samedi 6 janvier 2018

Ma position sur le droit à l'avortement.



Au cours de la 121ème session du comité des droits de l'homme des Nations-Unies, et dans la discussion générale du paragraphe 9 du projet d'Observation générale n° 36 sur l'article 6 (droit à la vie) du Pacte sur les droits civils et politiques, je suis intervenu dans le débat le 2 novembre 2017 en séance plénière. Cette intervention qui concernait la question de l'avortement, dans son rapport au droit à la vie, a été mal comprise et a déclenché une polémique. Pour éviter les malentendus, je voudrais apporter les éclaircissements suivants.
Ma position se résume comme suit :
1)    Dénoncer les législations très restrictives du droit à l’avortement
Il est vrai que le droit à l’avortement suscite des questions d’ordre religieux, philosophique, juridique, éthique, sur lesquels nous pouvons diverger, en fonction des convictions de chacun. Mais je considère que le droit à l’avortement a constitué un acquis important pour les  femmes, en leur permettant de ne pas subir des grossesses non désirées, pour des raisons très différentes et variables telles que le viol, l'inceste, les malformations fœtales, la précarité, le jeune âge. Certaines législations nationales pénalisent, aujourd’hui encore, l’avortement ou le soumettent à des conditions très restrictives, voire draconiennes.
Avec d'autres collègues du comité, j'ai critiqué ces législations qui mettent en danger la vie des femmes et les poussent à pratiquer des avortements clandestins non sécurisés, qui mettent en danger leur santé ou leur vie ou encore les obligent à s'expatrier pour procéder, à un avortement. D'après l'OMS, 25 millions d'avortements à risque sont pratiqués annuellement dans le monde et 4,7% à 13,2% des décès maternels peuvent être attribués à un avortement non sécurisé[1].
2)   Appeler les États à dépénaliser l’avortement et à offrir aux femmes un encadrement sécurisé de l’avortement
 Pour les raisons mentionnées, j'ai appelé les États à dépénaliser l'avortement, et  garantir aux femmes un cadre sécurisé pour le pratiquer, particulièrement dans un certains nombres de cas, parmi lesquels le viol, l'inceste, ou la malformation. C’est dans ce cadre que j’ai pu donner l’exemple de la trisomie.
Tout en exprimant mon profond respect aux personnes porteuses de trisomie, notamment la trisomie  21, et à leur famille, et mon soutien à leur combat, je rappellerai que la plupart des femmes qui ont, au cours de leur grossesse, connaissance de la maladie, optent pour l’avortement (95% des femmes en France par exemple).
3) Donner le libre choix à la mère ou aux parents
Dans cette intervention, je n'ai jamais affirmé, comme le prétendent certains, qu'il fallait encourager l'élimination préventive des fœtus porteurs de maladies, d’anomalies ou de malformations. Cela reviendrait à admettre l'eugénisme qui est une attitude monstrueuse.
À mon avis, c'est une décision qui relève de la responsabilité de la mère seule ou des parents de l'enfant à naitre. Si ces derniers décident d'assumer, en toute conscience, les obligations et contraintes de toutes sortes pour eux-mêmes et pour l'enfant à naître, je considère que cette décision mérite le respect et même l'admiration, si elle est effectivement assumée. De merveilleuses histoires d'amour et d'humanisme peuvent se construire sur cette toile. Nombreux sont les parents qui assurent que leur enfant trisomique leur a donné une véritable leçon de vie et une vision différente du monde.
Je défends uniquement le droit de la mère ou des deux parents dans un contexte familial, de décider librement de leur choix. Les grands progrès réalisés par la médecine prénatale, et surtout le diagnostic de certaines maladies, doivent guider la mère ou les parents dans l’exercice de ce choix.
       Afin de répondre aux critiques qui m’ont injustement été adressées, je voudrais insister sur le fait que ma position ne consiste nullement à pousser les États ou les personnes à pratiquer des avortements préventifs d'élimination des embryons ou fœtus porteurs de maladies, mais à encourager les États à dépénaliser l'avortement tout d'abord et à ouvrir ensuite les possibilités de recourir à un avortement sécurisé, tout en le soumettant à certaines conditions qui tiennent  notamment compte de l'état d'avancement de la gestation. Par là, je n'ai fait que rejoindre la jurisprudence du comité des droits de l'Homme, aussi bien dans ses observations finales sur les rapports périodiques de certains États que dans des affaires contentieuses[2].
L'exploitation idéologique de mon intervention est à la fois erronée, injustifiée et injuste. Elle cherche par les moyens classiques de la propagande à créer un climat émotionnel favorable à certaines croyances philosophiques ou religieuses que je réprouve, parce qu'elles sont précisément hostiles, dans leur principe même, aux droits de l'Homme. Ceux qui accusent mes collègues et moi même en particulier de soutenir "la culture de la mort" ne savent pas ce qu'ils disent. Leur attitude remet en cause l’intérêt du dépistage et du diagnostic prénatal de certaines maladies et malformations. Elle est tout simplement à contre courant du progrès scientifique.  Pour des raisons qui leur sont propres, ils ont extrait une partie de mon intervention de son contexte général, pour en donner une interprétation qui n'est pas la mienne. Je regrette que ce   malentendu ait atteint le sentiment de certaines personnes ou leurs familles et je regrette de les avoir involontairement blessés. Je tiens à exprimer mes excuses aux personnes que j’ai pu heurter et à saluer leur combat, et celui de leurs familles.
Mais, vis à vis de certains partisans extrémistes des  droits de dieu, je réaffirme mon droit, en tant que défenseur des droits de l'Homme, de défendre les droits des femmes et leur autonomie.


[1] http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs388/fr/
[2] On peut citer deux affaires importantes, Amanda Mellet c. Irlande du 31 mars 2016 et Whelan c. Irlande du 17 mars 2017.