La
genèse de la pensée politique arabe révèle que le concept de démocratie ne
découle pas des expériences, conditions matérielles ou intellectuelles propres
du monde arabe. Son élaboration dérive de deux sources essentielles : tout
d'abord, les expériences institutionnelles représentatives et électorales
instituées par le colonisateur lui-même pour ses propres besoins, ensuite, la
formation académique occidentale, acquise en Europe, en particulier dans les
facultés de droit ou les instituts d'études politiques, par ceux qui
constitueront le fer de lance des mouvements nationalistes. De facture étrangère,
ce concept suivra deux voies d'insertion dans le milieu politique et
intellectuel arabe. Ou bien il sera récupéré par les mouvements nationalistes
modernistes, dans sa version originelle, pour la conquête du pouvoir ou son
exercice. Ou bien, il devra composer avec les concepts et la terminologie
islamique traditionnelle, notamment shûra et mashûra, subissant alors
lui-même, mais faisant subir également, des distorsions de sens et des
novations langagières remarquables.
Le
terme démocratie s’introduit dans la terminologie des langues de civilisation
islamique à partir du XVIIème siècle. Dans la littérature classique, le terme
usité était « al madinah al jamâ’iya », comme chez Farabi.
Dans son Irshâd al Hayâra, ouvrage consacré à l’histoire des
nations européennes, Kâtib Chelebi transcrit phonétiquement le terme, en
Dimuqratiya[1].
Nous le retrouvons en 1884 dans le volume VIII de l’Encyclopédie de Boutros al
Boustani, da’irat al ma’ârif, et
dans Um al qurâ de Kawakibi, en 1898. Ce dernier, de manière
significative, fait dire à l’un des congressistes de cette conférence
panislamique, « Je crois que la cause de l’affaiblissement provient du
changement de nature du gouvernement en islam. C’était tout à fait un gouvernement représentatif et
populaire, c’est-à-dire une « démocratie » (dîmuqrâtiyya), qui
se transforma après les Califes Râchidine, par l’effet des guerres
civiles, en une monarchie tempérée par les principes fondamentaux du Shar’,
puis en une sorte de monarchie absolue [2]».L’affirmation
de Kawakibi est capitale, parce qu’elle donne au terme « dimuqrâtiya », un contenu islamique. Kawakibi est
affirmatif : le gouvernement islamique est un gouvernement d’essence
démocratique. Ce sont les perversions dues à l’ignorance des chefs ‘umarâ,
et des religieux, ‘ulama, à leur oubli des préceptes coraniques, de la
droite raison et de la science véritable, à leur volonté tyrannique, à leur
soif de domination et de jouissance, qui ont entraîné la décadence du politique
et de toute la société, et son immersion dans la Jâhiliya. La
dissolution du lien religieux explique tout le phénomène de la décadence et
notamment l’absence de démocratie. Il propose la réinstauration des catégories
de la politique islamique : la shûra coranique, le gouvernement
limité par l’assemblée de ceux qui lient et délient (ahl al hal wal ‘aqd).
Ce qui est capital dans la
pensée de Kawakibi, c’est que son idée deviendra par la suite, et reste de nos
jours, un fait courant de pensée, notamment dans toutes les tendances
intellectuelles, les mouvements politiques ou partis islamiques. Ce n’est pas,
loin s’en faut, l’exclusivité de ce qui est appelé l’Islam radical.
Avec
des variantes nous retrouvons le mode de pensée salafiste dans les écrits de
l’école du Manâr, notamment chez Rashîd Ridhâ, les réformistes d’al
Azhar ou de la Zeïtouna
ou de l’Association des ‘ulemas algériens, comme le Cheikh al Khidhr ibn Husseïn ou le
Cheikh Tahar Ibn Achour[3] ou le
Cheikh Abdelhamid ibn Badis, les nationalistes musulmans comme Malek Ben Nâbi
ou Cheikh Abdelaziz Tha’albi, les Frères musulmans, comme Hassan al Banna ou
Sayed Qutb, du moins celui des années 1930. Il ne faut pas croire qu’un cheikh
de l’establishment, zeitounien ou azharite, serait scandalisé par les thèses de
Banna, Qutb ou même Mawdoudi. Le salafisme est un mode de
pensée commun dans l’ensemble des courants se réclamant de l’Islam. Au niveau
de la pensée, La Voix
de l’Etudiant zeitounien, le Yousséfisme, le Dar al hadith al hasanya,
le Manâr, l’Azhar, les ‘Ulamas
algériens, le F.L.N. sont des salafismes.
Le
mode de raisonnement à l'appui de cette pensée se déroule systématiquement en
trois phases. Tout d'abord, et c'est l'idée de base de tous ces courants, à
l'origine, l'islam a, sinon inventé, du moins institué le gouvernement
démocratique. Les références aux textes sacrés ou inspirés sont, à cet égard,
extrêmement nombreuses, et chaque auteur, y compris parmi ceux qui rejettent la
démocratie élective occidentale, se plaît à citer les versets coraniques, pas
exclusivement ceux de la shûra d'ailleurs, ainsi que les hadith du
Prophète ou la geste des Compagnons, pour le prouver. Certains ulémas affirmerraient
que le régime politique institué par le premier islam est à l’origine de la
démocratie occidentale[4]. La
deuxième idée fondamentale, se superposant à la première, c'est que l'histoire
de l'islam constitue une négation de ses propres principes, un retour à
l'esprit licencieux et matérialiste de la jahiliya, comme chez Sayed
Qutb. La troisième idée, c'est que le salut ne peut provenir que d'un retour à
l'exemplarité de l'origine, celle des salaf, et à la loi de Dieu.
Nous
voyons en définitive, que l’idée démocratique, en même temps qu’elle dispose
d’une force d’attirance incontournable,
constitue un défi permanent à la pensée politique arabe, dans un
processus complexe d’attirance-révulsion. Nous n’y croyons pas, non seulement
parce qu’elle ne fait pas historiquement partie des éléments constitutifs de
notre esprit civique, mais parce qu’on la considère également comme un
paravent fallacieux et mensonger, là où
elle prétend s’exercer. Lorsqu’elle est évoquée, elle peut provoquer un sourire
narquois et désabusé et complice qui veut tout dire. Pourtant, nous la désirons
ardemment, parce qu’elle est, sinon la meilleure, du moins la moins mauvaise
solution, au regard de la dignité du citoyen, de l’émancipation de l’individu
et de l’esprit de justice. Nous n’avons
qu’à constater, pour le prouver, l’engouement avec lequel l’opinion arabe a
suivi la campagne des élections présidentielles françaises. La démocratie plane
sur le monde, comme une norme impérative. Rares sont ceux qui la réfutent
directement. Chaque régime arabe se définit par rapport à elle. Pourtant, par
ailleurs, elle est très loin de réunir un consensus. Telle est le grand
paradoxe de la démocratie dans le monde arabe : elle
est instinctivement constitutive de l’humain, de tout humain sur terre, mais s’enflamme et se théorise par la
culture.
Pour cette raison, en
terre arabe, le moment démocratique n'a pas encore réellement commencé. Le
monde arabe a certes connu dans le passé des expériences électorales et
parlementaires au Moyen-Orient et pratique aujourd’hui des scrutins électoraux,
difficiles et plus ou moins contestés, pour la désignation des chefs d’Etat ou
des assemblées ou pour adopter par referendum des réformes constitutionnelles
taillées sur mesures, comme en Algérie, en Egypte, en Jordanie, en Tunisie.
Ainsi, dans le cadre d'une monarchie parlementaire, l'Égypte expérimenta sous
l'égide de la constitution de 1923,
d'inspiration belge, un régime fondé sur des élections nationales et
régionales pluralistes et multipartisanes. Cette période fut caractérisée par
une certaine instabilité, notamment la dissolution de l'assemblée
représentative et l'adoption d'une nouvelle constitution en1930 suivie de son
rétablissement en 1935. Elle fut dominée par le gouvernement majoritaire du
parti Wafd, la confrontation répétée entre le roi et le gouvernement
majoritaire, une liberté de la presse certaine. La démocratie représentative
fut également expérimentée dans l'ensemble du Moyen-Orient, c'est-à-dire au
Liban, en Syrie, en Irak, en Jordanie mais également en Libye, du temps de la
royauté sénoussite.
Mais ces expériences
de démocratie représentative se heurtèrent à
des échecs cycliques soit par la suite de coups d'Etats militaires
successifs et sanglants débouchant, comme en Irak, sur une dictature intégrale,
soit par l'instauration de régimes plébiscitaires et populistes monopartisans,
comme dans l'Égypte de Nasser, la Syrie de Hafedh el Assad ou la Libye de Kaddafi, pour finir
dans les « dérives dynastiques ».
Quant aux expériences
électorales présentes, leurs résultats est loin d’être probants. Dans le pire
des cas, elles génèrent des guerres civiles meurtrières et traumatisantes,
comme en Algérie, en Palestine, en Irak,
et dans le meilleur elles sont marquées par les fraudes, les manipulations et
le mensonge systématique, comme en Tunisie, Bourguiba et Ben Ali étant égaux
sur ce point. Elles consacrent souvent le triomphe des partis islamistes.
La destruction du
mur de Berlin en 1989, symbole du triomphe du modèle libéral et démocratique,
n'est pas, dans le contexte arabe, un fait politiquement pertinent. Les Arabes
ne l'ont pas vécu comme un phénomène interpellant réellement leur conscience
politique et susceptible de provoquer un changement quelconque de mentalité ou
de comportements. Le monde arabe est pris dans la tourmente des divisions
sociales et des contradictions de la conscience politique, qui le maintiennent
en dehors de la planète démocratique. Le moment clé qui deviendra le plus pertinent dans le futur
est la Révolution tunisienne de janvier 2011.
Jusqu’en
janvier 2011, le fait marquant se
manifeste en effet dans l'inexistence d'une demande sociale démocratique
soutenue. Cela ne veut nullement dire que la démocratie ne constitue pas un
idéal qu’on voudrait vivre et connaître, mais que les conditions sociales
internes et internationales empêchent d’y croire et de le pratiquer, comme nous
l’avons précédemment indiqué.
Ce déficit est dû à
deux causes essentielles. La première, purement interne, provient de la
contradiction fondamentale entre le statut constitutionnel et officiel du
peuple et ses conditions d'existence réelle.
Pour le comprendre, il faut prendre en considération l'appel pressant
aux masses de la part de chefs en quête de légitimité et de généralisation du
progrès social. Conjugué avec le développement sans précédent de l'exode rural,
et de la vie misérable et périphérique qu’il génère, cette souveraineté des
masses populaires va se révéler, en définitive, vide de contenu effectif,
largement contraire aux ambitions et aux espoirs suscités. La masse du peuple
appelée à l'exercice de la souveraineté par des dirigeants comme Nasser,
Bourguiba, Ben Bella, Boumédiene, tentée par la vie citadine en marge des
grandes métropoles, va se heurter en fin de compte à un mur d'exclusion et de
précarité des conditions de vie, c'est-à-dire, en fait, à une négation de la
citoyenneté, ce qui va générer déception, frustration et ressentiment. Les masses périphériques ne se sentent pas
concernées par la démocratie. Elles vont
constituer le terreau sur lequel va s’édifier le monde de la revanche et de
la violence, celui des déracinés takfiri
et du G.S.P.C. (groupe salafiste pour le combat et la prédication) devenu
réseau d’Al Qaïda au Maghreb musulman faisant une « déclaration
d’apostasie [5]» à l’encontre des forces
d’oppression internationale, croisées et sionistes, et des Etats arabes qui ne
sont que leurs suppôts.
La deuxième cause
provient de la réaction d’une partie de l’opinion, gagnée par l’islamisme
militant des Frères musulmans, à l’implantation de la démocratie
parlementaires et des mœurs libérales et
occidentalisées de l’élite, du temps du colonialisme. La réaction au modèle
démocratique s’amplifie de nos jours. En effet, ce modèle est associé à
l'exportation forcée, mais désastreuse, de la démocratie par le projet
américain de grand Moyen-Orient, alors même que l’opinion arabe se trouve tétanisée
par l'affaire palestinienne, l'intervention d'Israël au Liban, la destruction
de l'Irak par l'effet de l'intervention militaire américaine.
Dans ce climat, dans
lequel dominent le ressentiment et la conscience malheureuse et vengeresse, la
démocratie ne peut véritablement trouver sa place. En revanche, le discours
fondamentaliste présente une alternative attirante, sur le plan de la cohérence
de la personnalité, de l'authenticité du discours, et enfin de l'apaisement des
angoisses. Il offre aux citoyens les solutions vers lesquels ils aspirent. Un
langage puisant sa force dans les sources profondes du patrimoine culturel, une
réconciliation entre les générations présentes et la voie des ancêtres, un
refuge pour l'identité disloquée, des certitudes de nature à assurer la
mobilisation pour une cause juste et des combats légitimes, une conscience
authentique du bien et de l'éthique. L’islamité de la société explique
l’implantation et le renforcement de l’islamisme et l’échec de l’Etat
modernisateur explique la réislamisation conséquente de la société au niveau
des mentalités et des mœurs. La Révolution tunisienne,
révolution dans laquelle les slogans islamistes étaient totalement absents, est
un évènement inaugural capital parce qu’il remet en cause cette analyse. Désormais la démocratie est
intériorisée par l’ensemble du peuple. Elle devient véritablement une demande
interne.
Dans un débat consacré aux relations entre
"démocrates" et "théocrates", il faudrait commencer par
dire qu'il existe démocrates et démocrates, comme il existe théocrates et
théocrates.
Démocrates et théocrates.
Les démocrates dans
le monde arabe ne partagent pas ni la même éthique ni le même objectif. Il y a
loin entre le démocrate de conviction, le démocrate stratège et le démocrate
par nécessité.
Le premier considère
la démocratie comme une valeur. Elle fait partie de l'éthique qu'il s'engage à
vivre et à mettre en application. La démocratie constitue donc, pour lui, une
fin en soi, et non pas le simple moyen pour aboutir à une autre fin. Ce
démocrate est relativement rare dans les pays arabes.
La
démocratie signifie pour lui que l'origine du pouvoir et sa légitimation reviennent
au corps social entier, c'est-à-dire au peuple. Que le peuple pourrait
théoriquement exercer ce pouvoir lui-même, mais que, pour des raisons
pratiques, il délègue ce pouvoir à des représentants qu'il désigne par voie
d'élection. Que ces représentants doivent gouverner dans la seule perspective
de l'intérêt général, ce qui veut dire, en fait, l'intérêt temporel de la
société. Que ces représentants élus s'engagent,
selon un principe non écrit mais néanmoins sacro-saint de la démocratie,
à ne pas consommer intégralement les fruits de leur victoire électorale puisque,
par essence, la démocratie garantit, au sein même du pouvoir, la présence des
forces non majoritaires, c'est-à-dire les forces de l'opposition, auquel est
reconnu le droit de reprendre le pouvoir, par les mêmes voies, ce qui implique
l'acceptation de l'alternance et du pluralisme. Ces représentants doivent
également respecter les libertés individuelles, notamment la liberté de pensée,
de conscience[6] et de religion, la liberté
d'expression, la liberté de réunion et la liberté d'association, ainsi que la
propriété privée et la liberté du domicile. Que ses représentants doivent faire
passer leur volonté à travers des actes juridiques, notamment la loi et le
règlement, ce qui implique la primauté du droit sur la volonté immédiate des
gouvernants, et l'exercice indépendant du pouvoir judiciaire. Autrement dit, pour ce démocrate, la démocratie est à la fois
une valeur éthique, un mode de légitimation et de désignation du pouvoir et un
mécanisme de gouvernement par le droit. C’est ce type de démocratie que la
révolution « Azizienne »[7]
de janvier 2011 a consacré, contre toute attente.
Le démocrate
stratège est celui qui se fixe un principe ou un but stratégique à la
réalisation duquel il utilise la démocratie, en tant que mécanisme de prise du
pouvoir, en vue d'atteindre son principe ou son but stratégique. Il est
indifférent à la démocratie, en tant que substance. Dans un contexte de faveur
de l’opinion, tout parti non démocratique ou antidémocratique, peut revendiquer
la démocratie, sans révéler publiquement qu’elle ne l’intéresse que dans la
seule perspective de conquérir le pouvoir ou de le consolider s’il s’en est
emparé.
Enfin,
le démocrate par nécessité est celui qui, tout en étant indifférent à la
démocratie en tant que valeur, se voit, dans une situation de crise sociale
grave ou de guerre civile réelle ou menaçante, néanmoins imposer la voie
démocratique, comme la seule voie possible de cohabitation avec les forces
politiques qui lui sont hostiles. Dans cette hypothèse la paix social est le
seul objectif recherché et la démocratie, dans cette hypothèse, prend la place
du Léviathan, pourvoyeur de la paix.
Pour
parler simplement, nous pouvons dire que le théocrate, dans le contexte
monothéiste, est celui qui, convaincu que la cité terrestre n'a pour finalité
que de préparer l'homme à vivre son éternité dans l'au-delà, cherche à
soumettre l'organisation de la cité terrestre aux impératifs du culte (en islam,
ibâdât), de l'éthique (akhlâq, amr bil ma’rûf …) et du droit (fiqh)
imposés par le Texte révélé ou inspiré, et à établir pour cela un gouvernement
chargé de mettre en oeuvre ces impératifs.
Mais tous les
théocrates ne se ressemblent pas non plus. Le théocrate mondain compose avec le
monde, ses vices et ses faiblesses. Il peut exhorter ou conseiller les proches,
prier Dieu de les remettre sur le droit chemin. Mais, au niveau de l'action, il
demeure passif. Il regarde passer les événements en acceptant le mal qui s'y
trouve, comme une fatalité du genre humain.
Le
théocrate militant se montre politiquement plus actif. Il s'engage sur le
terrain de l'action politique militante. Publiquement, individuellement ou
collectivement, il va s'attacher à combattre le mal et les déviances par
l'information, le recrutement et la formation des adeptes, l'exhortation, la
mobilisation, l'action partisane, associative ou caritative.
À l'extrémité, nous
trouvons le théocrate radical. Ce dernier, convaincu que le mal et la négation
des lois de Dieu ne peuvent être extirpés que
par la violence, s'assigne l'obligation de les combattre par tous les moyens
de violence, y compris la violence sacrificielle. Il donne unilatéralement sa
propre interprétation du mal (ennemis extérieurs de l'islam, gouvernements
islamiques à la solde des civilisations et puissances hostiles à l'islam, mœurs
licencieuses, dépravation morale, sexisme, culture libérale, culture
démocratique, laïcités déclarées ou masquées...) et définit librement la
panoplie des voies et moyens pour l'éradiquer, allant jusqu'au suicide
destructeur ou le sacrifice des innocents par la violence aveugle. La révolution « Azizienne » de 2011 a mis fin à
cette perspective.
Il faut mettre à part
le théocrate d’Etat, sur le modèle du Taliban afghan, du wahabisme ou des
ayatollahs iraniens. L’insertion forcée de ce dernier dans le tissu
international des Etats anime ses actions et les situations particulières
dépendent de ce contexte.
Il est clair que les valeurs et
représentations du démocrate de conviction et du théocrate, quel qu'il soit,
repose sur des socles irréconciliables. Sur le fond, ils ne peuvent ni véritablement
dialoguer, ni pactiser, ni s'entendre. L'harmonisation authentique de leurs
points de vue respectifs est impossible. Le démocrate baigne dans le
relativisme et l’élasticité des horizons mentaux, le théocrate dans
l’absolutisme des certitudes et la culture endophasique. Ils ne sont pas en
phase mais en déphasage de dialogue. Les croyances du démocrate de conviction
heurtent profondément les certitudes les plus profondes du théocrate, et ces
dernières scandalisent le démocrate. Le théocrate considère le démocrate sous
les qualifications les plus négatives. Il est l'athée, le laïque,
l'occidentalisé, le traître, l'aliéné, l'immoral, l'égaré. Le démocrate le lui
rend bien, puisqu'il considère le théocrate comme un dogmatique, un ignorant,
un obscurantiste, un ennemi de l'humanité, un imposteur exploitant la religion
à des fins politiques.
Tout pacte, tout
dialogue, toute entente entre le démocrate et le théocrate ne peut reposer que
sur des calculs stratégiques. Ils pourraient certainement conclure des pactes,
dialoguer ou s'entendre sur des actions politiques communes, mais jamais sur
des idées substantielles ou une pensée
commune.
Cela ne veut nullement
signifier une incompatibilité de principe, en climat islamique, entre le
croyant et le démocrate. Un croyant du for intérieur est parfaitement possible
et envisageable en islam. Et ce croyant du for intérieur, bien que rare, n'en
existe pas moins. La meilleure preuve que l'on puisse avancer en cette matière,
c'est la publication en 1946 de l'ouvrage de Gamal al Banna « Une démocratie
nouvelle » (dimuqrâtiyatoun jadidâ). Dans cet ouvrage, l'auteur tout en développant les implications
éthiques de la foi islamique, estime
que la démocratie en tant que valeur de société, socle des libertés, est
compatible avec l'éthique islamique et qu’elles convergent toutes les deux vers
l'impératif de la dignité humaine, principe primordial du texte coranique.
Autrement dit, un démocrate de conviction peut-être en même temps un musulman
de conviction.
Le problème qui nous
préoccupe ici ce n'est pas celui-là. Il s'agit de savoir si une communauté de
pensée peut s'établir entre le démocrate de conviction et le croyant qui ne
peut concevoir sa foi détachée du droit révélé ainsi que du gouvernement chargé
de la mettre en application. C'est à ce niveau que la concorde devient
théoriquement impossible. Les convictions du démocrate et du théocrate se
renient mutuellement. Le problème pour eux ne consiste pas à unir ou harmoniser
leurs pensées mais à cohabiter.
Autrement dit, seule
la démocratie procédurale pourrait assurer leur cohabitation. Ce point de vue
est exprimé d'une manière très claire par un représentant du Parti de la Justice et du
Développement marocain lorsqu'il affirme : "La démocratie avec ses
voies et ses mécanismes procéduraux constitue la seule voie possible de gestion
du conflit dans la mesure où tout le monde reconnaît les règles qui donnent à
la majorité la direction des affaires publiques d'après ses propres convictions
et son programme d'action sans que cela signifie la confiscation des droits des
minorités.[8]"
Pour lui, la démocratie procédurale doit permettre « l’entente entre le
laïc et le mouvement islamique », c’est-à-dire entre « deux visions
antagonistes du monde[9] ».
Il n’y a d’autre choix qu’entre la cohabitation et la guerre, « la liberté
ou le déluge[10] ».
En acceptant l'action
commune avec les démocrates, le théocrate ne retient de la démocratie que le
simple mécanisme qui puisse permettre une vie commune possible. Le message de
la démocratie ne l'intéresse pas. En contrepartie, le démocrate en prenant
l'immense risque de négocier et de pactiser avec le théocrate, parie sur la démocratie procédurale pour des
fins stratégiques. Lui aussi vise un objectif particulier. Mais il renonce à la
démocratie substantielle au profit de la démocratie instrumentale, tout en
sachant que cette dernière peut se retourner contre la démocratie. Mais la
démocratie procédurale n’est pas totalement neutre ; Elle est porteuse
d’effets de mentalités, en ce sens où, familiarisant les ennemis avec les
comportements concertés, elle les oblige à communiquer pour finir par se
reconnaître.
Le potentiel d’islamité et le défi démocratique.
Avant la
révolution tunisienne de 2011, dans le
monde arabe, nous avons assister à une détérioration profonde de l’impact de la
démocratie en tant que valeur de société. Tout d’abord, la culture politique classique dans ses
quatorze siècles de profondeur historique n’y prépare pas. La conception
dominante du pouvoir politique, de l’individu et du lien social est déterminée
par d’autres standards de croyances. En terre arabe, le démocrate n’est pas
vraiment chez lui. Le théocrate a plus de chance de se faire comprendre. Les
rapports du PNUD, notamment le troisième rapport sur le développement humain d’avril 2005 ont mis l’accent sur les affres
de « l’Etat trou noir » et ses déficiences. Mais l’Etat n’explique
pas tout. La dictature vient du social et de sa culture dominante. Il ne faut
pas oublier d’évoquer l’état de sous-développement et le rôle de l’ignorance ou
de la culture endophasique[11] dans
la perpétuation de ces phénomènes de société.
Par ailleurs,
l’insertion du monde arabe dans son contexte international dévalorise
considérablement l’idéologie démocratique. Les Etats exportateurs de démocratie,
en particulier les Etats-Unis, par le simple effet dévastateur de leurs
interventions et la négation criante des principes de légalité démocratique
dans leur lutte contre le terrorisme sont disqualifiés et perdent totalement
l’effet d’influence attaché à leur statut d’Etats-modèles.
La doctrine Bush sur
le remodelage du Grand Moyen Orient a été définie depuis février 2003,
réaménagée et adoptée par le sommet du G8 à Sea Island en juin 2004 et par
l’OTAN, à la même date. Dans son discours sur l’Etat de l’Union du 24 janvier
2OO4, G. Bush avait affirmé : « Tant que le Moyen-Orient restera
un lieu de tyrannie, de désespoir et de colère, il continuera de produire des
hommes et des mouvements qui menacent la sécurité des Etats-Unis et de nos
amis. Aussi, l’Amérique poursuit-elle une stratégie avancée de liberté dans le
Grand Moyen-Orient… »
Que constatons-nous
quatre ans après : tout d’abord des images déshonorantes, celles de
Guantanamo et d’Abu Ghraïb ou des dommages collatéraux, ce qui n’est pas
reluisant pour les exportateurs de
démocratie ; ensuite, des hommes et des mouvements terroristes en plus
grand nombre disposant d’une force de frappe plus forte et plus étendue, ce qui
est le cas du GSPC en Algérie ; l’extension de la guerre civile en
Irak ; la victoire électorale et le renforcement de la légitimité de
partis radicaux, comme le Hamas palestinien ou
le Hizb Allah libanais ; la persistance des tyrannies et des
modèles policiers protégés diplomatiques des grandes puissances, comme en
Tunisie, des dérives dynastiques, comme en Syrie, Libye et Egypte, sans parler
du cas irakien. Le résultat est très loin d’être brillant et le développement
démocratique, non seulement n’a pas progressé, mais a même régressé au profit
du potentiel d’islamité existant dans la société.
L’état
sociologique du monde arabe, notamment l’existence d’une misère et d’un
sous-développement culturel à la périphérie des grandes villes, travaille
globalement dans le sens de la consolidation de ce potentiel qu’on pourrait
appeler l’état d’islamité des sociétés arabes. L’islamisme radical provient de
la conjonction de ce potentiel d’islamité et de le
« bidonvillisation » de la vie. Le potentiel d’islamité est tiré vers
le bas. Cela donne les nouveaux hachachines du monde arabe et musulman.
Le
potentiel d’islamité, à lui seul,
explique que toutes les forces politiques soient contraintes de tenir
compte de cet enjeu. Chaque acteur, à leur tête les Etats eux-mêmes, subit
cette contrainte et doit forcément se positionner par rapport à elle. Une
attaque frontale, de type kémaliste, y est quasiment impossible. Elle n’existe
ni du côté de l’initiateur, ni du côté du destinataire. Même le laïcisme d’un
Bourguiba a du chaque fois (Code de
statut personnel, affaire du ramadan, affaire du pèlerinage à la Mecque,..) composer avec le
potentiel d’islamité de la société tunisienne. On peut en dire de même du
socialisme nassérien ou du panarabisme bassiste. Cet état des choses est encore
plus marqué aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, ne serait-ce que parce qu’il a
gagné la jeunesse. Encore une fois, la révolution de
2011 a remis en cause ce schéma.
Une
manière de tenir compte de ce potentiel d’islamité, consiste pour les partis
non religieux à négocier avec les partis religieux non radicaux en vue de combattre
avantageusement aussi bien le pouvoir dictatorial en place avec ses
faux-semblants démocratiques que les
partis de la haine et de la violence
Mais
d’un autre côté, le mouvement de modernisation, et de démocratisation du même
coup, est incompressible, comme on le voit à travers le New Deal
marocain (élections, libertés de la presse, réforme de la Mudawana), la
poursuite du souffle bourguibien en matière de droit de la famille en Tunisie,
les réformes sociales et électorales dans les Etats du golfe, (notamment la
participation des femmes aux élections en tant qu’électrices et candidates au Koweït) et même en Arabie
saoudite (élections municipales) et en Oman (élections des femmes).
L’évolution
du monde, l’exemple turc, le battage médiatique occidental, le combat des
partis démocratiques, ligues de défense des droits de l’homme et associations
féministes, l’influence des minorités de l’émigration, l’influence des
« nouveaux penseurs de l’Islam » et la diffusion des débats de
sociétés à travers édition, presse et télévision, la mauvaise presse du
terrorisme, travaillent dans le sens du
progrès démocratique. Le résultat, c’est que les tendances de l’islamisme
pacifiste se voient également contraintes de composer avec leurs concurrents,
aussi bien pour se démarquer le plus possible de l’islamisme jihadiste
que pour mieux affronter le pouvoir. Tel est la situation du parti de la Nahdha tunisien, du
parti de la Justice
et du développement au Maroc[12], des
frères musulmans rénovés, en Egypte, du parti Islah ou du Hamas
(harakat mujtama a silm)(mouvement pour la société de paix, MSP) algériens,
ou du Wasat égyptien.
Le
positionnement des acteurs.
Ainsi
nous voyons les acteurs se positionner en définitive avec une double contrainte
préalable : le potentiel d’islamité de la société, sur le terrain réel de
la légitimation majoritaire et la pression interne, impact de la
Révolution de janvier 2011, et internationale
du modèle démocratique. Ce sont deux facteurs qui déterminent le positionnement
de chaque acteur.
Commençons
par l’autocrate. L’autocrate au pouvoir témoigne en permanence de son
allégeance orthodoxe. Il définit la bonne religion, la religion moyenne,
ennemie des extrémismes qu’ils soient religieux ou marxistes, la religion du
prince et du peuple, version islamique du cujus regio ejus religio, au
nom de laquelle il justifie sa guerre contre les extrémismes. Sa constitution
fait référence à l’Islam comme religion d’Etat,
ou source principale de la législation, il construit des mosquées, la
mosquée Hassan II à Casa, la mosquée Al Abidine à Carthage, il encourage les
pratiques du dîn al hanîf, comme l’appel public à la prière, le jeûne,
la prédication BCBG. Il montre qu’il est
lui-même un bon pratiquant et qu’il fréquente mosquées et hommes de religion,
ses concessions symboliques à l’ordre du divin peuvent être aussi
spectaculaires que démagogiques, cas du roi Hassan II suspendant la parole du discours royal sacré au profit d’un plus
grand sacré, l’appel du muezzin à la prière en pleine conférence constitutive
de l’OMC à Marrakech.
Cette
démarche est probablement inévitable, non seulement à cause du potentiel
d'islamité de la société arabe, mais de la conviction intime du dirigeant
politique et de la nature de son régime. Mais, en cultivant ce patrimoine et
ses symboles, l'autocrate se tend un piège à lui-même et va immanquablement y
tomber. Sa démarche, sa doctrine, ses actions politiques vont, en fin de
compte, profiter aux tendances, mouvements
et partis islamistes en leur offrant le terrain propice à leur
développement. Par cette politique l'État facilite la tâche de l'islamisme. Tel
fut le cas de la politique d’Anouar Essadat, pactisant avec les Frères
musulmans leur accordant des concessions symboliques importantes, bientôt
envahi, submergé, puis mortellement atteint par leurs bordures extrémistes.
Bourguiba lui-même tomba dans ce même piège et participa, involontairement, au
développement de l'islamisme en Tunisie. Lorsque, en 1988, Ben Ali, « le maudit », rétablit la perception
visuelle du croissant lunaire abolie par Bourguiba, d'ailleurs sans objection
des grands dignitaires zitouniens, pour la fixation du mois hégirien, lorsqu'il
instaura l'appel aux cinq prières par le canal de la radio et de la télévision,
il s'agissait dans son esprit, évidemment de se concilier l'opinion
majoritaire, de mettre le potentiel d'islamité de son côté, de faire du
nouveau, par rapport au Bourguibisme,
tout en ralliant l'ensemble des Etats islamiques. Un peu plus
d'élévation d'esprit lui aurait fait comprendre que rétablir cette perception
du croissant lunaire signifie, symboliquement « nous ne croyons
pas à la science », constitue une accréditation officielle de l'idée que
les certitudes et les vérités doivent être recherchées du côté des
prescriptions religieuses, non du côté de la science, Autrement dit, par ce
geste, il renie l'axe fondamental de la modernité. Ce geste, par sa portée
symbolique, n'a rien à envier aux bombardements des bouddhas de Banyan. L'un
est une négation de la science, l'autre une négation de l'art.
En
contrepartie, l'autocrate affiche son attachement à la démocratie et à l’Etat
de droit, dans l’effectivité ou le mensonge et le travestissement. Cela peut
prendre, comme en Tunisie, des aspects théâtraux d’une grande ampleur: le décor
juridique est bondé de Conseil constitutionnel, Tribunal administratif, de
justice indépendante inaugurale de l’année judiciaire, de formes et de procédures
légales, de juristes de cour, de chercheurs de postes, dans le même temps que
les lois restent dans les tiroirs, les passe-droits des proches et des
courtisans deviennent règles, les juges et les avocats et leurs associations ou
ordres sont réprimés, cassés sans vergogne, la liberté de la presse est
inexistante. Dans de nombreux cas, il balance de-ci delà, entre autoritarisme
musclé et soft-démocracy, comme
en Egypte. La révolution de 2011 a mis fin au règne du faux-semblant politique.
On
a de plus en plus tendance aujourd'hui à distinguer un islamisme radical d'un
islamisme démocratique et civil, plus exactement d'un discours islamique
démocratique et civil. Cette distinction apparaît nettement par exemple à
travers l'ensemble des interventions présentées au colloque organisé à Amman
par le Centre Al Qods d'Etudes politiques et la Fondation Conrad
Adenauer, du 27 au 29 mai 2006[13]. La
thèse de l'islam démocratique se trouve également soutenue par le Centre
d'études sur l'islam et la démocratie (CSID). Elle a pris forme lors de la
réunion organisée à Casablanca en décembre 2005, en vue de la constitution d'un
Réseau des démocrates arabes. Cette rencontre a réuni des représentants du
parti marocain de la justice et du développement (PJD), en particulier
Saadeddine Othmani, et des représentants de courants démocratiques ou laïques[14].
Tous
les courants de pensée qui adoptent les prémices posées par Sayed Qutb dans ses
Ma'âlim fi tarîq ou Mohamed Qutb, dans ses « Ecoles de pensée
contemporaines » (madhâhib fikriya mu’âsirah, 1983) rejettent
naturellement le concept même de démocratie et même de citoyenneté pour au moins
deux raison. La première, c'est que le concept appartient à une culture
étrangère à la culture islamique[15], la
deuxième, qu'il constitue une négation du dogme islamique relatif à la
souveraineté divine. Sayed Qutb avait écrit : "Tout régime qui fonde la souveraineté
sur la volonté des hommes est un régime qui déifie l'homme au lieu de Dieu.[16] ».
La culture
démocratique, pour toutes ses tendances, se trouve donc disqualifiée par
principe. Pour tous les partis takfiri, les partis Jihadistes et
mujahidistes, les réseaux d'al qaïda, les partis de Dieu, les partis
appartenant à la mouvance du Tahrir, les Armées de Mohamed, la
démocratie et le démocrate ne sont que les signes du péché, comme l'avait
affirmé en 1991 Ali Belhaj, l'expression détournée de l'athéisme, le témoin de
l'aliénation culturelle. Les Frères musulmans d’avant 1990, partisans d’une
république théocratique, rejettent la culture démocratique. Pour cette raison, certains partis
islamistes refusent encore, malgré la volte-face des Frères musulmans, de
participer aux élections. Il en est ainsi du Jihad palestinien, du Saadet
Partisi turc et du parti ‘Adl et
Ihsan marocain[17].
Certains partis, en
revanche, font bon ménage avec la démocratie. Reprenant les thèses de Kawakibi
et de Rashid Ridha, ils donnent de la démocratie une interprétation
spécifiquement islamique. Posant l'ijtihad au centre de leur méthode d'interprétation,
ils revendiquent une conciliation possible entre le patrimoine islamique et les
acquis de la modernité, en particulier la démocratie. Le concept central de la démocratie islamique revient alors à la Shûra coranique,
comme dans l’ouvrage de Abdelhamid Moutwali, « Les principes du
gouvernement islamique » ( mabâdi nidhâm al hukm fil islâm) ou celui
du Cheikh Mohamed Mahdi Chams eddine « La société politique
islamique » (Fil ijtimâ’ asiyâsî al islâmî). Nous avons précédemment
affirmé que ce retour par la shûra à une démocratie islamique est une
idée dans l’air qui n’est l’apanage de personne. Cette dernière devient un
principe fondamental de droit constitutionnel musulman, comme chez les Frères
musulmans actuels[18] ou
le Parti de la Justice
et du développement au Maroc ou le Groupe Jeune Rencontre Intellectuelle
(Chabâb al multaqa al Fikri)[19], en Syrie, ou
encore chez des penseurs azhariens modernistes comme les cheïkh Youssef al
Qardhâoui ou Mohamed al Ghazâli[20].
Les Frères
musulmans semblent avoir considérablement évolué sur la question de la
démocratie, en Egypte et ailleurs,
L’évolution des Frères, même si elle peut être légitimement tenu
en suspicion, n’en est pas moins révélatrice. En 1990, l’association publie
trois textes concernant la démocratie, les minorités religieuses et le statut
de la femme qui révèlent une avancée notable dans le sens de la modernité
politique. Les Frères musulmans ont même revu le « look » des
militants nouvelle vague : costumes et cravates, barbes régulières ou sans
barbes, culture des langues étrangères. Cette cassure de générations, de
formations, de mœurs et de comportements,
dans le modèle des Frères allait aboutir à une scission
débouchant sur la création du parti Al wasat. Interdit, devenu Al
wasat al jadîd, mais toujours non autorisé, ce parti s’inscrit dans la même
perspective. Bien que se réclamant du patrimoine islamique, avec cependant une
interprétation plutôt éthique de la
Chari’a,
le programme du Wasat al jadîd est un manifeste des libertés
fondamentales, libertés qui constituent pour le parti une exigence essentielle
de la Chari’a.
Le Wasat n’hésite pas à poser le principe de la souveraineté du peuple
et sa fonction législatrice, le principe de l’alternance au pouvoir, la
citoyenneté sans distinction religieuse, la liberté de conscience et d’opinion,
l’égalité de l’homme et de la femme, notamment le droit pour celle-ci d’être
juge et chef d’Etat[21].
Dans l’ensemble du phénomène de modernisation de l’islamisme, l’exemple turc et
la figure, physiquement parlant, de
Recep Tayip Erdogan pèsent d’un grand poids. Pour le wasat al Jadîd, comme l’écrit Patrick
Haenni, « Il ne s'agit donc pas d'établir un État clérical. Ces nouveaux
islamistes, qui refusent l'idée d'un gouvernement des ulémas, sont des
gestionnaires démocrates qui ont fait leur deuil d'une organisation de la cité
sur le modèle d'un ordre transcendantal. Ils ne sont pas non plus prêts à troquer
un autoritarisme contre un autre et, relativisme oblige, ils ne croient plus
guère à l'idée d'une Vérité politique ultime : pour eux, la liberté c'est
l'affranchissement de la société de la tutelle étatique, compensée par la vertu
civique des citoyens au fondement d'une nouvelle « gouvernance »,
marquée par un encadrement décentralisé des populations par le marché et les
oeuvres. [22]»
D'autres tendances
adoptent la démocratie sans véritablement l'assortir d'une condition quelconque
d'islamité. Cette tendance est présente au niveau de « l'islam
mondialisé », selon l’expression d’Olivier Roy, et se diffuse en
particulier par la voie d'Internet. C'est la tendance de l'Islam progressiste
qu'on pourrait également qualifié d'islam moderniste ou encore d'islam
démocratique. Cette tendance est représentée par des penseurs comme Muqtadar
Khan, Fazlu Rahman, Abdallah Naïm, Farid Esack, Khaled Abu el- Fadl, Ismael
Al-Faruqi, l’équipe du CSID, Center for the Study of Islam and Democracy, aux Etats-Unis. Nous pouvons citer également
Khalifa Abdelhamid, Chafii Anouar, le Réseau de l'islam libéral ou le Centre
international pour l'islam et le pluralisme en Indonésie[23]. Ces
penseurs et courants politiques défendent un islam des droits de l’Homme et de
la liberté, en particulier la liberté de conscience, un islam de la démocratie
et de la laïcité et du dialogue des
religions. A la limite, on ne peut plus
les rattacher au courant religieux. Certains membres du PJD marocain
affichent ce point de vue[24].
Les mouvements et
partis non religieux, qu'ils soient nationalistes, socialistes, marxistes,
constitutionnalistes, féministes, laïcistes, défenseurs des droits de l’homme,
ne peuvent durablement rester indifférents à l'état de l'opinion et au potentiel d'islamité de la société.
Par conséquent, la
plupart des mouvements et partis laïcs se trouvent sociologiquement et
culturellement contraints de recourir, peu ou prou, au référentiel islamique,
certains pour affirmer qu'il constitue un élément constitutif de l'identité,
d'autres pour rester dans la logique de la tolérance de l'autre, d'autres
encore pour souligner qu'il s'agit là d'une exigence du pluralisme
démocratique, d'autres enfin pour souligner le principe constitutionnel d'après
lequel l'islam est la religion de l'Etat.
Nous voyons que le
résultat final de l'analyse fait que le potentiel d'islamité de la société d'un
côté et les pressions multiformes ou l’attrait objectif du principe
démocratique d'un autre côté deviennent les deux pôles et les deux enjeux
majeurs, autour desquels s'articule toute la vie politique et, par conséquent,
toute l'action politique des acteurs. Ces derniers doivent y faire face,
simultanément. Mais l’Idée de la démocratie vient de
recevoir l’honneur du couronnement social par le peuple tunisien.
Les expériences
d’action politiques communes.
Cela conditionne à la
fois leur insertion dans le jeu politique effectif, dans le contexte social dominant, et leur désir de
mettre fin aux dictatures arabes sans fin dont le seul principe de gouvernement
consiste à abuser sans limites du pouvoir, ce qui les contraint à y demeurer
indéfiniment ou à préparer la succession à leur parentèle, en vue de protéger
leur personne, leur famille et leurs amis, contre une éventuelle reddition des
comptes.
Tel est le cas du
mouvement Kifâya en Égypte et de celui du 18 octobre 2006 en
Tunisie. Un autre motif peut animer ces partis quant il s'agit d'éviter ou de
mettre fin à une crise sociale ou à une guerre civile susceptible de mettre
gravement en danger l'ordre social
lui-même, comme ce fut le cas de la Plateforme de
San Egidio, dans l’exemple algérien. La Plateforme de San
Egidio pour un Contrat national, signée le 13 février 1995 par les
mouvements algériens de l'opposition[25], représentants du Front islamique du salut (FIS),
de la Nahdha
islamique, du F L N, du Front des forces socialistes (FFS),
du Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA), de la Ligue algérienne
des droits de l'homme, du Parti des Travailleurs, commence par
dénoncer le coup d'Etat du 1er janvier 1992 qui a mis fin au processus
électoral, et l'état de violence et de guerre civile dans lequel s'est
installée la société algérienne[26]. Les
deux motifs se conjuguent : la lutte contre le pouvoir militaire et la
hantise de la guerre civile.
Tout en rappelant les
deux principes fondamentaux de la Déclaration du 1er novembre 1954 visant d'un côté
à restaurer l'Etat algérien souverain, démocratique et social, et d'un autre
côté, sa restauration dans le cadre des principes de l'islam, la Déclaration
de San Egidio proclame le rejet de la violence ainsi que de la dictature,
le respect des droits de la personne humaine, tels qu'ils découlent de la Déclaration Universelle
des droits de l'homme, des Pactes de 1966 et de la Convention contre la
torture, les principes de la légitimité populaire et l'instauration du suffrage
universel et libre, la primauté de la loi, la garantie des libertés
fondamentales, l'alternance politique, le multipartisme, la neutralité de
l'armée, la séparation des pouvoirs et le respect de la personnalité algérienne
dans sa dimension islamique, arabe et amazigh.
Dans l'expérience de
San Egidio, les islamistes font des concessions importantes à des principes et
à des hommes qui ne sont pas naturellement de leur bord. Ils renoncent
apparemment à la mise en oeuvre de la théocratie gouvernante qui signifierait
la fin de toutes les oppositions. En contrepartie, les partis ne faisant pas de
la religion l'objectif premier de leur action politique renoncent
officiellement au principe d'après lequel "pas de démocratie pour les
ennemis de la démocratie, pas de liberté pour les ennemis de la liberté".
Autrement dit, ils reconnaissent, dans un système où la démocratie se substitue
au Léviathan, le statut d' acteur politique à part entière à ceux qui étaient
considérés comme les ennemis de la démocratie. Pour cette raison, la
déclaration préconise parmi les mesures devant précéder les négociations la
libération des responsables du Front islamique du Salut qui avaient été
arrêtés. L’échec de San Egidio était plus que prévisible, mais
l’évènement en soi est capital parce qu’il montre que la paix peut s’imposer
non par la victoire des armes mais par la démocratie, visage cette fois-ci plus
tentant que celui du Léviathan.
L'action commune entre
partis à caractère religieux et partis laïcistes peut également être
l'expression d'un "ras le bol" (kifâya!) contre ces sempiternelles
figures de chefs d'Etats républicains arabes, comme Bourguiba, qui a inventé le
mécanisme de la présidence constitutionnelle à vie, Hafedh el Assad, Moubarak,
Kadhafi, Ben Ali, collés à vie au trône temporel. Même si les Frères
musulmans ne font pas organiquement partie du mouvement Kifaya,
lancé en juillet 2004, ils n'en soutiennent pas moins les revendications
et manifestations. L'un des slogans du
mouvement qui regroupe des partis de toutes tendances est un cri de rage contre
l'absence d'alternance, l'immobilité des rentiers du pouvoir qui n’en finit pas
de durer, le gouvernement de la police et de l'armée, les manipulations de la
constitution. Ce « ras le bol » s’est exprimé
remarquablement par la révolution tunisienne de janvier 2011.
Cette concertation des partis de l’opposition doit
être rapprochée de l’expérience de la grève de la faim (de 32 jours) pour les
droits et libertés entamée le 18 octobre à Tunis par des responsables
politiques de diverses obédiences[27]. Le point commun entre ces personnalités,
islamistes compris, se manifeste par leur combat commun contre le pouvoir
policier attentatoire aux libertés les plus fondamentales. Un Comité national
de soutien à la grève a été constitué par 124 personnalités de tous bords, y
compris de nombreux islamistes. Par la suite un Comité du 18 octobre a été
constitué pour donner suite à l’événement. Comme le souligne le rapport établi
par Sana Ben Achour, coordinatrice du Comité de soutien la Grève a « fédéré
dans un même élan de soutien aux grévistes de la faim et d’adhésion aux
revendications pour les droits et libertés, les partis politiques de
l’opposition dans la diversité de leurs sensibilités et de leurs orientations
politiques, les associations autonomes
de défense des droits humains, les comités régionaux et locaux de défense de la
société civile, les ordres professionnels, les syndicats régionaux et
sectoriels, les étudiants, les personnalités
du monde universitaire et de la culture ». Les grévistes ont par ailleurs
bénéficié d’un soutien international. Le mouvement, malgré la suspicion des uns
et des autres à la participation islamiste, a fait tâche d’huile. C’est ainsi
que le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL)
soutient fermement le Comité du 18 octobre. Nous reprenons les termes de son
président parce qu’ils expliquent bien ce qui peut pousser le démocrate à
s‘engager dans une action commune avec le théocrate.
"Tirons la leçon de l'échec et cherchons à nous
rassembler pour construire l'incontournable Alternative Démocratique. Le
pouvoir ne semble pas prêt à changer de politique... Il nous faut, dès lors,
organiser la lutte pour des élections réellement démocratiques en 2009 et, pour
cela, sortir de cette marginalité dans laquelle le pouvoir nous confine d'une
manière de plus en plus répressive, toujours planifiée et systématique. Le
Comité du 18 octobre rassemble un large pan des forces politiques qui militent
pour un vrai changement. Son principal intérêt se situe dans le dialogue qu'il
a su instaurer entre des composantes qui présentent des différences, voire des divergences sur
des questions de société. C'est un vrai pari. La déclaration, adoptée le 8 mars
2007 dans le cadre de la journée de la de la femme sur la question de l'égalité
homme-femme, apporte la preuve que le dialogue est payant et que le pari valait
la peine d'être fait. On y trouve des responsables de premier rang du parti
Ennahdha y affirmer clairement leur attachement aux acquis apportés par le Code
de statut personnel et même revendiquer son amélioration vers plus
d'égalité.... Le dialogue va se poursuivre sur d'autres questions, en dépit des
efforts du pouvoir pour l'empêcher par tous les moyens, allant jusqu'à attenter
aux droits élémentaires de réunion dans
les locaux d'un parti légalisé. Ce qui le dérange, c'est que plus le
dialogue s'approfondit plus s'effondre la théorie de l’épouvantail islamiste
sur laquelle le pouvoir a fondé sa politique des vingt dernières années.[28]"
Ce sont en
définitive des motifs stratégistes qui conduisent les acteurs politiques dans
le monde arabe vers la démocratie. Dans la majeure partie des cas, les partis
et forces politiques se trouvent dans une position plus ou moins marginalisée
d'opposition en face d'un pouvoir omnipotent, manipulateur, décidé coûte que
coûte à se maintenir au pouvoir le plus durablement possible et à protéger ses
arrières. Leur action commune, dans cette hypothèse, vise la remise en cause de
ce pouvoir, soit pour l'abattre, soit pour tempérer ses rigueurs. Mais cela
améliore rarement la situation politique globale. Les résultats des élections du
11 juin 2007 du Maglis a-Choura confirment
ce point.
L'autre motif qui peut animer l'action commune des partis religieux et
des partis non religieux vise à éviter les traumatismes sociaux de la guerre
civile. L'objectif de prise du pouvoir par les urnes intéresse particulièrement
les partis à caractère religieux dans la mesure où ils pensent disposer de la
majorité des voix en leur faveur. Ils ont par conséquent tout intérêt à
afficher leur credo démocratique et leur alliance avec les partis non
religieux, pour faire, en quelque sorte, bonne figure.
C'est à ce niveau que les appréhensions des forces et des mouvements
laïques et démocratiques se révèlent les plus fortes. Ils sont en effet enclins
à penser que le credo démocratique des partis religieux n'est qu'un effet de
propagande destiné à rendre plus acceptable et plus respectable leur objectif
réel de prise du pouvoir. Mais, ils ne peuvent oublier le fond de leurs
convictions et de leur idéal politique, celui de tout croyant intégral en
climat islamique, et qui consiste à instituer un gouvernement assurant, à titre
d'impératif catégorique de croyance, la mise sur pied d'une cité terrestre au
service de la cité céleste et, en vue de cette fin, l'application sans
concession des valeurs éthiques et du droit révélé. Ils savent que le PJD marocain pense comme sa presse
affiliée, Attajdid, porteuse d’un message intégriste ; que le FIS
algérien pendant qu’il signait la plateforme de San Egidio, pratiquait la
violence terroriste ; que la charte de la Ligue Islamique
Mondiale affirme dans sa version arabe qu'il « n'y aura pas de paix dans
le monde sans application des règles de l'islam », et que, témoignage du double
langage, cette disposition a disparu de la version anglaise de la charte.
À la question : "La
démocratie procédurale est-elle de nature à changer fondamentalement ces convictions
?", ils répondent par la négative en ajoutant que les intégristes sont les
maîtres du double langage. Au fond, le dilemme est de savoir si l'immersion
dans la lutte politique, les négociations, les concessions conséquentes, la
cohabitation, la mise en rang unique de forces antagonistes sont susceptibles
de toucher le coeur du message pour le sortir de ses fantasmes
transcendantaux, au-dessus des temps et
des espaces, et le placer au niveau des contingences et de l'immanence, ou bien
si ces fantasmes de politique transcendantale tirée des Ecritures constituent
réellement des idées fixes non susceptibles de mouvement.
Certains estiment par
conséquent, contrairement à la thèse soutenue par les Etats-Unis ou les
puissances européennes qui encouragent les initiatives de collaboration entre
démocrates et théocrates, que le
"pari ne vaut pas la peine d'être fait". Le risque encouru est trop
grand et pourrait conduire à des impasses fatales. Le jeu démocratique doit
être conduit dans la clarté des idéologies. Il ne faut pas qu'il y ait des
points d'ombre sur les objectifs
fondamentaux C'est, en Tunisie, la position de l'Initiative démocratique constituée
en vue de contrecarrer le monologue du pouvoir avec des partis décoratifs, au
cours des élections présidentielles de novembre 2004. Cette initiative se
poursuit aujourd'hui par le projet de refondation, à partir du parti Attajdîd,
d'un parti progressiste fédérant les partis de gauche reconnus ou non reconnus
et les indépendants.
Le jeu démocratique
est tissé de stratégies particulières autour d'un concept appauvri de la
démocratie. Personne ne sait ce qu'un parti islamiste au pouvoir mettra en
application au niveau des politiques publiques. Et il est vrai que les paris en
politique sont loin d'être payants.
Le monde arabe connaît
une grande perplexité au niveau de ses choix politiques fondamentaux. L’islam
de Hassan al Banna n’est pas celui de Gamal al Banna. Lequel des deux frères
représente l’Islam ? Les deux sans doute. Il est
cependant une certitude : en Tunisie, mais, à terme, dans l’ensemble du
monde arabe, rien ne sera plus comme avant janvier 2011. Janvier 2011 :
tel est la fracture essentielle dont il faudra tenir compte.
[1] Bernard Lewis, Comment
l’islam a découvert l’Europe, Gallimard, tel, 1990, p.217.
[2] A. Kawakibi, ‘Um ul
qurâ, in, M.J. Tahân, Oeuvres complètes de Kawakibi,
Markaz dirâsât al wihda al ‘arabiyya, 1990, p.289.
[3] Avec une rare lucidité, ce dernier, dans un chapitre intitulé « le caractère
démocratique du gouvernement islamique » de son ouvrage « L’ordre
social en Islam », affirme que le gouvernement islamique tient à la fois
du gouvernement démocratique et du gouvernement théocratique.. Tahar Ben achour, a nidhâm al ijtimâ’i fil islâm, 2ème
édition, Dar suhnûn, Tunis, 2006, p.201.
[4] Voir en ce sens Abdallah
Jamal eddine, asiyâsa ashr’iya fî huqûq errâ’i wa sa’âdat arra’iyya,
1318 h , p. 76 et ss.
[5] Selma Belaala,
« Misère et Djihad au Maroc » , Le Monde Diplomatique, novembre 2004.
[6] Ce qui implique la liberté
de ne pas croire et de changer de religion.
[7] Du nom de Mohamed
Bouazizi, le jeune héros qui s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010 et
dont le sacrifice a fini par emporter l’un des tyrans les plus monstrueux du
monde.
[8] Bilâl Talîdi, « Les
sources doctrinales du pluralisme politique », in Fondation Conrad Adenauer et Centre Al Qods
d’Etudes politiques, (ed), Vers un discours islamique démocratique et civil,
(nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî madanî) , 1ère édition, Amman, 2007,
p.203 et ss.
[9] Ibid.
[10]
Selon l’expression de Hakim Mtiri, « La liberté ou le déluge : étude
objective du discours politique religieux et ses étape historique », cité
par Mohamad Abou Roummane, loc cit. p.236
[11] Les circonstances historiques peuvent faire qu'un peuple ne parle plus
qu'en langage intérieur, enfermé sur soi-même. Si, comme l'affirme Abdallah
Laroui, l'homme moderne est celui qui "n'a pas de fond", l'homme
endophasique est celui qui ne regarde que son propre miroir, pour ne voir que
sa seule image, avec son propre fonds.
La culture endophasique
repose sur un certain nombre d'éléments à combinaisons variables dans le temps
et l'espace. Tout d'abord, la certitude d'être dans le droit chemin, celui de
la vérité, de détenir cette dernière à titre exclusif. Ensuite, l'exaltation,
c'est-à-dire la soumission de la pensée à des modes passionnels de réflexion.
Le mode passionnel de réflexion, par l’effet de son aveuglement donne des
motifs très forts pour l’action. Le don de soi devient le sacrifice suprême.
Enfin, la sacralisation et la transcendantalisation qui placent toute action,
en particulier l'action politique, dans une perspective mythique, en dehors du
temps terrestre. Dans cette perspective, le débat politique n'est plus un
débat, mais une consécration, puisque la vie est ailleurs, que l'ici-bas n'est
rien et que le paradis constitue la récompense pour les seuls justes,
c'est-à-dire, en fait, ceux qui tiennent le discours.
[12]
Bilâl Talîdi, « Les sources doctrinales du pluralisme politique »,
in Fondation Conrad Adenauer et Centre
Al Qods d’Etudes politiques, (ed), Vers un discours islamique démocratique
et civil, (nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî madanî) , 1ère édition,
Amman, 2007, p.203 et ss. (Talidi est membre du PJD).
[13] Fondation Conrad Adenauer
et Centre Al Qods d’Etudes politiques, (ed), Vers un discours islamique
démocratique et civil, (nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî madanî) , 1ère
édition, Amman, 2007..
[14]
Mohamed Chérif Ferjani, « Islam politique et démocratie. Une évolution
comparable à celle qui a donné la démocratie chrétienne est-elle
envisageable ? » à paraître dans
Prologue.
[15]
Cette thèse est également courante, elle a été soutenue par Mohamed Moubârak,
en 1970 dans son ouvrage sur «
La pensée islamique présente au défi des idées occidentales », et par
Kâdhim al Hâ’iri, dans « Les fondements du gouvernement islamique »,
voir Zakî Mîlâd, « La pensée politique arabe contemporaine et le question
de la démocratie », Fondation Conrad Adenauer et Centre Al Qods d’Etudes
politiques, (ed), Vers un discours islamique démocratique et civil,
(nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî madanî) , 1ère édition, Amman, 2007,
p. 177 et ss.
[16] Mohamed Charfi, Islam et liberté , Le
malentendu historique , Albin Michel , 1998 , p. 53.
[17] Mohamed Chérif Ferjani, loc.cit.
[18] Voir
par exemple Zuhaïr Salem, « Shari’a et démocratie », in Fondation
Conrad Adenauer et Centre Al Qods d’Etudes politiques, (ed), Vers un
discours islamique démocratique et civil, (nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî
madanî) , 1ère édition, Amman, 2007, p. 155 et ss.
[19] Mohamad Abou Roummane,
« L’intégration des islamiste dans le jeu politique arabe », (Les
occasions, les défis, les obstacles) », in Fondation Conrad Adenauer et
Centre Al Qods d’Etudes politiques, (ed), Vers un discours islamique
démocratique et civil, (nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî madanî) , 1ère
édition, Amman, 2007, p.215.
[20]
Auteur d’in ouvrage « islam et tyrannie », en 1949. voir Zakî Mîlâd,
« La pensée politique arabe contemporaine et le question de la
démocratie », Fondation Conrad Adenauer et Centre Al Qods d’Etudes politiques,
(ed), Vers un discours islamique démocratique et civil, (nahwa khitâb
islâmi dîmuqrâtî madanî) , 1ère édition, Amman, 2007, p. 177 et ss.
[21] Le programme du Wasat
a été consulté sur le site internet du parti, le 17 avril 2007.
[22] Patrick Haenni, « Divisions chez les Frères musulmans. La nouvelle pensée islamique des déçus de l'expérience militante », La Vie des Idées , Avril 2005, ( consulté sur le site Internet de la République des idées. 15 avril 2007).
[23]
Shaf’i Anouar, « L’islam politique et la démocratie en Indonésie ,
défis et opportunités », Fondation
Conrad Adenauer et Centre Al Qods d’Etudes politiques, (ed), Vers un
discours islamique démocratique et civil, (nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî
madanî) , 1ère édition, Amman, 2007., p. 41 et ss.
[24]
Bilâl Talîdi, « Les sources doctrinales du pluralisme politique »,
in Fondation Conrad Adenauer et Centre
Al Qods d’Etudes politiques, (ed), Vers un discours islamique démocratique
et civil, (nahwa khitâb islâmi dîmuqrâtî madanî) , 1ère édition,
Amman, 2007, p.203 et ss.
[25] Pour la
LADDH, Abdennour Ali Yahyia , Pour le FLN
: Abdelhamid Mehri, Pour le FFS : Hocine Aït Ahmed ; Ahmed
Djeddai . Pour le FIS : Rabah Kebir ; Anwar Haddam , Pour le PT
: Louisa Hanoune ; Pour le MDA : Ahmed Ben Bella ; Khaled
Bensmain. .Pour Ennahda
: Abdallah Jaballah . Pour le JMC : Ahmed Ben Mouhammed
[26] « Aujourd'hui le peuple
algérien vit un climat de terreur jamais égalé, aggravé par des conditions
sociales et économiques intolérables. Dans cette guerre sans images :
séquestrations, disparitions, assassinats, torture systématisée, mutilations et
représailles sont devenus le lot quotidien des Algériennes et des Algériens.
Les
conséquences des événements de juin 1991 et du coup d'Etat du 11 janvier 1992, l'interruption du
processus électoral, la fermeture du champ politique, la dissolution du FIS,
l'instauration de l'état d'urgence et les mesures répressives et les réactions
qu'elles ont suscitées, ont engendré une logique d'affrontement.
Depuis,
la violence n'a cessé de s'amplifier et de s'étendre . Les tentatives du
pouvoir de créer des milices au sein de la population marquent une nouvelle
étape dans la politique du pire. Les risques de guerre civile sont réels,
menaçant l'intégrité physique du peuple, l'unité du pays et la souveraineté
nationale. »
[27] Le
18 octobre 2005, un appel à l’opinion
publique de huit personnalités politiques et associatives en grève de la faim
pour la reconnaissance et l’exercice de la liberté d’organisation politique et
associative, d’expression, d’information et de presse, et la libération des prisonniers politiques
et d’opinion a été signé par les grévistes :
- Ahmed Najib CHABBI,
secrétaire général du Parti Progressiste et Démocratique
- Hamma HAMMAMI,
porte parole du Parti Ouvrier Communiste Tunisien
- Abderraouf AYADI,
vice-Président du Congrès pour la
République
- Ayachi HAMMAMI, président du Comité de Défense de
l’avocat Mohamed ABBOU et secrétaire général de la Section de Tunis de la Ligue Tunisienne
des Droits de l’Homme
- Lotfi HAJJI,
président du Syndicat des Journalistes Tunisiens.
- Mohamed NOURI,
président de l’Association Internationale de Soutien des Prisonniers Politiques
- Mokhtar YAHYAOUI,
magistrat et président du Centre pour l’Indépendance de la Justice et du barreau.
- Samir DILOU, avocat
et ancien prisonnier politique
[28] Mustapha ben Jaafar,
« Rassembler pour le changement », Mouatinoun, n° 10, 15 mars
2007, p.1.
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