Au cours de la 121ème
session du comité des droits de l'homme des Nations-Unies, et dans la discussion générale du paragraphe 9 du
projet d'Observation générale n° 36 sur l'article 6 (droit à la vie) du Pacte
sur les droits civils et politiques, je suis intervenu dans le débat le 2
novembre 2017 en séance plénière. Cette intervention qui concernait la question
de l'avortement, dans son rapport au droit à la vie, a été mal comprise et a
déclenché une polémique. Pour éviter les malentendus, je voudrais apporter les
éclaircissements suivants.
Ma position se résume comme
suit :
1)
Dénoncer les
législations très restrictives du droit à l’avortement
Il est vrai que le droit à
l’avortement suscite des questions d’ordre religieux, philosophique, juridique,
éthique, sur lesquels nous pouvons diverger, en fonction des convictions de
chacun. Mais je considère que le droit à l’avortement a constitué un acquis
important pour les femmes, en leur
permettant de ne pas subir des grossesses non désirées, pour des raisons très
différentes et variables telles que le viol, l'inceste, les malformations
fœtales, la précarité, le jeune âge. Certaines législations nationales
pénalisent, aujourd’hui encore, l’avortement ou le soumettent à des conditions
très restrictives, voire draconiennes.
Avec d'autres collègues du comité,
j'ai critiqué ces législations qui mettent en danger la vie des femmes et les
poussent à pratiquer des avortements clandestins non sécurisés, qui mettent en
danger leur santé ou leur vie ou encore les obligent à s'expatrier pour
procéder, à un avortement. D'après l'OMS, 25 millions d'avortements à risque
sont pratiqués annuellement dans le monde et 4,7% à 13,2% des décès maternels
peuvent être attribués à un avortement non sécurisé[1].
2)
Appeler les États à dépénaliser
l’avortement et à offrir aux femmes un encadrement sécurisé de l’avortement
Pour les raisons mentionnées, j'ai appelé les États
à dépénaliser l'avortement, et garantir
aux femmes un cadre sécurisé pour le pratiquer, particulièrement dans un
certains nombres de cas, parmi lesquels le viol, l'inceste, ou la
malformation. C’est dans ce cadre que j’ai pu donner l’exemple de la trisomie.
Tout en exprimant mon profond respect
aux personnes porteuses de trisomie, notamment la trisomie 21, et à leur famille, et mon soutien à leur
combat, je rappellerai que la plupart des femmes qui ont, au cours de leur
grossesse, connaissance de la maladie, optent pour l’avortement (95% des femmes
en France par exemple).
3) Donner
le libre choix à la mère ou aux parents
Dans cette intervention, je n'ai
jamais affirmé, comme le prétendent certains, qu'il fallait encourager
l'élimination préventive des fœtus porteurs de maladies, d’anomalies ou de
malformations. Cela reviendrait à admettre l'eugénisme qui est une attitude
monstrueuse.
À mon avis, c'est une décision qui
relève de la responsabilité de la mère seule ou des parents de l'enfant à
naitre. Si ces derniers décident d'assumer, en toute conscience, les
obligations et contraintes de toutes sortes pour eux-mêmes et pour l'enfant
à naître, je considère que cette décision mérite le respect et même
l'admiration, si elle est effectivement assumée. De merveilleuses histoires
d'amour et d'humanisme peuvent se construire sur cette toile. Nombreux sont les
parents qui assurent que leur enfant trisomique leur a donné une véritable
leçon de vie et une vision différente du monde.
Je défends uniquement le droit de la
mère ou des deux parents dans un contexte familial, de décider librement de
leur choix. Les grands progrès réalisés par la médecine prénatale, et surtout
le diagnostic de certaines maladies, doivent guider la mère ou les parents dans
l’exercice de ce choix.
Afin de répondre aux critiques qui m’ont injustement été adressées,
je voudrais insister sur le fait que ma position
ne consiste nullement à pousser les États ou les personnes à pratiquer des
avortements préventifs d'élimination des embryons ou fœtus porteurs de maladies,
mais à encourager les États à dépénaliser l'avortement tout d'abord et à ouvrir
ensuite les possibilités de recourir à un avortement sécurisé, tout en le
soumettant à certaines conditions qui tiennent notamment compte de l'état d'avancement de la
gestation. Par là, je n'ai fait que rejoindre la jurisprudence du comité des
droits de l'Homme, aussi bien dans ses observations finales sur les rapports
périodiques de certains États que dans des affaires contentieuses[2].
L'exploitation idéologique de mon
intervention est à la fois erronée, injustifiée et injuste. Elle cherche par
les moyens classiques de la propagande à créer un climat émotionnel favorable à
certaines croyances philosophiques ou religieuses que je réprouve, parce
qu'elles sont précisément hostiles, dans leur principe même, aux droits
de l'Homme. Ceux qui accusent mes collègues et moi même en particulier de
soutenir "la culture de la mort" ne savent pas ce qu'ils disent.
Leur attitude remet en cause l’intérêt du dépistage et du diagnostic prénatal
de certaines maladies et malformations. Elle est tout simplement à contre
courant du progrès scientifique. Pour des raisons qui leur sont propres, ils
ont extrait une partie de mon intervention de son contexte général, pour en
donner une interprétation qui n'est pas la mienne. Je regrette que ce malentendu ait atteint le sentiment de
certaines personnes ou leurs familles et je regrette de les avoir
involontairement blessés. Je tiens à exprimer mes excuses aux personnes que
j’ai pu heurter et à saluer leur combat, et celui de leurs familles.
Mais, vis à vis de certains partisans
extrémistes des droits de dieu, je
réaffirme mon droit, en tant que défenseur des droits de l'Homme, de défendre
les droits des femmes et leur autonomie.