Jusqu’en
2011, le monde arabe paraissait englué dans des schémas politiques allant de la dictature militaire, partisane ou policière à la dictature
religieuse, fortement marqués, en
particulier pour les Etats rentiers les plus riches, par le sous-développement culturel,
artistique, technologique et scientifique.
En
2011, à partir de la Tunisie, une sorte de mouvement tellurique allait remettre
en cause ce schéma en faisant s’écrouler les citadelles des dictatures, Dans un
premier temps, le monde entier salua ce « printemps arabe », en tant
qu’éclosion du phénomène démocratique. Ce printemps mit certainement fin à la
légende de « la démocratie importée d’occident » et démontra que la
démocratie a pour patrie l’humanité. Mais
on comprit que l’évolution était plus complexe.
La
flèche inaltérable de l’islam et ses avatars.
En
fait, un seul élément est partagé par tous : la flèche inaltérable de
l’islam qui traverse temps et espace avec une éblouissante jeunesse. Cette
dernière cependant, provoque à travers sa course, par le jeu des
interprétations forcées des souches religieuses anciennes et à cause de son imbrication
dans les luttes politiques, sociales, ethniques aussi bien que dans les conditions
du sous-développement, propices à son rajeunissement perpétuel, les querelles,
la haine, la dévastation et les guerres de toutes sortes. Chacun parle en son
nom, mais toujours pour contredire, agresser ou tuer son voisin ou son
frère. Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi
en sont les témoins et les preuves. Ce que leurs aveugles assassins ignoraient,
c’est que leur vies ont été sacrifiées su l’autel de notre libération.
Certains
pays, comme la Tunisie et l’Egypte se sont engagés dans un processus électoral
et constitutionnaliste qui déboucha sur la prise du pouvoir par les partis islamiques
de différentes obédiences. Pour ces partis, il était normal que la Révolution
fût assumée par eux. Ne représentent-ils pas une magnifique synthèse de la voix
de Dieu et de celle du peuple ? Pour d’autres, en revanche, ces élections
constituent en elles-mêmes une contre-révolution, dans la mesure où la
Révolution fut l’expression massive d’une revendication totalement démocratique
et « civile » (madaniyya), c’est-dire sans aucune couverture religieuse. Une
révolution religieuse est, en soi, une contradiction. Certains partis
islamistes le disent clairement : “no democracy, we want just islam”.
A partir de là, nous nous sommes engagés dans
une longue rhétorique sur la dialectique du religieux et du civil, soit, comme en Tunisie, pour poursuivre
le processus constitutionnel, dans la
peur et l’angoisse, la violence et l’assassinat politique, soit pour y
mettre un terme brutal, comme en Egypte, l’armée venant au secours du peuple de
la Révolution contre celui des élections, en fait au secours d’elle-même. Dans
tout cela, la justice et la dignité
furent délaissées, ce qui ne fit qu’aggraver les contradictions et tumultes de la Révolution.
Certaines
dictatures, comme en Syrie, résistèrent à la déferlante et entraînèrent le pays
dans une guerre civile internationalisée
tragique. D’autres, comme l’Irak, s’enfoncèrent encore dans une guerre civile
larvée, à caractère confessionnelle, à coup d’attentats terroristes quotidiens.
Certains régimes, comme l’Arabie saoudite, le Maroc, la Jordanie ou l’Algérie, retrouvèrent,
pour des raisons foncièrement différentes, une relative stabilité. Les inepties des « Frères »
en Egypte entraînèrent la reprise du pouvoir par l’armée.
Mais
partout, la flèche inaltérable produisit ses avatars, qu’ils s’appellent Aqmi
ou Aqpa, Shebbab ou Ansar acharia, ou qu’ils viennent
réveiller les volcans des conflits « toujours là », entre sunnites et
chiites, au Liban, au Bahreïn, en Irak et dans les pays du golfe ou entre les
confessions musulmanes majoritaires et les minorités chrétiennes, comme pour
les coptes d’Egypte ou les chrétiens d’Irak ou de Syrie.
Autre
aspect du paysage, hélas : les résistances internes au pouvoir de l’armée,
en Egypte, le développement des forces
centrifuges contre le pouvoir central, en Libye, les revendications sociales non satisfaites
ailleurs, sont de nature à provoquer une extension des formes les plus
radicales et les plus belliqueuses de l’islam politique, suivie d’une
généralisation des conflits civils internationalisés. Le chaos ne restera plus
alors l’apanage de la seule Somalie.
La
rareté du citoyen et le pari démocratique.
Les
révolutions arabes ont eu pour effet d’affaiblir l’Etat, ce qui entraîna, soit,
comme en Tunisie, le déclin des services publics et de l’autorité de l’Etat,
soit l’apparition de mouvements autonomistes sous forme de revendications
fédéralistes (Libye) voire même indépendantistes (sudistes yéménites).
Face
à l’échec d’une stabilisation de la société par le vote majoritaire, qui ne fit
qu’accroitre les peurs, le maître mot de la politique prit alors la forme du
consensus actif, tawâfuq et du dialogue national, hiwar watani,
en vue d’aboutir à des élections crédibles et à l’élaboration d’une
constitution pour tous les citoyens et non pour un parti de citoyens (Tunisie)
ou un clan tribal dominant (Yémen). Le problème réside précisément dans la
rareté du « citoyen ».
Le
pari démocratique n’est pourtant pas perdu. La Tunisie vient d’en administrer
la preuve. Malgré une menace terroriste doublée d’une certaine islamisation des conduites et des mœurs, les
projets constitutionnels du parti Ennahdha ont été jugulés. Pour tenir
le pouvoir, ce parti s’est vu obligé non seulement de faire volte-face sur le
terrain miné de l’islamisme radical qu’il pensait pouvoir manipuler, mais de
battre en retraite, dans son propre intérêt, sur plusieurs fronts de bataille contre les « modernistes ».
La suppression de l’article 141 du projet de Constitution qui faisait de
l’Islam la religion de l’Eta en est un exemple frappant. La modification, en dernière minute, de
l’article 38[1]
sur le droit à l’enseignement en est un autre. Les articles 2, sur le caractère
civil de l’Etat, 6 sur la liberté de conscience et la tolérance, 21, 34, 46,
sur les droits des femmes et la parité, 42 sur le droit à la culture, 49 sur le
statut constitutionnel des libertés et droits fondamentaux reflètent
incontestablement la victoire du camp démocratique bien qu’ils expriment également
les contradictions de notre société.
Plus important encore que la Constitution
elle-même, l’instauration du débat
public massif autour de la Constitution et de la politique est le
véritable vecteur du pari démocratique. C’est ce qui pourrait réellement
rendre possible l’émergence, à terme,
d’une véritable démocratie islamique pour l’islamisme, mais, plus important
encore, d’une vraie démocratie pour nous tous. D’excellents esprits pensent
cependant que ce pari n’est qu’une utopie et qu’avec l’islam nulle démocratie
n’est possible. Que peut-on leur répondre, sinon que l’histoire ne connaît pas
le fixisme ?
J'ai une grande admiration pour ce que vous écrivez mais je dois dire que votre conclusion me peine. Croire que vraiment l'islamisme c'est a dire ,nécessairement, l'instrumentalisation de la religion a des fins politique d’accès au pouvoir peut être une des composantes d'une démocratie c'est, me semble t-il, une grave erreur .Il me semble que l'on peut très bien être musulman , croire aux valeurs de cette religion et néanmoins considérer que l'Etat doit être seulement civil. Si vous autorisez l'islam a devenir une option politique vous ouvrez nécessairement le champ aux interprétations de cette religion et donc aux abus.
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