le temps n’est pas à l’extérieur à la religion mais
sa texture. Le temps n’est pas… l’épreuve qu’il lui faut surmonter, mais il
constitue son auto déploiement même : le temps est Dieu[47] ».
Par conséquent, Iqbal se range du côté de ceux qui revendiquent une nouvelle
herméneutique du texte coranique à la lumière de leurs propres expériences et
de l'esprit du temps présent. En ce sens, il écrit : « Le point de vue du Coran
sur l'existence, en tant que création évoluant et progressant par degrés,
implique que chaque génération dispose du droit de s'inspirer du patrimoine
hérité des ancêtres, sans, toutefois, que ce patrimoine nuise à la propre
capacité de chaque génération de réfléchir et de juger et de régler ses
problèmes particuliers. »[48]
La vie,
précise-t-il, étant caractérisé par le mouvement, l’ijtihâd, constitue,
en islam, le socle de ce mouvement existentiel, vital, qui anime toute société
humaine [49]. Après
avoir rapporté les hadiths prophétiques qui vont dans ce sens, après avoir
expliqué longuement les causes profondes d'ordre théorique et pratique qui
expliquent le recul, pour ne pas dire le gel de la pensée islamique, après avoir
analysé certaines tendances des mouvements réformateurs qu'il compare
d'ailleurs au protestantisme en Europe, il affirme que la charia islamique est
totalement ouverte aussi bien à l'évolution, qu'à la création.
Appliquant ses idées à la question de l'inégalité
entre l'homme et la femme découlant, apparemment, de l'inégalité de traitement,
par exemple en matière successorale, il faisait cependant prévaloir l'esprit de
la loi sur sa lettre, par référence au verset 228 de la sourate de La
Génisse : « Elles ont autant de droits que de devoirs »[50].
C’est avec plus
de force, et plus de radicalisme, qu’en 1930 Tahar Haddad défend les mêmes
idées dans son ouvrage sur La femme dans la société et dans la législation
islamique. Soit par l’intermédiaire de l’interprétation, soit par
l’intermédiaire de l’adaptation du texte au contexte, l’auteur remet en
question toutes les règles admises par les écoles juridiques au sujet du statut
juridique et des droits de la femme, y compris la règle de l’inégalité
successorale, pourtant clairement affirmée dans le Coran.
Au commencement de mon exposé, j’avais
affirmé qu’Averroès ne nous intéressait qu’en tant que penseur de la rupture et
de la discontinuité, au-dessus, en avance sur son temps. Son temps était fixé
sur la culture du Texte, exclusivement interprété par la classe des ulémas, dont
l’accord avait cette puissance de transformer leur interprétation en normes
impératives. En remettant en cause le consensus, Averroès ouvrait évidemment la
voie à l’interprétation autonome et reformulait la relation entre la société,
surtout la société politique, la philosophie, la religion et la science. Cet
antagonisme entre la culture philosophique et la culture du Texte préfigure la
confrontation que nous vivons de nos jours entre modernité et tradition, hadâthî
et turâthi, ou tajdîd et taqlîd.
Dans ce domaine, rien n'est
désintéressé, désincarné ou abstrait. Ni la philosophie, ni la religion
n'échappent à ce déterminisme. La religion en tant que telle ne représente
rien. Ce qui compte ce sont d'un côté la masse des croyants et des adeptes et
de l'autre les titulaires de missions religieuses, toujours soumis à des
pressions objectives ou subjectives, dont ils sont inconscients. Si nous avons
besoin d'Averroès aujourd'hui, c'est que "nôtre" situation politique
et idéologique l'exige. Quand je dis "nôtre", je vise les personnes
qui tentent de moderniser leur société, dans le sens d'une sortie de la
religion totaliste, de l'individualisation et de l'autonomie des choix
religieux, moraux, politiques et économiques, de la décommunautarisation
sociale, de l'implantation des valeurs d'une démocratie dans laquelle la
liberté appartient d'abord à l'individu -croyant ou non croyant- non à la
collectivité des croyants, l'ummah. Ce "nôtre" n'est donc pas
la marque d'une totalité, mais d'un segment de société qui s'oppose à un autre
segment: celui qui demeure foncièrement attaché à l'enseignement des anciens, à
la communauté des croyants inspiré par le modèle prophétique, au Texte
intangible dans son esprit et sa lettre, qui ne peut être compris et
interprétés que par des gens de la loi, de la foi et de la science, attestés et
reconnus.
Voici l'Averroès que nous devons
conserver dans nos esprits. C'est un état d'esprit, une attitude générale
critique à l'égard de l'argument d'autorité, que cette autorité soit celle de
la sacralisation de la parole des interprètes et des écoles ou qu'elle soit
celle du texte sacré lui-même, toujours ouvert aux multiples techniques de
l'interprétation, notamment l'analogie, le jugement préférentiel, la nécessité,
l'intérêt général, et les objectifs ultimes de la loi religieuse, maqâçid
a-shari'a. Parler d'Averroès, et des autres, dans notre monde
d'aujourd'hui, revient à détruire les clôtures du formalisme et de la lettre,
du théocentrisme et du totalisme qui enferment la pensée de certains musulmans,
appelés intégristes, radicaux ou fondamentalistes. Nous leur renvoyons les
paroles de Kindi que nous avons citées précédemment. Nous leur disons : « Celui
qui trafique de la religion n’a plus de religion. Il mérite d’être dépouillé de
la religion celui qui s’oppose avec acharnement à ce que l’on acquière la
science des choses en leurs vérités et l’appelle incroyance ». Quand elle
passe à l'acte, cette pensée close ne peut engendrer autre chose que la haine
et la violence, trop facilement légitimées par une certaine interprétation du
texte. Averroès et les autres, en fin de parcours, c'est la reprise en main de
notre liberté. Qu’on l’inscrive dans l’islam ou en dehors de l’islam ou même
contre l’islam ne dépend que de chacun de nous. A chacun de choisir sa voie et
d’assumer sa propre responsabilité.
Mais un problème mystérieux demeure
: pourquoi, malgré ce travail séculaire intense et profond de remise en cause
et de déconstruction du modèle classique, nous en sommes encore à vivre
aujourd’hui les mêmes querelles, quasiment dans les mêmes termes, avec les
mêmes questionnements : comment agencer les rapports entre la religion et
l’État, comment faire prévaloir les droits de l’homme en remettant à leur place
les droits de Dieu, comment faire de la religion une religion intérieure logée
dans la conscience de chacun de nous, comment débarrasser la religion islamique
de ses positivités législatives ? Comment libérer la constitution des
pesanteurs de la loi divine ? Je tenterai une réponse à toutes ces questions
dans la conférence consacrée au concept « d’orthodoxie de masse ».
[1]
Averroès, Tahafot at Tahafot, l'incohérence de l'incohérence, texte
établi par Maurice Bouygues, Imprimerie catholique, Beyrouth, 1930, page IX.
[4] M.A. al Jâbri, Fasl al maqâl fî taqriri ma bayna
a-shari'ati wa l hikmati mina l ittisâl, aw wujûb a-nadhar al 'aqlî wa hudûd
a-ta'wîl ( a-dîne wal mujtama'), Markaz dirâsât al wida al'arabiyya,
Beyrouth, 1997, p.11.
[5]
Louis Gardet, La pensée religieuse d'Avicenne, Librairie philosophique
Vrin, Paris, 1951, p. 75.
[6]
Jean Michot, « Avicenne et la destinée humaine. A propos de
la résurrection des corps », Revue philosophique de Louvain, 1981,44, p.463.
[7]
Al Kindi, Oeuvres philosophiques et scientifiques d'Al Kindi, volume 2,
métaphysique et cosmologie, par Roschdi Rached et Jean Jolivet, édition
Brill, La Haye, 1998, p.12. Ali Ben Makhlouf, Pourquoi lire les philosophes
arabes, l'héritage oublié, Albin-Michel, Paris, 2015, page 48 et suivantes.
[8]
Al Kindi, Oeuvres philosophiques et scientifiques, op.cit., p.14.
[9]
Al Ghiyâthi, Ghiyâth al Ummam fil tiyâth a-ulam,p.14.§6.
https://ia601303.us.archive.org/19/items/ghomelzoghomelzo/ghomelzo.pdf
[10]
Al Ghiyâthi, op. cit., p. 24, § 20.
[11]
Farabi, Kitâb al Milla wan nusûs ‘ukhrâ, éd Muhsin Mahadi, Dâr al Machriq, 2ème édition,
1991, p.59.
[12]
Cité par Dominique Urvoy, Averroès, Les ambitions d'un intellectuel musulman,
Paris, Flammarion, 1998, page 62.
[13]
Herbert A Davidson, Alfarabi, Avicenna, and Averroes, on Intellect.
THEIR COSMOLOGIES, THEORIES OF THE ACTIVE INTELLECT, AND THEORIES OF HUMAN
INTELLECT, New York Oxford OXFORD UNIVERSITY PRESS 1992.
[14] “Manahij...”, p. 227 et
228.
[15]
Tahâfut…, éd. Bougues, p. 338 et 339, § 54 à 57.
[16] Edition critique de
Sulayman Dunya, Dar al Ma’ârif, 2ème ed, le Caire, 1981.
[17] Op.cit, t2, p. 782 et
783.
[18] Ibid
[19] Op.cit, p. 784 et 785
[20] Op.cit, p. 785.
[21]
Ce sont les propositions 26,
27, 28, et 32 de l'Ethique. Propositions 26 : Toute chose, déterminée à telle ou telle
action, y a nécessairement été déterminée par Dieu, et si Dieu ne détermine pas
une chose à agir, elle ne peut s'y déterminer elle-même. Proposition 27 : Une
chose, qui est déterminée par Dieu à telle ou telle action, ne peut se rendre
elle-même indéterminée. Proposition 28 : Tout objet individuel, toute chose,
quelle qu'elle soit, qui est finie et a une existence déterminée, ne peut
exister ni être déterminée à agir si elle n'est déterminée à l'existence et à
l'action par une cause, laquelle est aussi finie et a une existence déterminée,
et cette cause elle-même ne peut exister ni être déterminée à agir que par une
cause nouvelle, finie comme les autres et déterminée comme elles à l'existence
et à l'action ; et ainsi à l'infini. Proposition 29 : Il n'y a rien de
contingent dans la nature des êtres ; toutes choses au contraire sont
déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à agir d'une
manière donnée. » Proposition 32 : La volonté ne peut être appelée cause libre
; mais seulement cause nécessaire. Proposition 33 : Les choses qui ont été
produites par Dieu n'ont pu l'être d'une autre façon, ni dans un autre ordre.
[22] Ahmed Abdelhalim Atiyya, "Le statut
de la femme dans la pensée d'Ibn Rochd", trad. Zouheir Mednini, Dogma,
nov. 2011.
[23] L’auteur de « Why I am not a
muslim », Prometheus Books, 1995, Trad franc., « Pourquoi je ne suis
pas musulman », L’Age d’homme,
Lausanne, 1999, préf. Taslima Nasrin..
[24] Egyptien, naturalisé américain. Il applique
au Coran une numérologie électronique et écarte le hadith comme source du droit.
Mis au ban de la communauté comme hérétique par les autorités religieuses et
assassiné en 1990.
[25] Auteur
de L’Impasse islamique, La religion contre la vie, éd.
Libertaires, 2009, préf. Michel Onfray. Auteur
également de Réformer l'Islam ? Autopsie d'une illusion caractérisée, Editeur indépendant, (2007).
[26]
Intellectuelle mondialement connue pour son combat pour l’émancipation des
femmes. Elle déclare son athéisme et estime que l’islam est incompatible avec
les droits de l’Homme.
[27]
Comme l’a affirmé publiquement Wafa Sultan sur la chaîne la plus écoutée du
monde arabe Al-Jazira en 2006.
[28]
Ils trouveront dans « Aux fondements de l’orthodoxie sunnite »,
PUF, 2005, une réponse à leurs interpellations.
[29]
Shahâb Ahmed, What is Islam ?, The importance of being islamic,
Princeton University Press, Princeton and Oxford, p. 22.
[31]
Shahâb Ahmed, What is Islam ? op.cit., p. 37.
[32] Verset 99, Sourate “Al
Hijr”.
[33] Ibn Taymiya, Fatawa, t2, p.98 et s. Voir
également, Michel Chodkiewicz : “Le sceau des saints. Prophétie et sainteté
dans la doctrine d’Ibn’Arabi”, Gallimard, 1986, p.31 et s.
[34]
قد كنت قبل اليوم أنكر صاحبي.. إذا لم يكن ديني إلى دينه داني
لقد صارَ قلـبي قابلاً كلَ صُـورةٍ .. فـمرعىً لغـــــزلانٍ ودَيرٌ لرُهبـَــــانِ
ِوبيتٌ لأوثــانٍ وكعـــبةُ طـائـــفٍ .. وألـواحُ تـوراةٍ ومصـحفُ قــــــرآن
أديـنُ بدينِ الحــــبِ أنّى توجّـهـتْ .. ركـائـبهُ ، فالحبُّ ديـني وإيماني
لقد صارَ قلـبي قابلاً كلَ صُـورةٍ .. فـمرعىً لغـــــزلانٍ ودَيرٌ لرُهبـَــــانِ
ِوبيتٌ لأوثــانٍ وكعـــبةُ طـائـــفٍ .. وألـواحُ تـوراةٍ ومصـحفُ قــــــرآن
أديـنُ بدينِ الحــــبِ أنّى توجّـهـتْ .. ركـائـبهُ ، فالحبُّ ديـني وإيماني
[36]
Rachid Ridha, Le Califat ou l’Imamat suprême, Matba’atu l Manâr, 1341h.
[37]
Mahmoud Mohamed Taha, Le deuxième message dans l’islam, a
Rissala athâniyya mina l islâm, 4ème édition,1969.
[38]
أول ما تجب الإشارة إليه هو أن الفرد في الإسلام هو
الغاية وكل ما عداه وسيلة إليه ، بما في ذلك وسيلة القرآن ، والإسلام ، تستوي في
ذلك المرأة مع الرجل مساواة تامة ، وهذا يعني أن الفرد البشري - امرأة كان أو رجلا
، عاقلا كان أو مختل العقل - يجب ألا يتخذ وسيلة إلى غاية وراءه ، وإنما هو الغاية
التي تؤدي إليها جميع الوسائل .
[39]
مستوى الشريعة ، مراد به
تسيير البشر إلى الله عن طريق العقل ـ عن طريق الحرية ، وفي ذلك الكرامة ، كل
الكرامة ، للإنسان
[40]
أن للقرآن ظاهرا وباطنا ،
فظاهره عني بظواهر الأشياء ، وباطنه قام على الحقائق المركوزة وراء الظواهر ، ثم
اتخذ ، في نهجه التعليمي ، الظواهر مجازا يعبر منها العارف إلى البواطن .
[41]
Mohamed Chouhrour, Al Kitâb wal Qur’ân. Ru’yatun jadîdah, Dâr a-Sâqî,4ème
éd. 2017.
[42] Syed Ameer Ali, The Spirit of
Islam, Or the life and teachings of Mohammed, S.K. Lahiri and Co, 1902.
[43] Muhammad Iqbal, La rénovation de
la pensée religieuse en Islam, trad. Abbès Mahmoud, Le Caire, 1955, p.190.
[44] Malik Fazlur Rahman, Islam and
Modernity: Transformation of an Intellectual Tradition, University of
Chicago Press, 1982
[46]
Ibid.
[47]
Souleyman Bachir Diagne, comment philosopher en Islam ? Op.cit., p.153.
[49] Op. cit, p. 170.
[50] Ne retenant cependant qu'une partie
du verset qui se poursuit ainsi : « les hommes ont sur elles un degré de
prévalence. »