Introduction.
Une
Révolution est un phénomène historique et sociologique d’une immense
portée. Trois conditions cumulatives
doivent être vérifiées pour juger qu’un évènement constitue bien une
révolution : une protestation publique massive qui, par sa portée, dépasse les manifestations
ordinaires de protestations collectives, telles que les manifestations, les
grèves générales, les insurrections ou les révoltes; deuxièmement, la victoire
de cette protestation, ce qui veut dire la chute d’un pouvoir politique
avec ses hommes, ses symboles et sa constitution. Cela n’implique pas forcément
le contrôle du pouvoir par les acteurs de la révolution. La prise immédiate du
pouvoir n'est pas systématiquement l'enjeu d’une révolution, contrairement à
ce que pense Charles Tilly[1]. Les institutions anciennes, le gouvernement,
l’armée, la police, peuvent demeurer en
place. Ce fut le cas en Tunisie. Enfin, une révolution est un appel, en fait un
rappel de presque les mêmes principes universels de dignité, de justice et de
liberté, Cette troisième condition révèle la portée incontestablement éthique
de toute révolution[2].
Au
plus profond de leur nature et de leur identité, révolution et constitution
semblent être deux phénomènes contradictoires. Une révolution, en elle-même,
constitue une négation du droit, du moins d’une négation du droit existant.
Qu’elle se dresse contre le titulaire physique d’un pouvoir, contre un régime
politique donné, contre une constitution déterminée, ou des lois
constitutionnelles écrites ou coutumières, une révolution constitue dans tous
les cas de figure la violation d’une légalité donnée, et plus spécifiquement
d’un ordre constitutionnel. Dans son rapport au droit, une révolution vise en tout premier lieu, à
modifier, réformer ou casser la constitution, le plus haut degré de la masse
considérable et foisonnante des lois qui gouvernent un peuple, son territoire
et ses modalités d’existence régulées par le droit. A partir de cette
perspective initiale, elle peut également viser à faire tomber les éléments les
plus symboliques et les plus marquants d’un système juridique lié à l’ancien
régime politique, comme certaines institutions ou lois politiques ou sociales,
économiques, familiales ou fiscales[3]. Par conséquent, d’une
manière ou d’une autre, une révolution constitue fondamentalement une violation
de la légalité et, en cas de victoire,
s’installe forcément sur les décombres d’une constitution.
Mais
on ne peut s’arrêter là. Négation du droit, une révolution constitue cependant
un message, un appel éthique impliquant l’édification d’un nouveau système de
droit plus juste et plus équitable, à commencer par sa constitution. Quand une
révolution élève un appel pour la liberté ou la justice sociale, elle ne se
préoccupe pas de savoir quelles seront demain les lois concrètes
constitutionnelles, organiques ou ordinaires , les décrets et arrêtés qui gouverneront la liberté de conscience de
pensée et de religion, le droit de réunion, la liberté de la presse et de
l’édition, l’impôt sur le revenu des personnes physiques, les droits
d’enregistrement, les droits de douane ou de succession, la TVA et les
redevances de toutes sortes. Elle donne un ordre moral, trace des objectifs
politiques aux futurs gouvernants qui
mettront l’art des juristes et hommes de loi au service de ce rappel éthique.
Une révolution, en définitive, démolit les éléments supérieurs et
symboliquement marquants d’un système de droit, mais porte en son sein les
éléments éthiques fondamentaux et les objectifs qui serviront à la construction
du nouveau système de droit. Ainsi, Raymond Carré
de Malberg (1861 – 1935) a-t-il
démontré que les principes de la Révolution française constituent les
fondations de l’État moderne[4].
Quel
est le récit de la Révolution tunisienne sur cette question ? Quels
enseignements peut-on en tirer ? Quels sont rapports entre le moment
révolutionnaire et le moment constitutionnel ?[5] Ce sont les questions
auxquelles nous allons tenter de répondre dans ce qui suit.
Première partie : Une révolution en quête d’une Constitution.
La
question constitutionnelle s’est posée dès le départ soudain et imprévu de
l’ancien dictateur le 14 janvier 2011. L’expérience qu’a vécue la Tunisie au
cours de la période transitoire qui a suivi la Révolution est instructive à
plus d’un titre. A travers les quatre périodes de la transition du 14 janvier 2011
au 23 mars 2011[6],
du 23 mars 2011 au 23 octobre 2011[7], du 23 octobre 2011 au 16
décembre 2011[8],
du 16 décembre 2011 au 24 janvier 2014[9], cette expérience nous
révèle que la chaîne du droit, malgré une discontinuité fondamentale, due à
l’effet de la Révolution, a pu résister
à toutes les attaques provoquées par les crises sociales, politiques et
sécuritaires. Elle a en réalité servie de trame au déroulement des événements
politiques[10].
La
Constitution au secours de la Révolution.
L’élément
le plus important à noter est que la constitution a servi doublement les
desseins de la révolution. En premier lieu, elle a assuré, par le jeu de
l’article 57[11], de l’article 39[12], et de l’article 28, le
transfert du pouvoir au nouveau Président de la République, ce qui nous a donné
la situation paradoxale dans laquelle un homme de l’ancien régime prend la
direction de l’Etat, pour servir la Révolution et éviter l’établissement d’un
gouvernement de fait. Cet homme deviendra le législateur de la première période
transitoire. Ce paradoxe comme nous l’expliquerons a été le secret de la
réussite de cette période transitoire. Par ailleurs, très rapidement, l’idée
d’une nouvelle constitution est devenue l’objectif principal du peuple de la Révolution
et de ses acteurs principaux. La Révolution devait, « Si Veut le Peuple », acha’b
Yourîd, déboucher sur l’élection d’une Assemblée nationale constituante et
l’élaboration d’une constitution[13]. Mais, comme le prouve l’expérience
tunisienne, ce cheminement entre la Révolution et la Constitution se fera
lui-même par des « dispositions constitutionnelles provisoires »[14], se manifestant par le
texte positif de la loi ou par des actes constituants[15]. La transition
constitutionnelle est devenue effectivement le levier et le garant de la
transition démocratique[16]. Il s’agit, comme l’a
fait remarquer Paul Amselek[17], d’un « processus de
décision juridique ». Entre la révolution et la constitution, se situe par
conséquent une « période transitoire », provisoire et préparatoire à
la fois, qui consiste à mettre en place
des mécanismes provisoires d’organisation des pouvoirs publics, en attendant
l’adoption de la constitution permanente et définitive. Au cours de cette
période de transition, nous sommes en situation d’attente et de préparation
d’un événement inaugural : la future constitution[18]. L’adoption de cette
constitution, par sa promulgation et sa publication, achève cette période de transition[19].
Au
cours de cette période de transition, la classe politique a toujours été hantée
par le vide juridique, alors même que le
vide juridique peut paraître comme un effet ordinaire de l’idée même de révolution. L’originalité de la Révolution tunisienne se
manifeste précisément à la fois par le légalisme et le juridisme. Le légalisme
qu’on observe dans le souci constant des titulaires des pouvoirs civil,
militaire et sécuritaire de maintenir, contre vents et marées, la continuité de
l’État, à travers la chaîne continue de ses lois publiques constitutionnelles
ou ordinaires[20]. Le juridisme qui se
manifeste par le développement d’une culture constitutionnaliste étonnement
populaire et médiatisée et la consécration de « l’expert en droit constitutionnel
», sans souci de ses diplômes, qualifications et statut universitaire, par le
simple jeu de la presse, des médias et de l’opinion. La caractéristique
spécifique de la Révolution tunisienne réside véritablement dans « le souci du
droit et de la loi ».
C’est
par ce biais que la Révolution tunisienne a résolu le problème de la cohabitation difficile, pour
ne pas dire paradoxale ou même contradictoire, entre la logique révolutionnaire
et la logique institutionnelle[21]. La question centrale était de savoir comment
assumer la Révolution, en sauvegardant à la fois la continuité de l’État, aussi
bien sur le plan du texte positif que sur le plan des institutions. Autrement
dit, il fallait, autant que faire se peut, « éviter les gouvernements de fait
», c’est-à-dire des gouvernements qui n’ont pas de support juridique, alors même que, par définition, la
révolution est un « fait » un phénomène anti juridique par nature puisqu’elle
viole, en toute légitimité, la constitution d’un pays.
Le processus de transfert du pouvoir.
Le
suicide par le feu de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010, puis sa mort le 4
janvier 2011ont été à l’origine du
processus révolutionnaire. Cet événement a déclenché une série de
manifestations à Sidi Bouzid, rapidement étendue à tout le territoire tunisien,
en particulier à Tunis, à la fin du mois de décembre. Malgré la visite du grand
brûlé par le Président de la République, la répression sanglante qui a abouti à
des centaines de morts et de blessés, malgré les discours mélangeant condamnation
de l’insurrection et de la répression policière, menaces et apaisements, le Président
de la République quitta le pays le 14 janvier, en vue, semble-t-il, d’apaiser
la tension et préparer son retour. Dans un premier temps, le Premier ministre
annonça la mise en application de l’article 56 de la constitution sur la
délégation provisoire du pouvoir présidentiel au Premier ministre, puis, dans
les 24 heures, se ravisa pour annoncer la vacance définitive de la présidence
de la République et la mise en application de l’article 57 de la Constitution[22]. La vacance définitive
fut entérinée le 15 janvier 2011 par une décision du Conseil constitutionnel,
qui assimila ce départ à un « empêchement absolu » du Président de la
République d’exercer ses fonctions au sens de l’article 57 de la constitution
tunisienne du 1er juin 1959. En conséquence, le Conseil
constitutionnel affirma que les conditions étaient réunies pour que le
Président de la Chambre des députés puisse immédiatement exercer les fonctions
de Président de la République de manière provisoire, comme prévu par l’article
57 de la Constitution[23].
Ainsi,
c’est par le jeu des règles constitutionnelles elles-mêmes que fut résolu le
problème de la vacance du pouvoir présidentiel. Il restait à régler le problème
de l’exercice du pouvoir législatif, dans la mesure où la Chambre des députés,
comme la Chambre des conseillers, totalement discréditées par leur
participation directe à la dictature, n’étaient plus politiquement aptes à
exercer le pouvoir législatif. Ce problème fut résolu par un recours, quelque
peu acrobatique il est vrai[24], mais cependant justifié
par les circonstances, à l’article 28 de la Constitution qui prévoyait la
délégation du pouvoir législatif au Président de la République par la technique
du décret-loi[25].
Le 3 février 2011, par le biais de la saisine obligatoire, le Conseil
constitutionnel fut saisi d’urgence par le Président provisoire de la
République, en vue de statuer sur le
projet de loi de délégation, permettant au président, d’agir par décret-loi
provisoirement et jusqu’à la fin de la période intérimaire (60 jours). Cette
délégation portait en réalité sur
l’ensemble des matières réservées au pouvoir législatif. Constatant que la
période de la délégation se trouvait ainsi limitée, que les objectifs et les
matières objet de la délégation, malgré leur variété et leur étendue, se
trouvaient également déterminés, prenant en considération également les
spécificités de la période transitoire, le Conseil constitutionnel affirma que
rien dans la Constitution n’empêchait une telle délégation et que le projet de
loi qui lui était soumis et qui devrait normalement être ratifié par le
Parlement, était conforme à la Constitution.
Tel fut l’hommage que le Conseil constitutionnel, rouage de l’ancien régime déchu,
rendit au cours de cette séance de l’adieu, à la Révolution. Par-là même, le
Conseil constitutionnel inaugura l’application de ce droit constitutionnel
d’exception qui caractérisa cette première période transitoire.
Le
projet de loi fut voté par la Chambre des députés le 7 février 2011 et par la
Chambre des conseillers le 9 février 2011et devint ainsi la loi n° 5 du 9 février 2011 habilitant le Président de la
République par intérim à prendre des décrets-lois en vertu de l'article 28 de
la Constitution. Ce fut la dernière loi votée par les chambres de la défunte République.
C’est sur la base de cette délégation que furent pris 13 décrets-lois dont
celui relatif à l’amnistie et le décret-loi n° 6 du 18 février 2011 relatif à
la « Haute instance de réalisation des objectifs de la Révolution, de la
réforme politique et de la transition démocratique » qui allait jouer un
rôle fondamental dans la mise sur pied des institutions de la période
transitoire.
Nous
voyons donc qu’au cours de cette première période transitoire nous avons cousu
un habit neuf avec des oripeaux. En effet, « la transition, étant un état
intermédiaire, une dialectique, une union des contraires, combine dans une
proportion, à déterminer dans chaque cas, des survivances de l’ancien régime
avec des éléments annonciateurs du nouveau régime»[26].
Le
rôle de la Haute instance de la Révolution.
Au
cours de la deuxième quinzaine de janvier 2011 et de la première quinzaine du
mois de février la perspective dominante consistait à organiser en priorité des
élections présidentielles, conformément aux dispositions de la ِِِِِConstitution de 1959, de réformer la Constitution
pour la débarrasser des amendements qui y ont été ajoutés par la dictature en
vue de pérenniser son pouvoir et enfin de réformer les grandes lois qui
encadrent la vie politique, c’est-à-dire le code électoral, la loi sur les
associations, sur la liberté de réunion et de manifestations, la loi
réglementant les partis politiques et les lois sur la presse écrite et les
médias. Tel fut le travail qu’entreprit sans tarder la « Commission de
réforme politique » dont la création fut annoncée par le Premier
ministre le 17 janvier 2011. Dans cette
perspective, la Commission, sitôt constituée, organisa des réunions de consultation avec un
certain nombre de partis politiques, de
syndicats, de représentants de la société civile et de personnalités
nationales. Mais ce travail fut formellement interrompu par la mise sur pied de
la « Haute instance de réalisation des objectifs de la Révolution, de la
réforme politique et de la transition démocratique » (HIROR), instituée
par le décret-loi numéro 6 du 18 février 2011 et dont la première séance eut
lieu le 17 mars 2011, au siège du Conseil économique et social et en présence du Président provisoire de la République.
La
Haute instance fut le résultat d’une intense négociation menée par le Premier
ministre Mohamed Ghannouchi avec les représentants les plus importants du
« Conseil national de protection de la Révolution » créé le 11
février 2011 entre 28 partis et associations[27], en vue de protéger la Révolution contre le
retour de l’ancien régime et de consolider ses acquis[28]. Le Premier ministre prit l’initiative de
proposer aux membres du Conseil national de protection de la révolution de
s’associer avec la Commission de réforme politique, en vue de former une Haute
instance. Par ce geste, le Premier ministre rendit un service éminent à la
Révolution, en lui offrant un processus para gouvernemental et sociétal, acceptable et consensuel, de représentation et de décision[29].
Au
cours du mois de février, la pression de la rue et du sit-in de Casbah 2, ainsi
que des principaux protagonistes de la Révolution, en particulier l’UGTT et le
Front du 14 janvier[30], s’exerça dans le sens
d’une perspective totalement nouvelle, tendant
à l’élaboration d’une nouvelle constitution par une assemblée nationale
constituante élue au suffrage universel[31]. Au niveau
gouvernemental, cette nouvelle perspective fut entérinée au cours d’une réunion
tenue au palais de Carthage dans l’après-midi du lundi 21 février 2011 sous
l’égide du Président provisoire de la République, M Foued Mebazaa et en
présence du Premier ministre, M. Mohamed Ghanouchi, du ministre de la Défense
nationale, M. Abdelkrim Zbidi, du général Ammar et du président de la Haute
instance de la Révolution. Au cours de cette réunion, il fut décidé que le
Président provisoire de la République annoncerait au début du mois de mars,
qu’en réponse à la volonté du peuple, une assemblée nationale constituante
allait être élue le 24 juillet 2011 et que la Constitution de 1959 devait être
suspendue[32].
Les
perspectives politiques ayant fondamentalement changé, la priorité de la Haute
instance de la Révolution consista alors à préparer et faire adopter par le
Gouvernement et le Président provisoire de la République, devenu le législateur
de la première période transitoire, la loi électorale pour l’élection d’une Assemblée
nationale constituante et le texte relatif à l’Instance supérieure indépendante
pour les élections, ISIE. Cette dernière instance qui organisa et supervisa les
élections du 23 octobre 2011 fut élue, ainsi que son président M. Kemal
Jendoubi, par les membres du Conseil de
la Haute instance de la Révolution le 9 mai 2011.
En réalité, le programme juridique
établi au sein de la Commission de réforme politique, devint celui de la Haute
instance et cette dernière prit l’initiative, sur l’impulsion de son Comité
d’experts, des projets de décret-loi qui
constitueront « les six lois de la libération », c’est-à-dire les
décret-loi numéro 27 du 10 avril
2011, instituant l’Instance supérieure
indépendante électorale, I.S.I.E, le décret-loi numéro 35 du 10 mai 2011 organisant
les élections de l’Assemblée nationale constituante, le décret-loi numéro 87 du
24 septembre 2011 réglementant le régime juridique des partis politiques, puis
le décret-loi 88 de la même date sur le régime juridique des associations,
enfin les décrets-lois numéro 115 et 116 du 2 novembre 2011, organisant la liberté de la presse et des médias.
Un débat houleux et chaotique eut lieu à propos du Pacte républicain qui fut adopté par la Haute instance mais qui
n’eut pas de suite concrète[33]. Des séances «
d’appellation » furent organisées entre la Haute instance et certains membres
du gouvernement ou le Premier ministre. Les mêmes séances eurent lieu avec les
deux autres commissions présidées respectivement par le professeur Abdelfattah Amor et Maître
Taoufik Bouderbala. D’autres
organismes ou entités furent écoutés par la Haute instance[34], dans le cadre de son
activité de politique générale. La commission institua des commissions
d’enquête ad hoc, ou des commissions de suivi, notamment la commission chargée
de la mise en application de l’article 15 du décret-loi numéro 35, présidée par
le professeur Mustapha Tlili. Sur chaque
évènement notable, la Haute instance
publia des communiqués et tint des conférences de presse. En réalité, la
Haute instance de la Révolution joua quasiment le rôle d’un parlement. Ce
dernier point fut précisément la cible
de la plupart des attaques qui lui furent dirigées. Certains grands esprits
allèrent même jusqu’à demander sa dissolution[35], après l’avoir
pourchassée pendant des mois sur les colonnes dominicales du journal « la
Presse ». Rien n’y fit. Cette activité quasi parlementaire fut
également l’un des motifs principaux du
retrait de certains politiques de la Haute instance qui comprirent que par ses
textes libérateurs, elle risquait de ligoter la souveraineté de l’assemblée
constituante. Ils n’eurent pas tort. Les tentatives de modifier les
décrets-lois adoptés par la Haute instance, notamment les décret-loi numéro 115
et 116, devenus gênants pour le gouvernement de la troïka, furent voués à
l’échec, pour la simple raison que ces décrets-lois furent soutenus par des
partis de l’opposition et la majeure partie des composantes de la société
civile, notamment les journalistes.
Cette
nouvelle perspective rendait la situation politique et juridique extrêmement
difficile, dans la mesure où l’exigence d’une nouvelle constitution rendait
impossible aussi bien l’élection du Président de la République que du
Parlement, et que, par ailleurs, les
chambres avaient été dissoutes de fait et les indemnités parlementaires des
députés et conseillers arrêtées par une décision de justice[36]. L’ensemble de ces
circonstances aboutissaient en réalité à une suspension de la Constitution
elle-même. La question fondamentale qui se posa alors était la suivante :
qu’allait-on faire au cours de la période se situant entre la désuétude de
l’ancienne constitution et l’élaboration, puis l’entrée en vigueur de la
nouvelle constitution ? Comment éviter le vide juridique et l’installation
d’un gouvernement de fait ?
La
rupture : le décret-loi constituant n°14 du 23 mars 2011
La
réponse à cette question fut la suivante : il fallait un « acte de
base », un socle qui pourrait valablement servir de fondement à la
législation future de la période transitoire. Mais cet acte ne pouvait pas
lui-même être assis sur un fondement constitutionnel. Il fallait par conséquent
que ce soit un acte « initial », un acte fondateur ou encore un acte
constituant. Ne pouvant reposer sur une légalité précédente cet acte, par
conséquent, ne pouvait trouver sa source que dans la légitimité
révolutionnaire. C’est ce qu’annonça le Président de la République, dans son discours du 3 mars 2011.
Dans
ce discours solennel le Président provisoire de la République affirma : «
…la réforme politique nous impose de trouver un fondement constitutionnel
nouveau qui reflète la volonté du peuple et qui bénéficie de la légitimité
populaire ». Dans ce même discours il rappela que « la Constitution
actuelle ne répond plus aux ambitions du
peuple après la Révolution et se trouve dépassée par les circonstances, sans
compter les vicissitudes qui l’ont touchée à cause des nombreux amendements qui
lui ont été apportées et qui empêchent une vie démocratique véritable et
constituent un obstacle sur la voie de l’organisation d’élections transparentes
et de la mise sur pied d’un climat politique dans lequel chaque individu et
chaque groupement puisse bénéficier de
la liberté et de l’égalité ». Le Président provisoire ajouta que pour répondre
aux appels du peuple et après avoir recueilli le consensus global des forces
politiques et de la société civile, il appelait à l’élection d’une Assemblée
nationale constituante pour le 24 juillet 2011, conformément à un régime
électoral particulier qui sera élaboré par la « Haute instance de
réalisation des objectifs de la révolution ». En attendant, le Président annonça un plan de mise en
œuvre de ce programme qui devait aboutir à une nouvelle constitution. Ce plan
englobe l’organisation provisoire « du pouvoir public », puis la
préparation d’élections générales libres pluralistes. et transparentes et enfin
l’organisation de ces élections, le dimanche 24 juillet 2011.
Telle
fut l’origine du décret-loi n°14 du 23 mars 2011. Cette première « Petite
constitution »[37] de la période transitoire
fut appelée « décret-loi » et porta le n° 14, prenant ainsi la file des 13
décrets lois antérieurs, par l’effet de l’esprit bureaucratique peu inventif du
service juridique dépendant du Premier ministre qui n’a pas saisi le caractère
tout à fait spécifique de cet acte constituant à qui il fallait donner une
nouvelle dénomination qu’on aurait pu extraire du patrimoine juridique
historique arabe pour marquer son caractère fondationnel. Des dénominations
comme tawqi’ ou dhahîr ou mistarah ou qarar ta’sisi
furent proposées, mais cela dépassait la frilosité des fonctionnaires.
La
légitimité révolutionnaire du décret-loi n° 14 se trouve évoquée d’emblée dans
ses motifs :
« Considérant
que le Peuple tunisien est le titulaire de la souveraineté qu’il exerce par
l’intermédiaire de ses représentants élus par une élection directe, libre et
sincère,
Considérant que
le Peuple a exprimé au cours de la Révolution du 14 janvier 2011 sa volonté
d’exercer sa souveraineté entière dans le cadre d’une nouvelle constitution,
Considérant
que la situation actuelle de l’État, suite à la vacance définitive de la
présidence de la République le 14 janvier 2011, comme l’a proclamé le Conseil
constitutionnel dans sa déclaration publiée au journal officiel de la
République tunisienne du 15 janvier 2011, ne permet plus le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics, et qu’il devient impossible d’appliquer
entièrement les dispositions de la Constitution,
Considérant
que le Président de la République est le garant de l’indépendance nationale, de
l’intégrité de son territoire, du
respect de la loi et de l’exécution des conventions internationales, et qu’il
est chargé de veiller au fonctionnement normal des pouvoirs publics et de
garantir la continuité de l’État,
Article
premier : jusqu’à ce qu’une Assemblée nationale constituante élue au
suffrage universel, libre, direct et secret, conformément aux dispositions
d’une loi électorale prise à cet effet, exerce ses attributions, les pouvoirs
publics de la république tunisienne seront organisées de manière provisoire
conformément aux dispositions du présent décret-loi».
Rien dans ce décret-loi ne pouvait le ravaler au rang des
décrets-lois qui l’avaient précédé. Son caractère constituant est
incontestable. Non seulement il ne reposait sur aucune délégation du pouvoir
législatif, mais, au surplus, sur la base de la légitimité révolutionnaire, il
venait dissoudre les principales institutions constitutionnelles, mises en place par la Constitution de 1959. En
effet, l’article 2 du décret-loi portait dissolution de la Chambre des députés,
de la Chambre des conseillers, du Conseil économique et social et du Conseil
constitutionnel. Le décret-loi prit soin d’indiquer que le Tribunal
administratif, la Cour des Comptes (art.3) et les tribunaux judiciaires (art.17)
continuaient à exercer normalement leurs fonctions dans le cadre des lois qui
les réglementent. Par ailleurs, le décret-loi soulignait son caractère
provisoire, «en attendant l’exercice de ses attributions par une assemblée
nationale constituante élue au suffrage universel, libre, direct et secret»
(article premier). De ce fait, le décret-loi devient le premier acte juridique
institutif de l’Assemblée nationale constituante. Le décret-loi numéro 35 du 10 mai 2011, sur
l’élection de l’Assemblée nationale constituante n’en sera que la mise en
exécution[38]. Enfin, le décret-loi numéro 14 prévoyait une
organisation provisoire des pouvoirs publics formée par le Président provisoire
de la République, disposant du pouvoir législatif qu’il exerce par voie de
décret-loi délibéré en Conseil des ministres[39]. Le Président provisoire
est également le chef de l’exécutif. Il exerce le pouvoir réglementaire général
par voie de décret. Il est assisté dans l’exercice de la fonction exécutive par
un gouvernement provisoire dirigé par un Premier ministre. Ce décret-loi
absolument exceptionnel nous révèle ainsi un Président de la République au
pouvoir absolu, puisque s’arrogeant le pouvoir constituant par l’édiction du décret-loi lui-même, il lui
était reconnu également le pouvoir législatif et l’entièreté du pouvoir
exécutif. L’institution de cette dictature légale était cependant sans risque.
Les Tunisiens savaient en effet que le titulaire du pouvoir présidentiel, par
la grâce de la constitution de 1959, appartenait à l’ancien régime. Dans le
milieu ambiant de l’année 2011, cette appartenance lui dictait impérativement
une attitude de réserve et de
modestie. Politiquement, il se trouvait
dans une position de soumission et devait gagner sa crédibilité en se montrant
fidèle à la Révolution. Ce qu’il fit d’excellente manière et ce fut là le
secret de la réussite de la première période transitoire. Ainsi, le Président
provisoire observa-t-il une attitude amicale et compréhensive à l’égard de la
Haute instance de la Révolution dont il présida la première séance, le 17 mars
2011, et la cérémonie finale, le 13 octobre 2011. La Haute instance qui était composée des femmes, des hommes et
des forces de l’opposition à l’ancien régime, représentait l’esprit nouveau de
la Révolution. L’ensemble des textes législatifs ou réglementaires adoptés par
la Haute instance furent signés promulgués et publiés par le Président et
devinrent des textes de valeur législative, à l’instar du décret-loi numéro 35
sur l’élection de l’Assemblée nationale constituante[40], ou de simples décrets à caractère
réglementaire.
L’effet du décret-loi n°14 sur la Constitution de 1959.
Nulle part il n’est dit que la Constitution est abrogée, ni sur le
plan des institutions, ni des règles substantielles. Le décret-loi n°14
affirmait simplement qu’il devenait impossible d’appliquer les dispositions de
la Constitution de 1959 « dans leur intégralité », ce qui laisse
supposer que la Constitution restait partiellement en vigueur. En effet, sur le
plan des institutions, la seule certitude, c’est que les institutions
expressément visées par l’article 2 du
décret-loi disparaissent. Mais il est fait exception des ordres juridictionnels
établis par la Constitution de 1959. Sur le plan des règles substantielles,
nous pouvons nous rallier à l’arrêt de la Cour d’appel de Tunis, rendu le 5
février 2013, se référant à la liberté de circulation prévue par l’article 10
de la Constitution du 1er juin 1959. Dans cet arrêt, la Cour
affirme que cette dernière demeurait en
vigueur dans ses dispositions garantissant les droits et libertés
fondamentales, ajoutant cependant que ces droits et libertés, par leur nature même,
aussi bien que par l’effet de l’article 12 du Pacte international sur les
droits civils et politiques auquel la Tunisie avait adhéré le 29 novembre 1968,
n’étaient pas susceptibles d’être abrogés.
La réflexion sur le décret-loi numéro 14 est extrêmement
instructive sur le plan des rapports entre Constitution et Révolution. Elle
nous révèle en effet, au niveau du droit public, la cohabitation de deux
logiques : d’un côté, la logique révolutionnaire, avec ses idées sur la
souveraineté du peuple, sur la Révolution comme expression de la volonté du
peuple, sur la nouvelle Constitution comme objectif de la Révolution; et d’un
autre côté, la logique institutionnelle, constamment présente, avec le passage
de l’ancien au nouveau régime, par l’effet même des dispositions de l’ancienne Constitution,
comme l’article 28 sur les décrets-lois ou l’article 57 sur la vacance
définitive de la présidence, mais surtout à travers l’idée selon laquelle la
continuité de l’État exige que l’ancienne Constitution ne soit pas totalement, mais
partiellement abrogée. Le sentiment dominant cette période de l’histoire
consistait, presque obsessionnellement, à éviter que la vie politique se déroulât
sur une base purement factuelle. Le plus remarquable, c’est que cette logique
révolutionnaire elle-même a été contrainte de suivre la voie du droit, par
l’intermédiaire d’un texte juridique, bien qu’elle ait pu largement s’en
passer.
Hormis le décret-loi numéro 14, et au cours
de toute la première période transitoire, la chaîne du droit ne connut pas de
discontinuité. À partir de la chute de l’ancien régime le 14 janvier 2011, nous
passons de texte à texte, sans interruption, comme si la vie du droit écrit
avait ses propres ressorts. L’application de l’article 57 de la Constitution de
1959, puis de l’article 28, permit de mettre en place la présidence provisoire
qui joua un rôle stabilisateur si important dans cette période mouvementée. Sur
la base de l’article 28 fut pris le décret-loi numéro 6 du 18 février 2011 créant la Haute instance
de la Révolution qui joua, sans le dire, le rôle d’un parlement au sein duquel
furent délibérées les textes juridiques les plus importants pour le futur,
notamment les projets de décret-loi sur
l’Instance supérieure indépendante pour les élections, (ISIE), sur l’élection
de l’Assemblée nationale constituante, sur les partis politiques, sur les
associations, sur la presse écrite et sur les médias, sans compter les décrets
d’application de ces textes. Sur la base du décret-loi numéro 35 furent
organisées les élections du 23 octobre 2011 pour la désignation d’une Assemblée
nationale constituante. En attendant l’adoption de la nouvelle constitution,
cette dernière vota la loi constituante numéro 6 du 16 décembre 2011, seconde «
Petite constitution », portant organisation provisoire des pouvoirs publics
et abrogeant définitivement la Constitution de 1959. L’Assemblée constituante
vota la nouvelle Constitution le 26 janvier 2014 et cette dernière fut
promulguée au cours d’une séance
solennelle le 27 janvier 2014. A cette date, l’objectif de la révolution est
réalisé. La Révolution a accouché de sa Constitution. La période transitoire est terminée.
A partir de la Constitution du 27 janvier
2014, nous entrons dans une nouvelle phase transitoire, mais au sens
constitutionnel et proprement juridiques du terme, et dans les conditions
fixées par le chapitre X sur les dispositions transitoires. Il s’agit ici d’une
phase transitoire constitutionnelle, au sens des conflits de loi dans le temps,
qui ne doit nullement être confondue avec les phases transitoires précédentes[41]. Poursuivons à présent le récit, en regardant le spectacle, car c’en fut un en
vérité, des travaux de la constituante et des crises qu’elle eut à affronter.
Deuxième partie : Une Constitution, malgré la Constituante ?
Au
cours de l’été 2011, avant les élections de la future assemblée, deux questions fondamentales ont été soulevées par
la presse et par un certain nombre de partis politiques importants. Le premier
concernait la durée du mandat de l’Assemblée et le second, la délimitation de
ses compétences. L’assemblée, avant même sa formation, ne baignait pas dans la
confiance.
A.
Les problèmes relatifs au mandat et aux compétences de l’Assemblée
nationale constituante.
Un
certain nombre d’indices plaidaient pour un mandat ne dépassant pas une année
et pour une compétence strictement limitée à la fonction constituante. Le
discours présidentiel du 3 mars 2011, le décret-loi numéro 14, le décret-loi
numéro 35 relatif à l’élection d’une Assemblée nationale constituante, allaient
clairement dans le sens d’une assemblée strictement constituante. Nulle part,
il n’était indiqué que l’assemblée
dépasserait cette fonction. L’assemblée devait être instituée en vue d’établir
une constitution. Par ailleurs les deux décrets[42] relatifs à la convocation
du corps électoral pour l’élection de l’assemblée indiquaient expressément que
l’assemblée était chargée d’établir une constitution « dans un délai maximum
d’une année ». Cependant, ces indices
n’étaient pas tranchants[43]. Tout d’abord, et sur le
plan des principes, l’Assemblée nationale constituante représente un pouvoir
constituant originaire issu d’une révolution qu’il était difficile de limiter
par des textes, quel que soit leur rang,
dans la mesure où cette assemblée, disposant de ce pouvoir, se trouvait habilité à abroger tous les textes
antérieurs, y compris les textes de valeur constitutionnelle. En cela, le processus constituant tunisien
différait fondamentalement de celui de l’Afrique du Sud dont la constitution
intérimaire imposait des restrictions à l’Assemblée constituante, sous le
contrôle de la Cour constitutionnelle[44]. Par ailleurs,
l’affirmation expresse d’une fonction constituante par les décrets-lois sus
visés n’excluait pas ipso facto la fonction législative.
Conscients
de ces lacunes, une cinquantaine de partis politiques avait exigé, dès le début
de l’été 2011, l’organisation d’un référendum en vue de délimiter le mandat et
les compétences de l’assemblée. Le Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, et le Président de la République, Foued
Mebazaa, n’étaient pas loin d’adopter ce
point de vue car, pensaient-ils, une assemblée disposant d’un pouvoir absolu
ouvrait les voies de l’inconnu.
Or,
quand on se rappelle la crise grave déjà provoquée par le report des élections
du 24 juillet au 23 octobre 2011, on pouvait craindre le pire dans l’hypothèse
où les élections auraient été accompagnées d’un référendum ou pire, encore
reportées. Pour résoudre cette crise, on eut recours à une procédure
transactionnelle entre les partis politiques représentés à la Haute instance.
Un droit
constitutionnel naissant a besoin d’adjuvant pour pouvoir s’accomplir.
La
Déclaration sur le processus transitoire du 15 septembre 2011.
Pour sauver la situation et éviter le référendum, le Président de l’HIROR initia avec les partis membres de la Haute instance, y compris les partis qui l’avaient quittée, un cycle de négociations qui s’échelonna du 4 août au 12 septembre et qui aboutit à la signature de la fameuse « Déclaration du processus transitoire » par onze partis membres de la Haute instance sur les douze ayant participé aux négociations. Dans ce document, « pris sur initiative » d’une personne nommément désignée[45], les partis confirmèrent leur attachement absolu au rendez-vous électoral du 23 octobre 2011, s’engagèrent à respecter le délai maximum d’une année, établir une feuille de route prévoyant les différentes étapes de transfert du pouvoir des autorités provisoires actuelles à l’Assemblée nationale constituante, qui sera à son tour chargée d’établir une nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics, jusqu’à l’adoption de la nouvelle constitution.
Pour sauver la situation et éviter le référendum, le Président de l’HIROR initia avec les partis membres de la Haute instance, y compris les partis qui l’avaient quittée, un cycle de négociations qui s’échelonna du 4 août au 12 septembre et qui aboutit à la signature de la fameuse « Déclaration du processus transitoire » par onze partis membres de la Haute instance sur les douze ayant participé aux négociations. Dans ce document, « pris sur initiative » d’une personne nommément désignée[45], les partis confirmèrent leur attachement absolu au rendez-vous électoral du 23 octobre 2011, s’engagèrent à respecter le délai maximum d’une année, établir une feuille de route prévoyant les différentes étapes de transfert du pouvoir des autorités provisoires actuelles à l’Assemblée nationale constituante, qui sera à son tour chargée d’établir une nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics, jusqu’à l’adoption de la nouvelle constitution.
L’effet de cette déclaration fut remarquable
sur le plan politique. Tout d’abord la
campagne autour du référendum cessa immédiatement, ce qui consolida
définitivement le processus électoral. Le Président de la République, le
Premier ministre et le président de l’HIROR, furent convaincus, à la lecture de
la Déclaration, que la fixation d’un délai d’une seule année pour les travaux
de l’Assemblée constituante emportait, par voie de conséquence, la limitation
de ses compétences. Mais il faut avouer que cette question demeurait dans la
pénombre. Il faut également remarquer que la Déclaration du 15 septembre
constitua le premier modèle de « feuille de route», qui deviendra
familier par la suite, dans le cadre du dialogue national, et qu’enfin la
Déclaration fixa la voie que devait suivre l’Assemblée nationale constituante
dans la mise sur pied d’une nouvelle organisation provisoire des pouvoirs
publics. La loi constituante numéro 6 du 16 décembre 2011 donna corps au
contenu de cette Déclarations.
Nous évoquons l’affaire du mandat pour
souligner qu’elle fut le véritable critère de la légitimité de l’Assemblée. En
effet, un éventuel dépassement de ce délai constituerait immanquablement une source
d’attaque frontale contre la légitimité de l’assemblée et sa crédibilité, en
dépit du fait qu’elle représentait véritablement la volonté du peuple exprimée
par les premières élections libres de notre pays. C’est, hélas, ce qui se passa
dans la réalité. Les lenteurs des travaux de l’Assemblée nationale
constituante, en particulier le temps qu’elle consacra à l’élaboration d’un
règlement intérieur complexe qui ressemblait fort à celui d’un parlement plutôt
qu’à celui d’une assemblée constituante, éveilla rapidement les craintes.
Ainsi, dans la déclaration du 26 janvier 2012, l’ancien Premier ministre Caïd
Essebsi fit part de ses appréhensions, en soulignant la perte de temps
provoquée par la constitution du gouvernement, l’adoption de l’Organisation provisoire
des pouvoirs publics et du Règlement intérieur de l’Assemblée qui faisait de
cette dernière une assemblée plutôt parlementaire que constituante. Se référant
à la Déclaration du 15 septembre 2011, l’ancien Premier ministre fit part de sa
crainte de voir l’Assemblée constituante et le gouvernement épasser à la fois
leur compétence et leur mandat. Il réclama la réactivation de l’ISIE (Instance
supérieure indépendante pour les élections) et appela à une union des forces
politiques pour lutter contre la violence et le radicalisme et pour consolider
le processus consensuel. A partir de là, la date butoir du 23 octobre 2012
devint le critère principal d’évaluation de l’Assemblée constituante.
L’argument de certains partis signataires, selon lequel la déclaration du 15
septembre n’était qu’un accord politique et moral, sans caractère juridique, ne
fit que discréditer davantage la coalition majoritaire, dominée par le parti
Ennahdha et Caïd Essebsi ne se priva pas de l’utiliser. Les idées principales
de la déclaration du 26 janvier 2012 furent reprises dans « l’Appel de la
Tunisie », Nida tounes, du
20 avril 2012 qui fut à l’origine de la constitution du parti Nida tounes[46] en juin 2012.
B. Les sorties
de crise : de la légitimité électorale à la légitimité consensuelle ,
char’ia tawâfuqiyya.
A partir
d’octobre 2012, et dans le sillage du dépassement du délai fixé par la
Déclaration du 15 septembre 2011, le socle sur lequel reposait la légitimité
politique et juridique de l’Assemblée constituante fut par conséquent remis en
cause. Pour les protagonistes de cette
thèse[47], l’idée était fort
simple : en ne respectant pas la limite temporelle de son mandat,
l’Assemblée se mettait en quelque sorte elle-même hors la loi. La thèse du
constituant souverain exprimée par la la formule « l’assemblée maîtresse
d’elle-même », al majlissu saïdu nafsihi, avancée par certains
députés, fut mise en dérision et devint
objet de moqueries et de caricatures.
Le consensus. Tawâfuk.
Du coup,
l’Assemblée ne pouvait plus se prévaloir du principe majoritaire, fondement de
sa légitimité, et l’accord par consensus des acteurs, tawâfuq,
devint le seul mode de décision et de
gouvernement acceptable. Il s’agissait, essentiellement en vue d’éviter
l’exclusion, de renoncer aux procédures majoritaires de vote, au profit d’un
processus politique informel par tacite acceptation. L’idée du tawâfuq
est apparue après la Révolution dans l’article 4 du décret-loi numéro 6 du 18
février 2011 relatif à la Haute instance de la révolution. Puis, il a fait son chemin
au sein même de l’Assemblée nationale constituante, pour éviter la règle du
vote de la constitution à la majorité des deux tiers et un éventuel recours
très risqué au referendum pour adopter la Constitution. Par la suite, la
revendication de l’action politique par consensus est devenue le leitmotiv de
l’opposition et des partis non représentés à l’Assemblée. Après d’âpres
polémiques entre la troïka, coalition
majoritaire, et les partis de l’opposition, en particulier Nida Tounes,
le principe du consensus finit par l’emporter. Pour Nida Tounes, Il
n’était question ni de mettre en danger la continuité de l’État, ni même de
contester la légitimité de l’Assemblée, mais simplement de réaménager les modes
de prise de décision fondés sur la légitimité électorale et le principe
majoritaire pour les asseoir sur la légitimité consensuelle[48].
Le principe du consensus devint par la
suite le mode fondamental de prise de décision,
aussi bien à l’intérieur de l’Assemblée nationale constituante qui forma
pour cela une commission spéciale dénommée
« la Commission des consensus » lajnat attawâfuqât, que
pour les sorties de crise, dans le cadre des processus de « Dialogue
national ».
Le dialogue
national.
Le « Congrès du dialogue national »
qui fut initié par l’UGTT le 16 octobre 2012, connut en réalité plusieurs
étapes et diverses péripéties. Destiné à résoudre les crises et les tensions, par la participation des partis politiques et
des acteurs de la société civile, il se prolongea entre les partis représentés
à l’Assemblée constituante[49] le 15 avril 2013, sous l’égide du Président de la République,
puis le 16 mai 2013, de nouveau sur initiative de l’UGTT. Mais il prit une
ampleur particulière après la crise politique majeure de l’été 2013.
Les crises politiques graves vécues par le
pays en février et juillet 2013, suite aux assassinats de Chokri Belaïd, le 6
février 2013, et Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013, radicalisèrent les
positions exclusivement consensualistes et Béji Caïd Essebsi alla jusqu’à
demander la dissolution de l’Assemblée constituante, dès le 6 février 2012[50].
Dans
l’après-midi de la journée au cours de laquelle fut assassiné le leader
nationaliste arabe nassérien, membre du parti du Front populaire, Mohamed Brahmi, Hamma Hamami, porte-parole et leader du Front
populaire appela toutes les régions du pays à la désobéissance civile, jusqu’à la chute définitive du régime dominée
par le parti Ennahdha, avec toutes ses
composantes : Assemblée, Présidence de la République et Gouvernement. Le même jour, le « front du salut
national» fut créé[51]. Des manifestations sans
précédent eurent lieu les 6, 13 et 27
août et tout l’été fut émaillé de troubles et de manifestations.
Cette crise profonde déstabilisa les institutions de l’État. Le 26
juillet 2013, 42 députés de l’Assemblée constituante annoncèrent leur retrait
de l’Assemblée, l’organisation d’un sit-in ouvert, allèrent jusqu’à revendiquer
la dissolution de l’Assemblée. Le chef de l’Etat condamna la prise du pouvoir
par l’armée en Egypte qui avait eu, en parallèle avec le mouvement
« Révolte », tammarrud un impact certain sur la dévalorisation des
islamistes en Tunisie. Les moqueries et propos insultants à l’égard des trois
présidents fusèrent dans les rangs des
manifestants d’août 2013. Le Chef du gouvernement se crispa dans une
position défensive maladroite et perdit
toute initiative. Le Président de l’Assemblée nationale constituante décida de
suspendre les travaux de l’Assemblée, le 6 août 2013 et les travaux de cette
dernière furent ainsi paralysés pendant plus d’un mois, ce qui constitua une
sorte d’électrochoc.
Devant l’ampleur de la crise de
légitimité des partis composant la troïka et de l’Assemblée, du Gouvernement et
du Président de la République, tous tenus pour directement responsables du
climat de violence et des assassinats, l’UGTT adopta le 29 juillet 2013 une
déclaration dans laquelle elle dénonça l’échec patent de la troïka dans la
gestion de la question sécuritaire, le dépassement du mandat, l’échec de
l’Assemblée constituante et la perte de son crédit, le recours excessif au
principe majoritaire, à la place du consensus, la logique partisane dans la
conduite des travaux de l’Assemblée constituante, l’emprise du parti
majoritaire sur les institutions et l’administration de l’État, le silence du
gouvernement devant l’apparition et le développement des organisations et
groupements terroristes, la crise sociale et économique, Dans la même déclaration, elle demanda la
démission du gouvernement et la constitution d’un gouvernement « de compétences
», kafâ’ât, la dissolution des « ligues de protection de la Révolution », la
neutralisation de l’administration, des institutions éducatives, universitaires et culturelles et les lieux de
culte, la révision de l’ensemble des nominations, la constitution d’une
commission d’enquête sur les assassinats et la violence, l’adoption d’une loi
sur la lutte contre le terrorisme, la constitution d’un comité d’experts pour
revoir, dans les 15 jours, la dernière version de la Constitution, en vue de
l’épurer des dispositions qui portent atteint au caractère civil de l’État et
au caractère républicain et démocratique du régime, la préparation du projet de
loi électorale. L’UGTT demanda également
l’adoption, dans les 15 jours à compter de la soumission du projet de
constitution établi par le comité d’experts, d’une loi constitutionnelle, en
vue de limiter les attributions de l’Assemblée au vote du projet de constitution
adopté par le comité d’experts, l’adoption de la loi
électorale et enfin la mise sur pied de l’instance électorale indépendante. A
défaut, l’Assemblée serait réputée avoir achevé ses travaux. Le style et les
revendications de cette déclarations constituent un témoignage essentiel de la
gravité de la crise qu’a vécue la Tunisie au cours de l’été 2013.
La feuille de
route.
Par la suite,
en septembre 2013, fut lancé le « Congrès national pour le dialogue». Ce
dernier fut placé sous l’égide du « quartet » composé de l’UGTT, de
la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme, de l’Ordre national
des avocats et de l’Union tunisienne de l’industrie, du Commerce et de
l’artisanat. Le 17 septembre 2013 le quartet rendit publique son initiative. Il y insista sur «
la méthode du processus consensuel » en vue de préparer des élections et
proposa une feuille de route qui deviendra le programme de sortie de crise.
Cette feuille de route comportait les éléments essentiels suivants :
-
La constitution
d’un gouvernement « de compétences » présidé par une personnalité nationale
indépendante et dont les membres s’engageraient à ne pas se présenter aux
futures élections. Ce gouvernement, couramment appelé de « technocrates »,
viendrait remplacer le gouvernement actuel qui s’engagerait à présenter sa
démission. Aucune motion de censure ne peut être adoptée contre le nouveau
gouvernement que sur initiative de la majorité absolue et suite à un vote des
deux tiers des membres de l’Assemblée[52].
-
La poursuite
des réunions de l’Assemblée nationale constituante, la détermination de ses
attributions et la fin de ses travaux.
-
L’engagement de négociations en vue de choisir
la personnalité nationale indépendante qui sera chargée de la constitution du
gouvernement.
-
L’accord sur
une feuille de route relative à l’achèvement du processus transitoire et la
fixation d’un calendrier pour les élections présidentielles et législatives.
L’ensemble fera l’objet d’une loi adoptée par l’Assemblée nationale
constituante au cours d’une séance spéciale qui modifiera et complétera
l’Organisation provisoire des pouvoirs publics.
-
L’Assemblée disposera d’un délai de quatre semaines maximum pour
achever la constitution de l’instance supérieure indépendante pour les
élections et la nomination de ses membres, l’adoption de la loi électorale, la
fixation de la date des élections, l’adoption de la constitution avec
l’assistance d’un comité d’experts.
La feuille de route fut, après de nombreuses difficultés et tergiversations,
signée par 21 partis politiques dont deux partis de la coalition majoritaire
sur les trois. En signant la feuille de route le parti Ennahdha acceptait la démission du Gouvernement et la
constitution d’un gouvernement non partisan.
L’apogée de la crise fut atteinte lorsque 42 députés de l’Assemblée
constituante annoncèrent le 26 juillet 2011 leur retrait des travaux de
l’Assemblée, l’organisation d’un sit-in ouvert sur la place du Bardo, face au
siège de l’Assemblée nationale constituante, et allèrent même jusqu’à demander
la dissolution de l’Assemblée. Leur
nombre augmenta pour approcher la soixantaine.
Les erreurs politiques parfois grossières de la coalition majoritaire,
en particulier le parti islamiste, les tentatives avortées d’islamisation de
l’État et de la société dès les premières réunions de l’Assemblée nationale
constituante, la politique extrêmement ambiguë du gouvernement et du parti
islamiste à l’égard des tendances radicales salafistes takfiristes et jihadistes[53] et face à la montée de la violence politique et
des assassinats dont la troïka fut tenue pour responsable, les nominations
fondées sur l’allégeance partisane au sein de l’administration publique,
créèrent une bipolarisation de la vie politique en unissant les forces de la
gauche anciennement communiste, les nationalistes arabes, les
sociaux-démocrates, les laïcistes, les démocrates de tous bords, contre la
troïka qui, par simplification, devenait ainsi l’expression de l’islamisme
politique.
La bipolarisation entre démocrates et « théocrates ».
Encore par ce type de simplification dont l’opinion est friande, la
bipolarisation aboutit à une division entre théocrates et démocrates[54]. Cette bipolarisation allait devenir le noyau
autour duquel se cristallisera la vie politique en Tunisie, jusqu’aux élections
législatives et présidentielles de la fin de l’année 2014. Ces dernières les
révèleront au grand jour aussi bien lors de la campagne électorale que par les
résultats du scrutiin.
Cette bipolarisation de la vie politique pour ne pas aggraver la
violence générée par la période post révolutionnaire, violence qui aurait
pu aboutir au chaos, explique le recours
aux procédures informelles que nous avons passées en revue : Déclaration
sur le processus transitoire du 15 septembre 2011, organisation du Dialogue
national, feuille de route élaborée par le quartet, institutions de la
Commission des consensus au sein de l’Assemblée nationale constituante. Dans
tous ces cas, la force de la loi persiste, puisque le dernier mot lui revient
et que le retour aux procédures juridiques froides et procédurales s’impose en
fin de parcours. Mais les procédures chaudes de contacts, de débats et de
négociations sont mieux à même de résoudre les crises et d’aller de l’avant.
Ces processus informels ont réussi non seulement à apaiser les tensions, mais
au surplus, à débloquer et accélérer le processus constituant et permettre
l’alternance au pouvoir.
C.
La constitution et les choix fondamentaux de régime
et de société.
Bien plus que par son caractère technique et ses
options autour du régime politique, de
la responsabilité des gouvernants, des procédures de contrôle et de mise en jeu
de la responsabilité, le débat constitutionnel s’est essentiellement articulé
autour des choix fondamentaux de société et notamment des rapports entre la Constitution
et la religion.
Dans ce cadre, la présence du droit se révèle non
seulement par le fait qu’il exprime les choix clairs et consensuels de société,
en l’occurrence l’équilibre des pouvoirs ainsi que la protection des libertés
et des droits découlant du message de la Révolution, mais également les
contradictions de ses choix, découlant des divisions éthiques, intellectuelles
et idéologiques de la société elle-même.
1. Les lignes de continuité.
-Le régime politique, les droits et libertés de la
Révolution à la Constitution.
« Rompre avec le régime présidentiel dans sa
version dévoyée, le régime présidentialiste, consacré par la Constitution de
1959 et aggravé par les multiples révisions de cette dernière»[55], tel fut bien en effet l’objectif du constituant
qui institua dans la Constitution du 27 janvier 2014, un régime certes
complexe, mais caractérisé par une quasi impossibilité d’abuser du pouvoir. Le
régime politique institué par la Constitution de 2014, ne correspond ni au
modèle du régime parlementaire, ni à celui du régime présidentiel, ni au régime
d’assemblée. Il n’est rien de tout cela, mai tout cela à la fois. Notre propos
ne consiste pas à décrire les mécanismes de ce régime politique très
particulier, mais simplement affirmer que le constituant tunisien a été
constamment animé par le désir d’éviter un retour à la dictature, ce qui
correspond bien à un objectif essentiel de la Révolution. Ce souci se manifeste
en particulier par une division du pouvoir au sein même du pouvoir exécutif,
par des mécanismes de garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire, par des
procédures complexes de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale et
présidentielle, par des mécanismes de contre-pouvoir substantiels ou
d’autoprotection accordés au Président de la République et au gouvernement dans
leurs relations avec le Parlement et enfin par la mise sur pied d’un mécanisme
de contrôle de la constitutionnalité des lois. Nous pouvons affirmer que le
constituant tunisien est allé fort loin dans l’application du précepte de
Montesquieu : «Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par
la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Il est à craindre
que, en allant trop loin dans ce sens,
le constituant risque d’ouvrir la voie à de futures crises politiques ou à des
blocages des rouages principaux de l’État. Le pouvoir ne doit pas excessivement
arrêter le pouvoir.
Bien que caractérisée par quelques références
identitaires, la Constitution a su tirer les leçons de la Révolution en
accordant une place centrale à la question des droits de l’Homme et des
libertés[56]. En effet, cette constitution, adhérant globalement aux principes des Pactes,
consacre l’ensemble des droits et libertés fondamentaux conformément aux
standards internationaux[57]. Dans ce domaine, en même temps qu’il consolidait
les acquis en matière de droits de l’homme en en faisant une matière
non susceptible de révision constitutionnelle, le constituant a pris soin de limiter les pouvoirs du
législateur lui-même avec l’article 49 de la Constitution, directement inspiré
des dispositions du Pacte international sur les droits civils et politiques[58]. La « Commission des consensus » a joué
un rôle important sur cette question.
Ainsi, sur les deux plans de l’équilibre des
pouvoirs et de la consécration des droits et libertés, la Constitution
s’inscrit dans une parfaite ligne de continuité avec la Révolution. En
revanche, sur d’autres lieux, plutôt que d’exprimer des options claires, la
Constitution révèle les antagonismes et contradictions.
-
L'égalité
homme femme.
La
longue tradition réformiste en Tunisie a fini par enfanter une réforme
fondamentale du droit de la famille s’inscrivant dans un programme de
désislamisation des institutions et des mœurs. Bourguiba, alors Premier
ministre, a fait promulguer par le Bey
le « Code de statut personnel », le 13 août 1956. Ce code abolit et sanctionne
la polygamie, consacre la liberté du consentement au mariage, institue le divorce
judiciaire, interdit le divorce unilatéral du mari, élève l'âge minimum du
mariage, réforme le droit de l'héritage. Une loi intervenue par la suite
institue en Tunisie le régime de l'adoption des enfants, qui d'après
l'interprétation historique des fuqaha, est un régime interdit par le Coran.
La
prise du pouvoir par le parti Ennahdha a aussitôt déclenché des débats
passionnés autour de la famille, des droits de la femme et des questions de la
polygamie, de l'adoption et des mères célibataires. Le parti islamiste, s’est
toujours targué d'être partisan des droits de la femme. C’est ainsi qu’il a
soutenu le principe de la parité hommes femmes adopté par la Haute instance de
la Révolution, lors du vote du projet de décret loi sur les élections de
l’Assemblée nationale constituante.
Cependant,
dans le projet de brouillon de Constitution d’août, un article 28 du chapitre 2
sur les droits et libertés a provoqué un vaste mouvement de protestation. Cet
article est ainsi rédigé : « l'État garantit la protection des droits de
la femme et la consolidation de ses acquis en considérant qu'elle constitue un
partenaire authentique, avec l'homme, dans la construction de la patrie et par
leurs rôles complémentaires à l'intérieur de la famille ». Ni l’idée de
partenariat, ni l’idée de complémentarité ne pouvaient avoir la faveur des
associations de femmes ou des partis de gauche. Ce texte déclencha des réactions hostiles et des
manifestations importantes le 13 août 2012, à l'occasion de la « journée de la
femme ». Après de multiples tractations, et de retouche en retouche, notamment
au sein de la « Commission des consensus », le texte fut métamorphosé
pour devenir l’article 46 de la Constitution :
« Article
46 :
L’Etat
s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille à les consolider et les promouvoir.
L’Etat
garantit l’égalité des chances entre l’homme et la femme pour l’accès aux diverses responsabilités et
dans tous les domaines.
L’Etat
s’emploie à consacrer la parité entre la
femme et l’homme dans les assemblées élues.
L’Etat
prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre la femme. »
Comme
pour marquer cette continuité au sujet
des acquis de la femme depuis l’indépendance, l’article 34 accentua le principe
de représentativité en matière
d’élection.
« Article
34 :
Les
droits d’élire, de voter et de se porter candidat sont garantis, conformément à
ce qui est prévu par la loi.
L’Etat
veille à garantir la représentativité de la femme dans les assemblées élues. »
L’option est donc sans aucune
ambigüité, mais elle a abouti après des
heurts entre des tendances adverses. Ici,
les moutons sont apaisés, mais le loup demeure caché dans la bergerie.
Sait-on ?
2. Les lignes de fracture.
- Etat civil, dawla madaniyya contre Etat religieux, dawlah dîniyya
La prise du pouvoir par le parti islamiste
majoritaire s’est caractérisée par une extrême imprudence qu’on pourrait
expliquer par leur inexpérience du pouvoir. Sans doute grisé par leur succès
électoral, les nouveaux gouvernants ont à la fois surestimé leur force réelle
et leur enracinement social, mais surtout sous-estimé, dans cette société
tunisienne pourtant majoritairement croyante, les tendances profondes et les
traditions sécularisées des élites intellectuelles académiques et artistiques,
de l’administration, du milieu particulier des juristes universitaires ou
praticiens qui ne se sont pas privés de juguler les tentatives d’islamisation
politique et de les faire échouer, des étudiants de la gauche, majoritaires à
l’université, des mouvements féministes, des forces syndicales principales, de
la classe des entrepreneurs et hommes d’affaires, mais également d’une large
frange des croyants refusant que la religion soit exploitée à des fins
politiques ou que la politique se mette au service de programmes d’islamisation
de la société et de l’État.
Dès les premières réunions de l’Assemblée nationale
constituante, certaines prises de position des députés ou des membres du parti,
ont contribué à liguer l’ensemble des forces hostiles à l’islamisme politique
en un front uni contre l’éventualité d’une dictature théocratique. Cet élément
fondamental explique tout le processus qui va suivre les élections du 23
octobre 2011.
Certains députés ont réclamé, au sein de la
« Commission du préambule et des principes généraux », que le
préambule de la Constitution indique que la charia soit la source principale du
droit. Le 23 janvier 2012, le député Sadok Chourou, militant, grand prisonnier
politique, ancien président d’Ennahdha, devant la montée des mouvements
protestataires violents, installant des barrages sur les axes routiers ou les
chemins de fer ou incendiant les équipements de service public, avait affirmé
avec un simplisme déconcertant que ces forces de « l’abjuration »
étaient justiciables du verset 33 de la sourate de la Table prévoyant pour eux
une panoplie de peines corporelles parmi les plus cruelles, telles que le
massacre, la crucifixion, ou l’amputation des mains et des jambes en diagonale
ou le bannissement.
Vers
les mois de février et mars 2012, un projet de constitution du parti Ennahdha,
a commencé à circuler. Il comportait un article 10 disposant « La charia
islamique est une source principale (parmi les sources) de la
législation ». Ce projet prévoyait également une disposition créant un « Haut conseil chara’ique » « majliss
a’lâ lli ‘iftâ’ » chargé de contrôler la conformité des lois aux
normes de la charia. Tout cela était accompagné d’événements comme l’affaire de
l’atteinte au drapeau tunisien à l’université de la Manouba, le 7 mars 2012, ou
d’informations sur la création d’écoles
coraniques ou de crèches islamiques et de polémiques sur la polygamie,
l’adoption et les droits de la femme. Des manifestations pour défendre la chariaa eurent lieu[59] aux cris de « le
peuple veut l’application de la chariaa », « Ni loi, ni
constitution, l’islam est la solution
» « Le peuple veut de nouveau
le Khalifa » « achaab yourid Khilafa min jadid ». La
Tunisie est musulmane non non à la laicité », « Tounis tounis
islamiyya la la lil ‘ilmaniyya ». En réaction à ce que les démocrates
considèrent comme des menaces contre le caractère civil de l’Etat, la démocratie et les droits de l’homme, une
manifestation bien plus importante de
plusieurs milliers de personnes eut lieu à Tunis contre toutes ces
expressions de l’islamisme politique. La
foule scandait : « Non à la chariaa », « La Tunisie est un Etat
de droit non de fatwas », « La Tunisie n’est pas l’Afghanistan »
ou encore « Le peuple veut un Etat civil », « achaab yourid
dawlah madaniyya ». Devant
l’ampleur de la réaction, Le 25 mars 2012, après une réunion de la direction de
son parti, Rached Ghannouchi annonça le retrait du projet relatif à la charia
en précisant que l'article premier de
l'ancienne Constitution de 1959 était suffisant pour affirmer la présence de
l'islam dans la Constitution[60]. Le consensus se fit
autour de cet article premier et la querelle autour de la charia sembla
terminée. Bien plus, un article 2 soulignant le caractère civil de l’État fut
ajouté à la Constitution. Cet article n’était pas inclus dans le projet de brouillon d’août 2013, mais fut
ajouté par la suite au niveau de la « Commission du Préambule et des
principes généraux » et inclus dans la projet du 1er juin 2013.
« Article
2 :
La
Tunisie est un Etat civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la
primauté du droit.
Le
présent article ne peut faire l’objet de révision. »
Il est évident,
que la confrontation des articles premier et 2 de la Constitution poseront des
problèmes complexes d’interprétation. Les partisans de la religion politique
interpréteront les dispositions de l’article premier, comme signifiant que
l’islam est la religion de l’État. D’autres, considèreront que cet article premier prenant tout simplement
acte de la religion majoritaire de la Tunisie est descriptif et non prescriptif
et que, en tout état de cause, l’article 2 tranche l’interprétation en faveur
du caractère civil de l’Etat. Quoi qu’il en soit, la présence de ces deux
articles révèle un conflit de normes
prenant ses racines dans le fonds social lui-même.
Le
respect du sacré : « Hurmat al Muqaddassat » et les
tentatives de criminalisation de l’atteinte
au sacré.
au sacré.
Vers la mi-juin 2011, un film réalisé par Nadia Fanny, intitulé : «
Ni Allah ni maître » fut projeté à Tunis. En octobre 2011, la chaine de
télévision Nessma diffusa un dessin animé « Persépolis », réalisée par Marjane
Saprati. A la mi-juin 2012 fut organisée l'exposition antistatique du
palais « ‘ibdiliyya ». Toutes ces activités culturelles
considérées comme blasphématoires par les islamistes provoquèrent troubles et
manifestations. Les agressions physiques contre des intellectuels, des
artistes, des universitaires, se multiplièrent pour « atteinte aux choses
sacrées » « ‘i’tida ’ala al muqaddassat ». Après l’affaire de la ‘ibdiliyya, un projet de loi fut déposé le 1er
août 2012 auprès de l'Assemblée constituante par le parti Ennahdha, en vue de criminaliser l’atteinte au sacré[61].
Le projet de brouillon de la Constitution d’août 2012 reprend la
question dans l'article 4 du chapitre Ier consacré aux « Principes généraux ».
Cet article dispose : « L'État protège la religion, garantit la liberté de
croyance et l'exercice des cultes religieux. Il protège les choses sacrées muqaddassat
et garantit la neutralité des
lieux de culte contre la propagande partisane ». Un autre article existe dans le chapitre 2 sur les « Droits et libertés
» : « l'État garantit la liberté de croyance ainsi que l'exercice des
cultes religieux et punit toute atteinte aux valeurs sacrées de la religion ».
Ces articles déclenchèrent des réactions fermes dénonçant le gouvernement
théocratique et la fin de la liberté
d’expression et appelant à inscrire la liberté de conscience dans la Constitution[62]. Certaines ONG
internationales comme Human Rights watch firent parvenir leurs craintes à l’ANC[63].
La religion de l’Etat.
Cette question s’est posée à l’occasion des dispositions non
révisables de la Constitution. Le projet de brouillon de la Constitution d’août
2012 contenait au titre des dispositions finales (chapitre 9) un projet
d’article d’après lequel :
« Aucune
révision constitutionnelle ne peut porter atteinte :
-
à l’islam en
tant que religion de l’Etat
-
à la langue
arabe en tant que religion officielle
-
au caractère
républicain du régime
-
au caractère
civil de l’Etat
-
aux acquis des
droits de l’homme et de ses libertés consacrés par la présente Constitution
-
au nombre et à
la durée des mandats présidentiels par augmentation »
Cette proposition,
reprise dans le projet de décembre 2012, deviendra l’article 141 du chapitre 8 du
projet du 1er juin 2013.
Dans le rapport du 24 juin 2013 sur le projet du 1er
juin élaboré par un comité d’experts saisi par le Président de la République le
10 juin 2013, les problèmes et soucis
découlant de l’article 141 ont été soulevés[64]. Ce rapport a mis en lumière deux contradictions de cet article. La première,
entre l’article 141 et l’article 2 relatif au caractère civil de l’État. La
deuxième est une contradiction interne de l’article 141 lui-même qui consacre à
la fois l’islam comme religion d’État et le caractère civil de l’État. Le
danger de cette disposition est que le concept de « religion d’État », peut
être compris dans un sens conservateur qui serait de nature à ouvrir la voie à
une interprétation fondamentaliste et théocratique contraire au caractère civil
et démocratique de l’État proclamé par la Révolution. Partant, le législateur
pourrait adopter des règles empruntées à la charia islamique, telle que
comprise par les tendances wahabites ou les doctrines fondamentalistes qui
refusent la modernisation de l’islam et sa conciliation avec les doctrines
constitutionnelles démocratiques. Sur la base de ce concept de « religion d’État
», poursuit le rapport, il serait possible à une majorité appartenant à cette
tendance d’abroger par exemple le code du statut personnel qui constitue la
constitution véritable du peuple tunisien ou d’instituer la peine de mort pour
apostasie ou d’imposer les peines coraniques de lapidation, crucifixion, flagellation ou amputation, comme l’a proposé
un honorable député à l’Assemblée
nationale constituante. Autrement dit,
c’était une manière déguisée de réintroduire le principe de la charia,
source de la législation. Le rapport ajoute que, toujours sur la base de cette
théorie de la religion d’État, il serait également possible de revenir au
régime du système juridique confessionnel qui abolirait l’unité du système
juridique tunisien et porterait atteinte au principe de la citoyenneté. Le rapport propose de remplacer le premier
tiret de l’article 141 de la manière
suivante :
« Aucune révision constitutionnelle
ne peut porter atteinte :
- à l’article
premier et à l’article 2 de la Constitution ».
Encore une fois,
d’interminables débats et polémiques s’engagèrent autour de l’article 141, au
niveau de la presse, des médias et au sein de l’Assemblée nationale
constituante et même des ONG internationales, comme le Centre Carter[65].
Commentant la substance de cet article Abdelwahab Meddeb écrivait qu’il procèdait
« …d'un glissement
de sens qui transforme le descriptif en prescriptif. Par cette précision, la
référence à l'islam dans l'article premier ne peut plus être lue
comme un constat à propos d'une société dont la majorité des membres professe
l'islam. S'il dispose d'une identité religieuse déterminée, exclusive, comment
l'Etat peut-il être "civil,
fondé sur la citoyenneté, la volonté populaire, la transcendance du droit",
comme l'affirme l'article 2 ? Comment peut-il être "protecteur
de la religion, chargé de la liberté de croyance, de la pratique des cultes… ? »[66].
Devant
la montée des critiques, en même temps que le projet du 1er juin
2013 était discuté, l’article 141 changeait de numérotation, pour enfin
disparaître du texte de la Constitution. Le rôle joué par la « Commission
des consensus »fut déterminant pour aboutir au résultat final. La Tunisie
devient ainsi le seul pays arabe à ne pas proclamer que l’islam est la religion
de l’Etat.
« La liberté absente » et les tribulations de l’article 6
de la Constitution.
L’article 4
déjà évoqué contenait une lacune importante
dans la mesure où il ne faisait référence ni à la liberté de pensée, ni
à la liberté de conscience. Ces deux libertés constituent en vérité la colonne
vertébrale d’un régime démocratique. Dans ce genre de régime que la Révolution
a choisi et réclamé, la liberté de pensée veut dire l’acceptation des idées
différentes de celles qui sont admises et reconnues, et sur lesquelles il existe un accord
général. La liberté de pensée est celle
de pouvoir rompre avec la pensée courante. Dans cet esprit, la liberté de
pensée protège l’individu, les minorités et les personnes dissidentes, contre la pression des idées sociales
dominantes. Sans cela, nous vidons
totalement le terme démocratie de son contenu; bien plus, nous
aurons privé la Révolution de son apport historique, car cette révolution
nous a libérés de la philosophie ancestrale des « gens du droit chemin
prophétique et de la communauté du peuple des croyants » ahl asunnah
wal jama’a et nous a projetés dans le climat de la philosophie
moderne qui permet à l’individu de
décider de son destin et de se libérer des idées admises et préconçues.
Dans le même
ordre d’idées, une autre question se pose : celle de « la liberté de
conscience », qui garantit la
liberté philosophique et métaphysique. Plus profonde que la liberté de pensée,
elle touche la croyance religieuse et les convictions philosophiques. Elle implique en particulier la possibilité,
selon sa conscience, de choisir une religion, de changer ou de modifier sa
religion ou de ne pas avoir de religion. Dans cette perspective, ce qui était
considéré dans le passé comme crime d’apostasie, irtidâd, d’innovation blâmable, bid’a, de mécréance,
zandaqa, de dissidence, khourouj, deviennent les expressions de
la créativité et de la
puissance des potentialités intellectuelles de l’homme.
Ce refus de la
liberté de conscience dans le projet de brouillon Constitutionnel, va dans le
même sens que le refus de l’ANC d’évoquer
l’universalité des droits et libertés et de faire référence à la
Déclaration universelle des droits de l’Homme qui reconnait clairement, dans ses
deux articles 18 et 19, la liberté de
conscience et celle de refuser la religion de son milieu social et familial[67]. Abdewaheb Meddeb,
dénonçant la perversité des dispositions relatives à l’Islam, écrivait sur cet
article relatif à la liberté de religion « …On comprend pourquoi cet
article évoque "la liberté de croyance"
: il le fait pour éluder la liberté de conscience, telle qu'elle est définie dans l'article
18 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme votée à l'ONU en 1948.
Cet article implique la liberté d'embrasser n'importe quelle religion, de changer de religion, de sortir d'une religion et d'entrer dans une autre, et même de n'en avoir pas….Bref, face à ce refus manifeste de la liberté de conscience,
le législateur se réserve le droit de recourir au commandement de la charia qui condamne l'apostat à la peine
capitale. Cette ambiguïté est destinée à ouvrir la voie à la charia dans un texte qui ne la mentionne point. En
vérité, nous retrouvons dans ce texte la stratégie à laquelle nous a habitués
le parti islamiste Ennahda. Face aux protestations démocratiques, il fait
semblant de reculer sans finalement rien céder. Ce qu'une main rature, une autre main le récrit sous une autre
forme, travestie, déguisée. C'est ainsi que les islamistes jouent la tactique
démocratique pour parvenir à instaurer l'Etat théocratique »[68].
Devant la
montée des critiques et des contestations[69], cet article fut revu au
cours du dialogue national de Dar adhiafa à Carthage tenu à partir du 15 avril 2013
entre les partis représentés à l’Assemblée nationale constituante[70], sur initiative du
Président de la République, pour devenir, avec l’inclusion de la liberté de
conscience, l’article 6 du projet de constitution du 1er juin 2013.
Lors du débat
et du vote final de la Constitution un incident survenu le 5 janvier 2014 entre
un député de l'extrême gauche, Monji
Rahoui
et un député islamiste ultraconservateur, Habib
Ellouze, qui avait accusé
son adversaire d’être
un ennemi de l'islam, fut à
l'origine de la condamnation du takfîr (accusation
d’apostasie) dans l'article 6 de la constitution. Le takfir qui consiste à accuser une personne musulmane de
renier l’islam constitue en réalité un appel au meurtre, puisque l’islam, tel
qu’il est interprété par la majorité des légistes musulmans, au cours de
l’histoire, sanctionne par la mort le renégat, murtadd. L’incident
provoqua l’ire d’un bon nombre de députés qui exigèrent l’insertion dans
l’article 6 d’une condamnation du takfir. En fin de parcours, et après
révision, l’article 6 fut adopté dans une version « fin de combat » qui en fit un
véritable pot-pourri constitutionnel consacrant la chose et son contraire:
«
L’État
protège la religion, garantit la liberté
de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes. Il assure la neutralité
des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation partisane.
L’Etat
s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, protéger le sacré et empêcher d’y porter
atteinte. Il s’engage également à prohiber et empêcher les accusations
d’apostasie (takfîr), ainsi que l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler. »
Il est clair que dans cet article, il y a du pain pour toutes les
planches.
-Les questions relatives à l’identité et
à « l’ouverture ».
L’opinion publique ayant peu le souci des nuances, son tissu étant
formé de simplifications, de couleurs fortes et de contrastes, les islamistes
au pouvoir, cela devait forcément provoquer une division binaire de points de
vue s’exprimant par des équations simples de qualification : théocrates
contre démocrates, culturalistes contre modernistes, religieux fondamentalistes
contre laïcistes etc. Avant les élections d’octobre 2011, et même avant la
Révolution, la direction du parti Ennahdha avait bien affirmé son adhésion aux
axes fondamentaux de la modernité politique et en particulier aux droits de la
femme, au pluralisme politique à l’alternance, au principe des élections libres
sincères et transparentes, à la souveraineté du peuple, à la suprématie de la
Constitution et de la loi etc. Cette adaptation aux temps modernes ne convainc
cependant pas toutes les franges de l’opinion publique, pour plusieurs raisons.
La première, c’est que les positions officielles du parti ne manquent pas
d’ambiguïtés et mélangent clarté et pénombre.
La deuxième, c’est qu’il existe un double décalage entre les positions de
la direction et celle des militants de
base et ensuite, globalement, au sein de l’ensemble du parti, entre
l’aile conservatrice et l’aile progressiste du parti. La troisième raison, me
semble-t-il la plus importante, c’est que, quoi qu’il fasse, le parti islamiste
est jugé à travers ses fondamentaux considérés comme des invariables à forte
portée politique et sociale. Le fait qu’il adhère universellement au principe
d’une cité terrestre soumise à la loi morale, politique et juridique immuable
de Dieu, à la conquête de l’esprit du
monde par la religion vraie, par la
parole ou la violence, à la défense de
la communauté et de l’État de l’islam, à l’unité intrinsèque de la société de
l’État et de la religion, tout cela explique la défiance permanente d’une large
partie de l’opinion vis-à-vis des thèses islamistes modernistes. Ces dernières
sont toujours considérées comme expression du double langage et de
l’hypocrisie, destinées exclusivement à anesthésier l’opinion, se mettre en
position d’attente, avec la seule perspective d’aboutir à une emprise graduelle
sur la société et sur l’État en vue de
leur islamisation totale. L’expérience
du gouvernement de la troïka, sa gestion désastreuse du phénomène terroriste,
n’a fait que consolider ce sentiment de défiance et explique la majorité
confortable obtenue par le parti Nida tounes aux élections
législatives, puis aux présidentielles
d’octobre et novembre 2014. Cela explique également que tous les détails de
rédaction du texte constitutionnel, de si près ou si loin qu’ils touchent aux
questions se rapportant à la religion ou à l’identité, furent regardés à la
loupe, de crainte qu’ils ne puissent véhiculer les intentions théocratiques du
parti majoritaire. Certaines formules
ont subi, de main ferme, un polissage
destiné à les rendre démocratiquement acceptables. Ainsi, le 3ème
paragraphe du préambule du projet de brouillon du 10 août 2012, qui a utilisé la formule: « Sur le
fondement des pérennités de l’islam et de ses
finalités caractérisées par l’ouverture et le juste milieu… », « Ta’sîsan
‘alâ thawâbit al islâm wa maqâsidihi al muttassima bi tafattuhi wal
i’tidâl» a provoqué des contestations relatives à l’obscurité de
l’expression « pérennités de
l’islam». Cela a eu pour effet de transformer la rédaction de ce paragraphe
dans le projet du 1er juin, comme suit : « Sur le fondement
des enseignements de l’islam et de ses finalités caractérisées par l’ouverture
et le juste milieu… » Ta’sîsan ‘alâ ta’âlîm al islam… ». Mais,
comme l’a fait observer le rapport précité du comité d’experts du 24 juin2014,
cette rédaction semble donner aux enseignements de l’islam une valeur
supraconstitutionnelle, ce qui contredit le principe d’après lequel la
Constitution est le fondement premier et
exclusif du système juridique. Prenant en compte ces considérations, et après
l’examen par la « Commission des conciliations », la rédaction
suivante a été retenue : « Exprimant l’attachement de notre peuple
aux enseignements de l’islam et à ses
finalités caractérisées par l’ouverture et le juste milieu… ».
La dernière bataille
fut livrée à propos de l’article 38 du projet de Constitution sur le droit à l’instruction qui deviendra
l’article 39 dans le texte final. Notons tout d’abord que, dans le projet du 14
décembre 2012, un article 29 consacrait ce droit en termes parfaitement
neutres :
« L’État
garantit à tous le droit à un enseignement
gratuit dans tous ces cycles.
L’enseignement
est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans au moins. »
Dans le projet
de Constitution du 1er juin
2013, cet article 29 devenant l’article 38, prit une coloration quelque peu
culturaliste :
«
L'instruction est obligatoire, jusqu'à l'âge de seize ans.
L’État garantit le droit à l’enseignement public et gratuit à tous
ses niveaux. Il veille à mettre les moyens nécessaires au service d’une
éducation, d’un enseignement et d’une formation de qualité, ainsi que la
consolidation et le soutien de la langue arabe »
Le 7 janvier 2014, au moment de la discussion et du vote de cet
article 38 par l’assemblée plénière, un amendement fut proposé en dernière
minute par un député appartenant au Front démocratique pour le travail et les
libertés, FDTL, ancien ministre de l’éducation :
« … L’Etat veille également à l’enracinement des jeunes générations dans leur identité
arabe et islamique. Il veille à la consolidation de la langue arabe, sa
promotion et sa généralisation. »
Le
plus étonnant, c’est que l’article tel qu’amendé fut voté le 7 janvier par 141
voix pour, 9 contre et 4 abstentions. Devant les critiques médiatiques[72] et manifestations
publiques contre cet article, certains députés, notamment du FDTL, prirent
conscience de la gravité de leur vote et demandèrent la révision de cet article
en imputant l’amendement du 7 janvier à une initiative personnelle du député
Abdelatif Abid. L’article fut révisé, conformément à l’article 93 du Règlement
intérieur de l’Assemblée et un nouvel amendement consensuel fut proposé au
cours de la séance du 23 janvier 2014, 3 jours avant la promulgation de la
Constitution.
Sans revenir sur le premier amendement, devenu politiquement inébranlable, les
députés rééquilibrèrent le culturalisme de l’article 38 par un nouvel
amendement qui y introduisit l’allégeance nationale, l’ouverture sur les
langues étrangères, les civilisations et la culture des droits de l’Homme. Le
nouvel article fut voté par 165 voix pour, 2 contre et 11 abstentions en ces
termes :
« L’instruction
est obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans.
L’État garantit
le droit à l’enseignement public et gratuit à tous ses niveaux. Il veille à
mettre les moyens nécessaires au service d’une éducation, d’un enseignement et
d’une formation de qualité. L’Etat veille également à l’enracinement des jeunes générations dans leur identité
arabe et islamique et leur appartenance nationale. Il veille à la consolidation
de la langue arabe, sa promotion et sa généralisation. Il encourage l’ouverture
sur les langues étrangères et les civilisations. Il veille à la diffusion de la
culture des droits de l’Homme.
Ainsi rédigé,
l’article 38 rejoignait, en partie, la composante principale de l’article 41
(qui deviendra 42dans le texte final) sur le droit à la culture :
« La
liberté de création est garantie. L’État encourage la créativité culturelle et
soutient la culture nationale dans son enracinement, sa diversité et son
renouvellement, en vue de consacrer les valeurs de tolérance, de rejet de la violence, d’ouverture sur les
différentes cultures et de dialogue entre les civilisations ».
A
travers les débats autour du préambule,
de l’article 6, de l’article 38, la Constitution révèle en réalité les
tiraillements de la société elle-même.
Conclusion.
Le peuple, interprète de la Constitution.
Ces
tiraillements de la société tunisienne sur les choix fondamentaux de régime et
de société constituent, à notre sens, les éléments les plus durables de la vie
politique et constitutionnelle de la Tunisie post révolutionnaire. Il s’agit en
réalité d’une bipolarisation des points de vue, d’un antagonisme fondamental
entre deux conceptions opposées de la société, sur les deux plans civil et
politique. Pour les uns, la société doit présenter ses propres lois, selon ses
propres intérêts. Pour les autres, une société livrée à elle-même, sans
investissement du divin, constitue une aberration métaphysique. La Constitution
tunisienne de 2014, avec l’esprit de compromis qui l’anime fondamentalement,
n’en est que le reflet. En réalité, la recherche du compromis systématique a
pour résultat de transformer notre texte constitutionnel en un tissu
d’ambiguïtés, de faux-semblants et de contradictions. Face à cette bifurcation, laquelle des deux voies
choisir ? La résolution du problème
ne peut échapper à l’une des trois hypothèses suivantes : le chaos, la
guerre civile ou les choix démocratiques, par l’intermédiaire d’élection
disputée et de débats ouverts. La Tunisie semble avoir choisi la voie de la
sagesse : celle des élections démocratiques. Ces dernières, organisées au
cours des mois d’octobre et décembre 2014,
confirment l’existence de cette fracture entre deux choix originels de
société. Aussi bien pour les élections législatives du 26 octobre 2014, que
pour les élections présidentielles, en particulier le deuxième tour du 21
décembre 2014, bien plus que pour des personnes, des programmes de gestion, des
partis politiques, les Tunisiens ont majoritairement choisi une route. En fait,
en votant pour le parti Nida tounes, ils ont voté pour le slogan familier à
leur chef : « un État civil, pour un peuple musulman »,
c’est-à-dire exactement la synthèse et l’harmonisation des articles premier et
2 de la Constitution. Un « peuple musulman » constitue une description de culte, de mœurs,
de culture et de civilisation pour la majorité. Un « État civil »
constitue une prescription de Constitution, de droit et de loi pour la nation.
Le peuple est le premier interprète de la Constitution, le pédagogue de ses
lois.
Voilà
bien une conclusion que j’espère digne d’honorer la carrière du compagnon de
toutes les routes, leurs lignes droites, leurs virages et leurs bifurcations,
l’incomparable pédagogue, Farouk Mechri, l’ami de la vie, le scintillant
possesseur du royaume de l’humour et de la raison.
23
janvier 2015.
[1]Qui
met l’accent sur le contrôle des forces armées Charles Tilly, Europeens
revolutions, 1492-1992, Blackwell publishers, 1993, p.10.
[2]
Pour une définition de la «révolution constitutionnelle», voir Georges Vedel,
Cours de droit constitutionnel
d’institutions politiques, Les cours de droit, Paris, 1968 – 1969, page 99.
[3]
Lotfy Chedly, « La transition démocratique et les choix fondamentaux en matière
de statut personnel de la Tunisie moderne », in La transition démocratique à la lumière des
expériences comparées,, Colloque international tenu les 5, 6 et 7 mai 2011,
dir. Hatem Mrad et Fadhel Moussa, oct. 2012, Tunis, page 257 et s.
[4]
Éric Maulin ; « Carré de Malberg et le droit
constitutionnel de la Révolution française », Annales historiques de la
Révolution française, 328, avril juin
2002, p.5 à 25.
[5]
Jean-Philippe Bras,
« Le peuple est-il soluble dans la constitution ? Leçons
tunisiennes », L’Année du Maghreb [En ligne],
VIII | 2012, mis en ligne le 09 octobre 2012, consulté le 17 janvier
2015. URL : http://anneemaghreb.revues.org/1423 ; DOI :
10.4000/anneemaghreb.1423
[6]
Date du décret- loi constituant n° 14 du 23 mars 2011 qui, rétroagit au 15 mars, régularisant ainsi le dépassement
de 60 jours d’intérim présidentiel prévu par l’art.57 de la Constitution de
1959.
[7]
Date des élections à à L’Assemblée nationale constituante.
[8]
Date de la loi constituante n° 6 du 16 décembre 2011.
[9] Date de la
promulgation de la Constitution. Il est erroné d’y ajouter la période qui va du
27 janvier 2014 au 30 décembre 2014, date de la prestation de serment du
nouveau Président de la République devant l’Assemblée des représentants du
peuple élue en octobre 2014. Cette période n’est ni transitoire, ni provisoire,
au sens de la transition politique. Il s’agit d’une mise en application de la
Constitution, plus précisément de ses dispositions transitoires, qui n’a rien à voir avec les transitions
antérieures.
[10]
Pour une analyse critique du concept de « transition démocratique »,
voir François Constantin, « Les transitions démocratiques. Sur les
pratiques est africaine d’un mythe occidental. Libres propos. » Mélanges
en l’honneur de Franck Moderne, Mouvement du
droit public, Dalloz, 2004, p.1059.
[11]
M. S. Ben Aïssa, « De l’article 57 de la Constitution du 1er
juin 1959 à l’Assemblée constituante : quelle transition ? », in La transition démocratique à la lumière des
expériences comparées,, Colloque international tenu les 5, 6 et 7 mai 2011,
dir. Hatem Mrad et Fadhel Moussa, oct. 2012, Tunis, page 245.
[12]
L’article 39
qui permet la prorogation le mandat du Président en cas de guerre ou de péril
imminent empêchant la tenue des élections.
[14]
Isabelle Thumerel, « Les dispositions constitutionnelles provisoires », in
« Le provisoire en droit public », sous la direction
d’Ariane Vidal-Naquet, Dalloz, Dalloz, 2009, p. 21.
[15]
Pour être plus exact, comme le propose Isabelle Thumerel, des « actes
pré-constituants », loc.cit., p.23, le véritable acte constituant étant la
Constitution à venir.
[16]
Rachida Ennaïfar, « La transition constitutionnelle, garante de la transition
démocratique en Tunisie ? », in la transition démocratique à la lumière
des expériences comparées, op. cit. ,page 235 et S.
[17]
Paul Amselek, « Enquête sur la notion de
« provisoire », in « Le provisoire en droit public », sous la
direction d’Ariane Vidal-Naquet, Dalloz,
2009, p.8.
[18]
Paul Amselek (ibidem) écrit à ce propos : « Cette notion correspond
toujours à l’idée d’un processus de décision juridique au cours duquel des
mesures temporaires d’attente sont adoptées avant que la décision à prendre
soit arrêtée définitivement, des mesures qui interviennent donc dans une phase
préliminaire encore indécise et qui, par définition, ne lieront pas la décision
définitive en instance ,dont elle pourra ne pas tenir compte, qu’elle pourra
modifier ou réduire à néant.»,
[19] La mise en application progressive de cette nouvelle constitution,
d’après ce qu’on appelle juridiquement « dispositions transitoires », constitue
un tout autre problème qui n’a rien à voir avec la période transitoire qui se
situe avant l’adoption de la constitution. Il faut par conséquent distinguer
les dispositions constitutionnelles provisoires et les dispositions
constitutionnelles transitoires. En ce sens, Gweltaz Eveillard, Les
dispositions transitoires en droit public français, Dalloz, collection «
Nouvelle bibliothèque de thèses » 2007. L’auteur souligne (p. 147 et 148) à
juste titre que, contrairement aux dispositions constitutionnelles provisoires,
les dispositions constitutionnelles transitoires doivent porter sur le même
objet que la constitution qu’ils viennent mettre progressivement en
application.
[20]
Sur le rapport de la Constitution avec la législation, au cours de la période
transitoire, Asma Ghachem, « L’interaction entre les systèmes constitutionnels
et législatifs au cours de l’expérience de la transition démocratique en
Tunisie », à paraître dans les Mélanges Rafaa Ben Achour.
[21]
Rafaa et Sana Ben Achour, « La transition démocratique en Tunisie : entre
légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Revue française de
droit constitutionnel, n° 92, 2012,
p.715.
[22]
M.S.Ben Aïssaa, loc.cit., p.246 à 249.
[23]
Evaluant la décision du Conseil constitutionnel le doyen Hédi Ben Mrad écrit : « Qu’il ait, ou non,
agi sous pression, le Conseil
constitutionnel a joué un rôle libérateur et salvateur inattendu.
L’interprétation qu’il a faite de l’article 57 de la Constitution, est
politiquement audacieuse et salutaire.
Il s’agit d’un déblocage constitutionnel qui à facilité le passage « pacifique
» vers la destitution de l’ancien président. Probablement, le conseil
constitutionnel n’avait pas d’autres alternatives». Hédi Ben Mrad, « La problématique constitutionnelle de la
transition», in, La transition démocratique en Tunisie. État des lieux. Les
thématiques, direction H. Redissi, A. Nouira, A. Zghal, Diwan édition, 2012, page 12.
[24]
Salsabil Klibi a raison de parler de « bricolage constitutionnel »,
« De la révolution à la constituante, dynamiques et blocages», in La transition démocratique à la lumière des
expériences comparées,, Colloque international tenu les 5, 6 et 7 mai 2011,
dir. Hatem Mrad et Fadhel Moussa, oct. 2012, Tunis, page 221. Voir également
Walid Larbi, « A propos de la loi du 9 février 2011 habilitant le Président de
la République par intérim à prendre des décrets lois », Revue tunisienne
de droit, 2009, p. 411, qui soulève les
problèmes relatifs à la validité de la loi d’habilitation au niveau du
délégataire, de l’objet de la délégation, et du délai de la délégation.
[25]
Le paragraphe 5 de l’article 28 de la constitution dispose : « La Chambre
des députés et la Chambre des conseillers peuvent habiliter le Président de la
République, pour un délai limité et en
vue d’un objectif déterminé, à prendre des décrets lois qu’il soumettra, selon
le cas, à l’approbation de la Chambre des députés ou des deux chambres, à
l’expiration de ce délai.
[26]
Slim Laghmani, « La transition démocratique : une théorie ou une
pratique ? », in La transition démocratique à la lumière des
expériences comparées, op. cit., p.37.
[27]La déclaration du 11 février a été signé par les parties
suivantes :L’ordre national des avocats, l’UGTT, le FDTL ettakatul, le
POCT, le mouvement bassiste, le parti Ennahda, le mouvement du peuple,
mouvement des patriotes démocrates, le parti Baath, l’association
internationale de soutien aux prisonniers politiques, la ligue de la gauche
ouvrière, le mouvement unioniste progressiste, le parti du travail national
démocratique, l’association des magistrats tunisiens, l’union des diplômés en
situation de chômage, l’organisation liberté et équité, le parti de la Tunisie
verte, le syndicat national des journalistes, la mutuelle nationale des anciens
muqâwimine (combattants), le mouvement réforme et développement, l’union
générale des étudiants tunisiens, le parti populaire pour la liberté et le
progrès, les indépendants de gauche, le centre tunisien pour l’indépendance de
la justice et du barreau, les nationalistes démocrates, watad, la ligue des
écrivains libres, l’association tunisienne de lutte contre la torture..
الهيئة الوطنية
للمحامين : عبد الرزاق الكيلاني، الإتحاد العام التونسي للشغل، حسين العباسي –
التكتل من أجل العمل والحريات مصطفى بن جعفر – حزب العمال الشيوعي، حمة الهمامي –
التيار البعثي، خير الدين الصوابني. حزب حركة النهضة، نور الدين البحيري – حركة
الشعب، عمر الشاهد – حركة الوطنيون الديمقراطيون، شكري بلعيد – حركة البعث، خميس
الماجري – الجمعية الدولية لمساندة المساجين السياسيين، سمير ديلو –رابطة اليسار
العمالي، نزار عمامو – الحركة الوحدوية التقدمية، زهير نصري – حزب العمل الوطني
الديمقراطي، عبد الرزاق الهمامي – جمعية القضاة التونسيين، أحمد الرحموني – اتحاد
أصحاب الشهائد المعطلين عن العمل، سالم العياري – منظمة حرية وإنصاف، محمد النوري-
حزب تونس الخضراء، فوزي الهذباوي – النقابة الوطنية للصحفيين التونسيين، منجي
الخضراوي – الودادية الوطنية لقدماء المقاومين ، علي بن سالم – تيار الإصلاح
والتنمية، محمد القوماني – الإتحاد العام لطلبة تونس، عز الدين زعتور – الحزب
الشعبي للحرية والتقدّم، منير كشوخ – اليساريون المستقلون، طارق شامخ –مركز تونس
لاستقلال القضاء والمحاماة، المختار اليحياوي –الوطنيون الديمقراطيون (الوطد)،
جمال الأزهر- رابطة الكتاب الأحرار، جلول
عزونة – الجمعية التونسية لمقاومة التعذيب ، راضية النصراوي.
[28] Le programme
de ce conseil repose sur les éléments suivants : 1.
Disposer d’un pouvoir décisionnel et
veiller à l’élaboration des législations relatives à la période
transitoire. 2. Contrôler
l’activité du gouvernement provisoire et les nominations des hauts
fonctionnaires. 3. Revoir la
composition et les prérogatives des 3 commissions, afin qu’elles fassent
l’objet d’un consensus, et qu’elles soumettent leurs projets au Conseil pour
approbation. 4. Prendre les dispositions qu’impose la situation
transitoire, en particulier dans le domaine de la justice et de l’information. 5. Ce conseil se compose des représentants
des différents partis politiques, des associations et des organisations
précitées et de représentants des différentes régions, selon le principe du
consensus. 6. Ce Conseil devra
être institué par un décret-loi du Président provisoire de la République.
[29]
J’ai été personnellement témoin de l’effort considérable de persuasion, de résistance physique et morale, qu’a
déployé le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, au cours du mois de février
2011, pour faire aboutir ces négociations extrêmement difficiles et
contraignantes, à l’origine de la création de la Haute instance. Le décret-loi
numéro 6 du 18 février 2011 est en réalité le résultat d’un mélange entre les
deux projets préparés, pour leur propre
compte, par le Conseil national de la Révolution et la Commission de réforme
politique.
[30]
Composé
de : la Ligue de la gauche travailliste, le Mouvement des Unionistes Nassériens, le
Mouvement des Nationalistes Démocrates (Al-Watad), le Courant Baasiste, la
Gauche Indépendanteet le PCOT (Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie), PTPD
(Parti du Travail Patriotique et démocratique)
[31] Le programme du Front est le suivant d’après la
proclamation du 20 janvier 2011 : 1 – Faire tomber le gouvernement actuel
de Ghannouchi ou tout gouvernement qui comprendrait des symboles de l’ancien
régime, qui a appliqué une politique antinationale et antipopulaire et a servi
les intérêts du président déchu. 2 – La dissolution du RCD et la confiscation
de son siège, de ses biens, avoirs et fonds financiers étant donné qu’ils
appartiennent au peuple. 3 – La formation d’un gouvernement intérimaire qui
jouisse de la confiance du peuple et des forces progressistes militantes
politiques, associatives, syndicales et de la jeunesse. 4 – La dissolution de
la Chambre des Représentants et de la Chambre des conseillers et de tous les organes fictifs actuels et du
Conseil supérieur de la magistrature et le démantèlement de la structure
politique de l’ancien régime et la préparation des élections à une Assemblée
constituante dans un délai maximum d’un an afin de formuler une nouvelle
constitution démocratique et fonder un nouveau système juridique pour encadrer
la vie publique qui garantit les droits politiques, économiques et culturels du
peuple. 5 – La dissolution de la police
politique et l’adoption d’une nouvelle politique de sécurité fondée sur le
respect des droits de l’homme et la supériorité de la loi. 6 – Le jugement de
tous ceux qui sont coupables de vol des deniers du peuple, de ceux qui ont
commis des crimes à son encontre comme la répression, l’emprisonnement, la
torture et l’humiliation – de la prise de décision à l’exécution – et enfin de
tous ceux qui sont convaincus de corruption et de détournement de biens
publics. 7 – L’expropriation de l’ancienne famille régnante et de leurs proches
et associés et de tous les fonctionnaires qui ont utilisé leur position pour
s’enrichir aux dépens du peuple. 8 – La création d’emplois pour les chômeurs et
des mesures urgentes pour accorder une indemnisation de chômage, une plus
grande couverture sociale et l’amélioration du pouvoir d’achat pour les
salariés. 9 - la construction d’une économie nationale au service du peuple où
les secteurs vitaux et stratégiques sont sous la supervision de l’État et la re-nationalisation
des institutions qui ont été privatisées et la formulation d’une politique
économique et sociale qui rompt avec l’approche libérale capitaliste. 10 – La
garantie des libertés publiques et individuelles, en particulier la liberté de
manifester et de s’organiser, la liberté d’expression, de la presse, de
l’information et de pensée ; la libération des détenus et la promulgation
d’une loi d’amnistie. 11 – Le Front salue le soutien des masses populaires et
des forces progressistes dans le monde arabe et dans le monde entier à la
révolution en Tunisie, et les invite à poursuivre leur appui par tous les
moyens possibles. 12 – La résistance à la normalisation avec l’entité sioniste
et sa pénalisation et le soutien aux mouvements de libération nationale dans le
monde arabe et dans le monde entier. 13 – Le Front appelle toutes les masses
populaires et les forces nationalistes et progressistes à poursuivre la
mobilisation et la lutte sous toutes les formes de protestation légitime, en
particulier dans la rue jusqu’à l’obtention des objectifs proposés.
14 – Le Front salue tous les comités, les associations
et les formes d’auto-organisation populaire et les invite à élargir leur cercle
d’intervention à tout ce qui concerne la conduite des affaires publiques et les
divers aspects de la vie quotidienne.
Gloire aux martyrs de l’Intifada et Victoire aux
masses révolutionnaires de notre peuple.nisie, le 20 Janvier 2011.
[32] Il est donc
erroné de penser que c’est le gouvernement Essebsi qui a accepté « le
principe de l’organisation d’une élection tendant à élire une nouvelle
constitution chargée d’élaborer une nouvelle constitution pour la Tunisie
révolutionnaire». En fait, le gouvernement Essebsi s’est trouvé devant le fait
accompli, la décision d’organiser des élections pour l’assemblée nationale
constituante ayant été prise définitivement le 21 février 2011 dans les
conditions indiqués ci-dessus, avant la démission du gouvernement Moh.
Ghnnouchi. Voir Hatem Mrad, Tunisie :
de la révolution à la constitution, éditions Nirvana, 2014, p.8.
[33]
Lotfy Chedly, « La transition démocratique et les choix fondamentaux… », loc.
cit., page 261 et s.
[34]
Les procès-verbaux en arabe de la Haute instance ont été publiés en deux
volumes et ses séances ont été filmées
et existent sous forme de vidéos. Pour
les procès-verbaux, République tunisienne, la Haute instance de réalisation des
objectifs de la Révolution de la réforme politique et de la transition
démocratique, Délibérations de la Haute instance, volume 1, couvrant la période
de mars à mai 2011 ; volume 2, de
juin à octobre 2011. Les procès-verbaux ont été établis par M. Ammar
Aloui ancien directeur général au Conseil économique et sociale et son équipe.
[35]
Sadok Belaïd, « Il est temps de dissoudre
la Haute Instance », La Presse, Dimanche 15 juin 2011, p. 6.
[36]
T.A., 10 mars 2011, référé, Première instance, 2ème chambre,
Abderraouf Ayadi, Amor Safraoui, Anouar Bassi, Hafedh Brigui et autres.
[37]
Emmanuel Cartier, « Les petites constitutions : contribution à l’analyse
du droit constitutionnel transitoire», Revue française de droit
constitutionnel, numéro 71, 2007. Voir
également Moussa Zaki, « Petites constitutions et droit transitoire en
Afrique», Revue du droit public… ,
2012, numéros 6.p., 1668, qui
définit des petites constitutions, au sens formel, comme des constitutions de
sortie de crise élaborée dans la perspective d’une constitution définitive
qui respectent certains principes de base adoptée par
l’assemblée constituante
[38]
Rafaa et Sana Ben Achour, « la transition démocratique en
Tunisie… », loc.cit., p.723.
[39]
Sur les différentes formes de gouvernement provisoire, voir Francis Delpérée,
«Le gouvernement provisoire» in, Le provisoire en droit public…op.cit.
p. 85.
[40]
Par conséquent, le jugement de première instance rendu par le Tribunal
administratif le 4 juillet 2012, dans l’affaire numéro 124 153, constitue
une véritable aberration juridique. Le
Tribunal administratif n’ayant pas saisi la nature juridique des décrets
lois pris sur la base du décret-loi numéro 14 du 23 mars 2011, les a assimilés
à ceux qui sont pris sur la base de l’article 28 de la Constitution tunisienne
de 1959. Il a, en outre, affirmé
expressément que ces décrets-lois conservaient
la nature d’actes administratifs jusqu’à leur ratification par le
pouvoir législatif. Or, les décrets-lois pris sur la base du numéro 14 ne sont
nullement soumis à cette condition de ratification.
[41] Asma Ghachem, loc. cit.
[43]
Yadh ben Achour, al Maghreb, 19 juin 2012, p.5.
Slim Laghmani,
« La pérennité de la légalité, exigence de la continuité de l'État », «
dawâm a-Shar’ia matlûb li dhamân istimrâriyyat a-dawlah », a-Tunisia, jeudi 13
septembre 2012, p.12 et 13.
[44] Wafa
Harrar Masmoudi « Le processus de transition démocratique en Afrique
du Sud »,in la transition démocratique à la lumière des expériences comparées…,
p.83.
[45]
Les partis signataires qui se sont retirées de la Haute instance de la
révolution ont été à l’origine de cette indication qui figure en tête de la Déclaration, pour manifester par là que leur participation
à l’élaboration de la Déclaration, prise sur l’initiative du président de la
Haute instance de la Révolution, n’impliquait nullement leur implication dans
les travaux de la Haute instance, encore moins leur retour en son sein.
[46]
Signataires de
l’Appel. Lazhar Karoui Chebbi. Taïeb Baccouche.
Boujemâa Remili. Ridha Belhadj. Selma Rekik Elloumi. Samah
Damak. Slim Chaker. Omar S’Habou. Mohsen Marzouk. Mohamed Lazhar
Akremi. Wafa Makhlouf Sayadi. Anis Ghdira.
[47] Rafaa Ben
Achour, « Qu'adviendra-t-il de l'ANC, le 22 octobre 2012 ? », La Presse de
Tunisie, mardi 4 septembre 2012, p.9.
[48]
Entretien BCE. avec Hassen Arfaoui, Réalité on line, 26/07/2012.
[49]
Ont participé les partis suivants : Ennahdha, le Congrès pour la
République (CPR) et le Parti Ettakatol (Forum démocratique pour le travail et
les libertés). Les partis de l'opposition sont représentés à cette réunion par
le Parti républicain, le Mouvement Nidaa Tounes, l'Alliance démocratique et le
Parti Al-Moubadara.
[51]
Communiqué publié le 26 juillet 2013 et signé par :Abdelbasset Sammari :
Courant réformiste d'Ettakatol;Mahmoud Besrour: Prospective &
Développement; Kheireddine Souabni: Parti d'Avant-garde arabe
démocratique/Front Populaire;Jawher Ben Mbarek: Dostourouna; Hazem Ksouri:
l'Association de la Tunisie Libre;Mohamed Bennour: Tamarrod; Taoufik Laâbidi:
secrétaire général du parti Tounes Baytouna; Bechir Rajhi: Citoyenneté et
Solidarité; Emna Mnif: Kolna Tounes; Nizar Amami: la Ligue de la gauche
ouvrière/Front Populaire; Houssem Hammi: Alternative Sociale et démocratique; Hatem Fekih: Mouvement du militantisme
national; Souha Ben Othmane: Fathia Saïdi: Centre de recherche pour la formation sur la citoyenneté; Sana
Ben Achour: Association Baïti; Ali
Faleh: Parti du Front national tunisien; Taoufik Saïri: Association Adam pour
l'égalité et le développement; Jilani
Hammami : Parti des ouvriers/Front Populaire; Zied Lakhdhar : Parti des
Patriotes démocrates Unifié/ Front Populaire; Zied Rajhi: Union des diplômés
chômeurs; Lotfi Ben Issa : Pôle démocratique moderniste/Front Populaire; Fayçal Tebbini: La Voix des agriculteurs; Mahmoud Doggui: Organisation du martyr de la liberté Nabil Barakati; Khedija
Ben Hassine : Afturd;Radhia Nasraoui: Organisation tunisienne de lutte contre la torture; Mohamed Kilani: Parti Socialiste ;Nabil Ben Azzouz : Initiative nationale pour un front de salut national;
Noureddine Ben Ticha: Nida Tounes; Nasreddine Sehili : Khnagtouna.
[52]
Ce qui nécessitait une modification de la loi constituante n° 6 du 16 décembre
2011.
[53]
Notamment suite à l’affaire de la ‘ibdiliyya en juin 2012 et l’attitude
compréhensive du gouvernement à l’égard des attaquants ; à l’occasion de
l’attaque contre l’ambassade des Etats unis et l’école américain le 12
septembre 2012, de la diffusion le 10 octobre 2012 d’une vidéo de Rached Ghannouchi en conversation avec des
salafistes et ses propos dangereux relatifs à l’emprise stratégique graduelle
du parti islamiste sur l’Etat, l’armée, l’administration, l’économie, la
culture et à la chari’a, aux laics, almaniyyine. Il faut citer également la
gestion du phénomène terroriste plus qu’ambiguë du gouvernement Laarayadh en
2013, l’action des Ligues de protection de la révolution contre le siège de
l’UGTT le 4 décembre 2012 et l’attitude passive du gouvernement à son égard,
[54]
Sur la définition et la classification des démocrates et des théocrate, voir
yadh Ben Achour, « L’action politique
commune entre « démocrates » et « théocrates » dans le monde arabe. In En
hommage à la Daly Jazy, Centre de
publication universitaire, 2010, p.135 et s.
[55]
Rafaa Ben Achour, «La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », Revue
française de droit constitutionnel, numéro 100, décembre 2014, p.792.
[56]
Rafaa Ben Achour, «La Constitution tunisienne… », loc. cit., p.783
[57]
Rafaa Ben Achour, «La Constitution tunisienne… », loc. cit., p.785.
[58]
Article 49 : « Sans porter atteinte à leur
substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés
garantis par la Constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent
être établies que pour répondre aux exigences d’un Etat civil et démocratique,
et en vue de sauvegarder les droits d’autrui
ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la
santé publique ou de la moralité publique, tout en respectant la
proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Les instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés
contre toute atteinte. Aucune révision
ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et de
libertés garantis par la présente Constitution. »
[59]
Notamment celle du 16 mars 2012.
[60] Cet article
dispose : « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, sa
religion est l'islam, sa langue l'arabe et son régime la République ».
[61]
Par une modification de l'article 165 du code
pénal, ce projet vise à punir les atteintes au sacré par une peine
de prison de deux ans et quatre ans en cas de récidive et une amende de 2000
dinars. Les « choses sacrées » sont définies par le projet de loi: « Dieu,
allah, qu'il soit glorifié,
ses prophètes, ses livres, la Sunna du Prophète, ses envoyés, les mosquées, les
églises et les synagogues ». Quant à l'atteinte, elle est
définie comme « l’injure, la profanation, la dérision et la représentation
d'Allah et de Mahomet ».
[62]
Yadh Ben Achour, La Presse de Tunisie, vendredi 31 août 2012.
[63]
On
peut lire dans la lettre de HRW aux membres de l’ANC : "Créer un principe
constitutionnel selon lequel les « attaques » au « sacré »
doivent être criminalisées préparera certainement le terrain pour punir
l’expression pacifique d’avis divergents ou non-orthodoxes sur la religion. Le
Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, formé de pays du monde entier,
dans ses résolutions clés 16/18 de mars 2011, est tombé d’accord pour abandonner
toute notion de diffamation des religions comme motif possible pour limiter la
liberté d’expression ».
[64]
Composition du
comité :Salsabil Klibi, Hafidha Chekir, Mohamed Salah ben Aïssa, Néji
Baccouche, Slim Laghmani, Amin Mahfoudh, Chafik Sarsar, Mustapha Beltaief,
Ghazi Ghraïri. Le comité était présidé par Yadh Ben Achour.
[65]
Dans son rapport du 12 juin 2013, le
Centre Carter souligne que « La
notion de religion d’Etat est acceptée en droit international, sous condition
qu’elle n’entrave pas « la jouissance de l'un quelconque des droits garantis
par le Pacte » (…) ou qu’elle ne constitue pas « une discrimination quelconque
contre les adeptes d'autres religions ou les non-croyants » ( obs. gén. N°22,
Comité des droits de l’Homme). Le Centre
Carter recommande dès lors que la Constitution établisse explicitement que la
mention ou les référence à la religion ne puissent pas être utilisées pour
restreindre les droits et libertés, ou provoquer des discriminations à l’encontre
de personnes adhérant à d’autres fois ou non-croyantes.
Le Centre encourage l’Assemblée à ouvrir l’accès à la candidature à la
Présidence à tous les tunisiens, indépendamment de leur confession, et de ne
pas établir de discrimination fondée sur la religion, car la condition posée
pour un candidat à la Présidence de professer une religion en particulier
semble contrevenir aux articles 25 et 26 du PIDCP, fondant les principes de
participation aux affaires publiques et d’égalité devant la loi ».
[66] Abdelwahas Meddeb, « Pourquoi le projet de Constitution tunisienne est inacceptable", Le Monde, 30 avril
2013. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/30/pourquoi-le-projet-de-constitution-tunisienne-est-inacceptable_3168798_3232.html
[67]
De ce point de vue, nul doute que ce projet de
constitution est en retard par rapport à ce qui vient dans l’article 5 de
la Constitution de 1959 qui évoque clairement « les libertés
fondamentales et les droits de la personne dans leur universalité, leur
globalité, leur complémentarité et leur interdépendance ».
[68]
Abdelwahas Meddeb, « Pourquoi le projet de Constitution tunisienne est inacceptable », loc.cit.
[69]
Voir notamment travaux du colloque « Lecture du projet de brouillon de la
Constitution », organisé par l’ARTD
et l’ATDC, avec le soutien de la Fondation Hans Seidel, tenu le 15 janvier 2013 (en arabe). Et Yadh Ben Achour, « La liberté
absente dans l’Etat religieux », Le Maghreb, 26 mars 2013, (en
arabe).
[70] Les trois partis de la coalition au pouvoir, ainsi que
Al-Joumhouri, l'Alliance démocratique, Al-Moubadara et Al-Amane. Le mouvement
Ennahdha y est représenté par son président Rached Ghannouchi et le président
de son bureau politique, Ameur Larayedh.
[71]
Notamment Yadh Ben Achour, sur la chaîne Nessma, le soir du 7 janvier 2014.
La démocratie islamique n’est pas possible
RépondreSupprimer30 Janvier 2015
Remarquable interview de l’islamologue allemand Reinhard Schulze, qui rompt avec le discours stéréotypé et essentialiste de l’islamologie française qui s'accorde totalement et paradoxalement avec l'idéologie islamiste. Aux questions intelligentes du journaliste suisse, R. Schulze apporte des réponses savantes qui restituent l’historicité de l’islam....
Lire la suite
Bonjour, je voudrais vous remercier pour vos publication.
RépondreSupprimerlors des 3èmes journées Abdelfatah Amor (janvier 2015) vous avez insisté sur l'obligation d'une recherche juridique concernant la nature juridique des actes du chef du gouvernement lors de la période transitoire pré-constituante.
je me suis déjà penché sur la même problématique et j'ai rédigé à cet effet un "essai" en août 2011, je vous le remet en espérant avoir votre point de vue là dessus, cordialement !
Le Blanc Seign Législatif, "La Mutinerie juridique" où quand le Gouvernement Provisoire Emploie la Technique de la Grosse Bertha
10 août 2011, 06:29
D'emblée, parler de "Mutinerie Juridique" colle bien à la situation d'un Pays qui vit sous l'état d'urgence décrété par le Président par intérim depuis le 14 Janvier, date de la chute du régime dictateur de Ben Ali.
A la veille du 13 janvier 2011, le président tunisien vient de dissoudre son gouvernement et le parlement tunisien. Il a chargé le Premier Ministre Mohamed Ghannouchi de former un gouvernement de conciliation nationale, et veut faire de nouvelles élections législatives dans un délai de six mois.
Le 14 Janvier, le peuple a eu un autre son de cloche, c'est la légalité révolutionaire qui fait foi, sauf que le jour même, une "Révolution Juridique" sonne le glas de la "Révolution Populaire" pour la ramener à la légalité constitutionnelle.
Cette "Mutinerie Juridique" a vu le jour à partir du 07 février, quand la Chambre des députés a adopté, au cours d'une séance plénière tenue au palais du Bardo, un projet de loi présenté conformément aux dispositions de l'article 28 de la Constitution tunisienne, selon lequel elle est appelée à habiliter le président de la République par intérim et "jusqu'à la fin de sa mission prévue par l'article 57 de la Constitution", à prendre des décrets-lois, dans le nouveau contexte qui commande la promulgation de nouvelles lois (Un domaine très élargis et en contradiction même avec "le concept d'habilitaion", il a fallu parler plutôt de "transfert de pouvoir ou de compétence" pour ne pas dire on ne peut plus purement et simplement "désaisissement") *1
Par une réelecture de la Presse nationale qui a publié le débat tenu "en séance ouverte", on rapporte que "Lors de l'examen de l'article premier de ce projet de loi, plusieurs députés ont exprimé leur refus de déléguer l'ensemble des prérogatives fixés dans cet article au Président de la République par intérim appelant à limiter l'habilitation aux questions urgentes. Ils ont relevé que cette habilitation constitue une dissolution indirecte du Parlement.
Les Députés ont également souligné que la conjoncture actuelle et l'intérêt suprême de la Nation nécessitent la promulgation rapide des lois.
Un député a indiqué que l'adoption de ce projet de loi implique que la Chambre des députés soit consultée par le gouvernement concernant les lois relatives au régime électoral, la presse et l'organisation des partis.
Un député s'est interrogé sur les prérogatives de la Chambre des Députés après l'habilitation du président de la République par intérim. Il a également relevé qu'aucune référence n'a été faite au développement régional dans les 17 articles du projet de loi bien que cette question soit une des principales revendications de la Révolution du peuple tunisien. Il a exprimé son refus d'habiliter le président de la République au moment, dit-il, où le gouvernement et les institutions intérimaires n'ont pas pu encore réaliser la stabilité dans le pays, appelant à habiliter le président du Conseil constitutionnel.
Un député a proposé d'ajouter l'expression ''conformément à l'article 57 de la Constitution'' à l'article premier de ce projet de loi.
Une députée a relevé que l'adoption de ce projet de loi n'empêche pas constitutionnellement les députés de retirer cette habilitation au cas où le gouvernement s'écarterait des principes républicains et constitutionnels ou transgresserait les lois relatifs au statut personnel ..." (Journal La Presse : du 08-02-2011 - )
Au sein du Palais (Des Voix Parlementaires) comme à l'extérieur, des centaines de manifestants se sont regroupés pour réclamer la "dissolution du Parlement", dominé à 80% par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l'ex-parti au pouvoir sous Zine El Abidine Ben Ali.
Le Sit-in de Alkasbah réaffirme "la légalité révolutionnaire" et le Président intérimaire fait tapis rouge à la venue de M. Caïd Essebsi à la tête du Gouvernement Provisoire le 27 février.
Le 15 mars, le Pays sort de "la légalité constitutionnelle" pour entrer dans un "Vide constitutionnel toléré" ... Le 17 Mars, en Conseil de Ministres, la dissolution du Parlement figure à l'ordre du jour des travaux du gouvernement provisoire de M. Essebsi.
Il est à rappeler que le Premier Ministre démissionnaire M. Mohamed Ghannouchi ainsi que son Président par intérim M. Fouad M’Bazzaa ont refusé la convocation d’une Assemblée Nationale Constituante et ont préféré le 18 janvier 2011, la création d’une Commission Nationale pour la Réforme politique présidée par M. Yadh Ben Achour pour entreprendre la rédaction d’un projet de Constitution tunisienne et entreprendre la proposition des mesures allant dans ce sens.
Mais devant le refus tenace du peuple tunisien de voir son avenir politique se dessiner entre les mains de la Commission nationale pour la Réforme, M. Fouad M’Bazzaa et M. Mohamed Ghannouchi ont finalement cédé à la demande du peuple tunisien exigeant la convocation d’une Assemblée Nationale Constituante.
Toutefois, Le Président par Intérim a préféré, de nouveau, que le statut et l’organisation de la future Assemblée Nationale Constituante seraient du ressort de la Commission Nationale pour la Réforme politique présidée par M. Yadh Ben Achour.
Les Députés ont également souligné que la conjoncture actuelle et l'intérêt suprême de la Nation nécessitent la promulgation rapide des lois.
Un député a indiqué que l'adoption de ce projet de loi implique que la Chambre des députés soit consultée par le gouvernement concernant les lois relatives au régime électoral, la presse et l'organisation des partis.
Un député s'est interrogé sur les prérogatives de la Chambre des Députés après l'habilitation du président de la République par intérim. Il a également relevé qu'aucune référence n'a été faite au développement régional dans les 17 articles du projet de loi bien que cette question soit une des principales revendications de la Révolution du peuple tunisien. Il a exprimé son refus d'habiliter le président de la République au moment, dit-il, où le gouvernement et les institutions intérimaires n'ont pas pu encore réaliser la stabilité dans le pays, appelant à habiliter le président du Conseil constitutionnel.
Un député a proposé d'ajouter l'expression ''conformément à l'article 57 de la Constitution'' à l'article premier de ce projet de loi.
Une députée a relevé que l'adoption de ce projet de loi n'empêche pas constitutionnellement les députés de retirer cette habilitation au cas où le gouvernement s'écarterait des principes républicains et constitutionnels ou transgresserait les lois relatifs au statut personnel ..." (Journal La Presse : du 08-02-2011 - )
Au sein du Palais (Des Voix Parlementaires) comme à l'extérieur, des centaines de manifestants se sont regroupés pour réclamer la "dissolution du Parlement", dominé à 80% par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l'ex-parti au pouvoir sous Zine El Abidine Ben Ali.
Le Sit-in de Alkasbah réaffirme "la légalité révolutionnaire" et le Président intérimaire fait tapis rouge à la venue de M. Caïd Essebsi à la tête du Gouvernement Provisoire le 27 février.
Le 15 mars, le Pays sort de "la légalité constitutionnelle" pour entrer dans un "Vide constitutionnel toléré" ... Le 17 Mars, en Conseil de Ministres, la dissolution du Parlement figure à l'ordre du jour des travaux du gouvernement provisoire de M. Essebsi.
Il est à rappeler que le Premier Ministre démissionnaire M. Mohamed Ghannouchi ainsi que son Président par intérim M. Fouad M’Bazzaa ont refusé la convocation d’une Assemblée Nationale Constituante et ont préféré le 18 janvier 2011, la création d’une Commission Nationale pour la Réforme politique présidée par M. Yadh Ben Achour pour entreprendre la rédaction d’un projet de Constitution tunisienne et entreprendre la proposition des mesures allant dans ce sens.
Mais devant le refus tenace du peuple tunisien de voir son avenir politique se dessiner entre les mains de la Commission nationale pour la Réforme, M. Fouad M’Bazzaa et M. Mohamed Ghannouchi ont finalement cédé à la demande du peuple tunisien exigeant la convocation d’une Assemblée Nationale Constituante.
Toutefois, Le Président par Intérim a préféré, de nouveau, que le statut et l’organisation de la future Assemblée Nationale Constituante seraient du ressort de la Commission Nationale pour la Réforme politique présidée par M. Yadh Ben Achour.
Du reste, il ne peut passer sans rappeler que les textes d’élaboration des projets des lois visant la réforme politique de la Tunisie ne doivent pas suivre la procédure d’habilitation des décrets-lois en vue de leur adoption en Conseil des Ministres mais doivent suivre la procédure normale et légale d’adoption en les soumettant à l’examen de la Chambre des députés et des Conseillers après l'expiration de la période intérimaire (Assemblée Constituante puis procédure de référendum sur la Constitution adoptée) … Faire autrement, c’est contredire la loi de l’habilitation en vertu des dispositions même de l’article 28 de la Constitution tunisienne …
RépondreSupprimerLe Gouvernement provisoire tunisien semble emprunter les dispositions de l'article 49@3 de la Constitution française (surnommée communément "la Grosse Bertha"), et qui permet en effet au gouvernement de faire adopter des lois en 72h, évitant le vote de l’Assemblée (non sans garantie de défense). L’initiative de ce recours est attribuée au premier Ministre, sous réserve d’avoir organisé une séance de délibération en conseil des ministres. Il dispose avec lui d’une grande liberté d’action puisqu’il peut l’employer à n’importe quel moment de la procédure législative et de surcroît autant de fois qu’il le souhaite, pourvu qu'une motion de censure ne parvient pas avant dans les premiers 24 heures. Sauf que, il faut le dire, d'abord l'équivalent de cette procédure constitutionnelle n'est pas prévu par la Constitution Tunisienne "Suspendue" ou "Abrogée" ou Désuète", et ensuite, cette procédure est très contestée tant par les hommes politiques que par les constitutionnalistes (Michel Troper en voit « un engrenage ne laissant que peu de liberté à l’Assemblée nationale »; Ségolène Royal proposait que le 49 al 3 soit supprimé pour les lois ordinaires ; d'autres candidats aux présidentielles font de sa suppréssion un point de leur programme électoral car elle est vue comme une institution ou une procédure scélérate héritée de la tradition du vote bloqué ou "vote zéro" du régime de la IVème République ...). Enfin, l'application la plus diabolique de cette technique (la situation constitutionnelle de la Tunisien depuis la promulgation du décret-loi d'habilitation) est quand elle est combinée à l'article 38 de la Constitution de la Vème République (équivalent de l'article 28 tunisien). *2
"Nous sommes devenus, en un mot, métaphysiquement démocrates." - [Marcel Gauchet] - "La Religion dans la Démocratie" ~
RépondreSupprimer1* : cette habilitation provisoire couvre notamment l'amnistie générale, les droits de l'Homme, les libertés fondamentales, le système électoral, la presse, l'organisation des partis politiques, des associations et des organisations non-gouvernementales, la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent, le développement économique et social, les finances, la fiscalité, la propriété, l'éducation, la culture, la lutte contre les catastrophes naturelles et les dangers, les conventions internationales commerciales, fiscales, économiques, et d'investissement, les traités internationaux relatifs au travail et au domaine social, et ceux concernant les droits de l'Homme et les libertés publiques).
*2 "... En France, la combinaison des articles 38 et article 49-al 3, quant à elle, conduit le Parlement à se dessaisir de son pouvoir législatif « sans qu’il l’ait réellement voulu » puisque la loi d’habilitation permet au Gouvernement, pour un temps donné, dans un domaine précis, de légiférer (exemple de la loi d’habilitation économique et sociale en 1967). La combinaison des articles 38 et article 49-al 3 faisait d’ailleurs partie des problématiques soulevées par le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème république, dans le cadre de la réflexion sur l’article 49-3. Finalement l’utilisation de l’article 49 al 3 sera, telle que proposée au vote au Congrès le 18 juillet 2008, sera restreinte aux seuls projets de lois de fiances et de financement de la Sécurité Sociale. Nicolas Sarkozy dans sa lettre du 12 novembre 2007 à François Fillon à propos du rapport du comité Balladur, propose en outre une utilisation du 49-3 qui serait limitée en nombre par session ou par législature, ou encore une utilisation qui serait limitée aux périodes durant lesquels le Gouvernement ne dispose pas de majorité absolue au Parlement.
On pourrait alors se demander, outre ces mesures, si le contrôle par le Conseil Constitutionnel de l’utilisation du 49-3 pourrait rendre ce « passage en force » plus démocratique (FAUT-IL SUPPRIMER L’ARTICLE 49 ALINEA 3 ?
Publié par Robin GAULIER)].